Identité nationale, préférence nationale : un vocabulaire d'extrême droite

Questions d'actualité · 15 mar. 2007 à 19:41

Identité nationale

Jeudi 8 mars, lors de l'émission « A vous de juger » sur France 2, Nicolas Sarkozy a évoqué pour la première fois la création d'un "ministère de l'immigration et de l'identité nationale". Aussitôt, la gauche a dénoncé l'utilisation d'un terme emprunté à l'extrême droite. En lançant cette idée, le candidat de l'UMP a semé le trouble : qu'entend-il par identité nationale ? Certains militants ont assimilé ce terme à la préférence nationale défendue par Jean-Marie Le Pen. Retour sur un vocabulaire qui n'est pas anodin.

La création d'un ministère de l'immigration et de l'identité nationale

Nicolas Sarkozy a comme projet de réunir toutes les administrations responsables de la gestion de l'immigration. Aujourd'hui, le ministère de l'Intérieur est chargé de cette politique mais il ne maîtrise pas tout le dossier : les compétences sont éclatées entre plusieurs ministères. Il souhaite donc créer un ministère de l'immigration. Mais il a associé le mot "immigration" avec l'expression "identité nationale". A l'origine, le ministère devait s'appeler "ministère de l'immigration et de l'intégration", mais il a préféré utiliser le terme d'identité nationale pour reprendre le thème de la nation laissé souvent à l'extrême droite.
En déplacement à Vesoul, mercredi 14 mars, il a estimé qu'on "a le droit d'être fier d'être français sans être nationaliste, de parler d'immigration sans être raciste et de nation sans être protectionniste".

Identité nationale : un vocabulaire d'extrême droite

Gérard Noiriel, historien qui a publié "Immigration, antisémitisme et racisme en France (XIXe et XXe)", explique dans un entretien au journal Le Monde que ce terme d'identité nationale est profondément marqué à droite : la gauche défend les droits de l'homme et la droite défend la nation, c'est-à-dire l'ensemble des individus qui ont le sentiment d'appartenir à un même groupe (même histoire, même culture).
Toutefois, selon l'historien, c'est à partir des années 1930 que l'idée va être de plus en plus marquée à l'extrême droite. Ainsi, aujourd'hui, en accolant les deux termes "immigration et identité nationale", on laisse entendre que l'immigration serait une menace pour l'identité nationale.

Préférence nationale : une mesure d'extrême droite

Cette mesure est défendue par le Front National depuis la candidature de Jean-Marie Le Pen à l'élection présidentielle de 1974. A l'époque, dans son programme intitulé "Défendre les Français", Le Pen expliquait qu'il fallait appliquer la préférence nationale, c'est-à-dire donner la priorité aux Français en matière d'embauche, de logement, de prestations sociales. C'est cette idée qui est reprise dans son slogan de campagne "Les Français d'abord".
C'est Bruno Mégret, élu maire de Vitrolles en 1995, qui tente d'appliquer cette politique en accordant une prime de naissance réservée aux seuls Français de sa commune en 1997. Cette décision a été annulée par le tribunal administratif un an après pour discriminations entre Français et étrangers. Autrement dit, la préférence nationale, c'est tout simplement la légalisation de la discrimination raciale.

Un vocabulaire ambigu pour une stratégie qui l'est moins

Nicolas Sarkozy ne reprend donc pas l'idée de préférence nationale mais souhaite mettre en avant l'identité de la nation, c'est-à-dire ce qui fait la spécificité de la France dans un contexte de mondialisation et de suppression des frontières. Mais un responsable politique sait parfaitement le poids des mots et l'importance de la formule. En parlant d'identité nationale, il reprend un vocabulaire utilisé par l'extrême droite. D'ailleurs, accoler ensemble, ces deux mots n'apportent rien si ce n'est de la réprobation. Car s'il s'agit de définir ce qu'est l'identité nationale ou la nation, on aurait très bien pu créer un ministère de la culture et de l'identité nationale.

Par conséquent, la seule explication de l'utilisation de ces deux mots est le phénomène Bayrou. Puisque Bayrou mord sur tous les électorats, Sarkozy veut ressouder sa base électorale car il craint que dans la deuxième partie de campagne Le Pen marque des points. Ce qu'il perd au centre en ce moment, il veut donc le récupérer sur sa droite.

*** Sources

- Dictionnaire de l'Extrême-droite, sous la direction d'Erwan Lecoeur, Paris, Larousse, 2007
- Laetitia Van Eeckhout, « L'identité nationale, une notion récupérée par la droite dure », Le Monde daté du 14 mars 2007

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