Télévision · 4 juin 2007 à 22:26
Fidèle à son rythme très élevé, Nicolas Sarkozy a promis des réformes rapides : fiscalité, emplois, justice, éducation. Tous les chantiers ont été ouverts en même temps. Mais la machine gouvernementale qui vient de s'installer doit trouver son rythme et son mode de fonctionnement. Sur l'accession à la propriété, le service minimum, les propositions faites diffèrent un peu des promesses. Le ministre des comptes a fait une annonce aussitôt démentie par le président de la République. Ces ratés dans la communication sont liés à la volonté de Nicolas Sarkozy d'aller. Or, la mise en place des réformes nécessite du temps. C'est ce qu'ont expliqué les invités d'Yves Calvi lors de l'émission du 28 mai 2007 intitulée "Coup de mou sur les réformes ?". Les invités étaient Christophe Barbier, directeur de L'Express, Elie Cohen, économiste, et Brice Teinturier, directeur de l'institut TNS/sofres.
Les promesses de campagne de Nicolas Sarkozy se heurtent à la réalité du pouvoir. Certaines mesures jugées évidentes et rapides à mettre en oeuvre s'avèrent plus compliquées que prévu à réaliser. Il apparaît étonnant que l'équipe de Sarkozy soit surprise par ces premières difficultés étant donné la longue préparation du programme de l'UMP depuis plus d'un an et du grand nombre d'experts qui ont travaillé sur le projet.
Les cafouillages sont liés à plusieurs facteurs : l'importance de l'administration sur les décisions politiques. Les ministres qui ont pris leur fonction ont trouvé sur leur bureau des notes rédigées par de hauts fonctionnaires qui ont tempéré les ardeurs des politiques en expliquant que l'application de telle ou telle mesure n'était pas évidente. La période de campagne législative constitue également un frein à la mise en oeuvre des réformes. Si Nicolas Sarkozy veut aller vite, les députés UMP qui veulent se faire élire n'ont pas eux forcément l'intérêt de voir le président s'attaquer à des sujets sensibles. Les candidats de l'UMP font donc pression pour revoir à la baisse les promesses de Nicolas Sarkozy.
Il y a également une certaine forme de désorganisation au sein même du gouvernement. Ainsi, lorsqu'Eric Woerth, ministre des comptes, annonce que la réduction du coût d'emprunt d'un logement ne concernera que ceux qui ont signé un acte de vente après le 6 mai, il est rapidement désavoué, Nicolas Sarkozy ayant promis que cette réforme toucherait tout le monde.
Ce couac gouvernemental montre que le Premier ministre et le président ne contrôlent pas encore le gouvernement. Et les ministres font preuve d'une certaine légèreté en défendant des mesures qui n'ont pas encore été arbitrées, tranchées par le président et le Premier ministre. En temps normal, avant qu'un ministre ne s'exprime dans les médias et ne fasse l'annonce d'une réforme, la décision doit d'abord être prise par l'exécutif. L'intervention d'un ministre doit être préparée en amont. Un chef de gouvernement ne peut pas découvrir dans la presse des mesures qui n'ont pas été tranchées définitivement.
Le service minimum illustre bien ce décalage entre les promesses de décisions rapides et le temps nécessaire pour mettre en oeuvre une réforme complexe. Pendant la campagne électorale, Nicolas Sarkozy a promis le vote d'une loi sur le service minimum dans les transports dès le mois de juillet. Dans le même temps, il avait annoncé qu'il consulterait les partenaires sociaux. Or, il ne peut pas tout faire en même temps, tout ceci prend du temps. Le gouvernement annonce alors que la loi se fera en septembre. Mais les négociations et le travail avec les syndicats prennent du temps car il y a plusieurs problèmes à résoudre : y-a-t-il une remise en cause du droit de grève ? Quelle différence entre un service minimum et le système d'alertes sociales qui existe déjà, notamment à la RATP ?
Finalement, pour ne pas heurter les syndicats, le gouvernement annonce bien une loi en juillet comme promis, mais celle-ci ne sera qu'une "loi-cadre". Cette loi-cadre aura pour but d'obliger les entreprises à négocier avec les syndicats pour mettre en place un système d'alertes sociales afin d'inciter syndicats et patronat à négocier avant que les salariés ne déclenchent une grève.
Une loi-cadre est un texte qui fixe les règles d'un dialogue entre partenaires sociaux. A l'issue de ces négociations, une nouvelle loi peut être votée pour appliquer ce qui a été décidé. Par conséquent, une loi-cadre permet de différer le vote d'une loi impossible à boucler d'ici juillet.
Ces difficultés montrent que la complexité empêche la rapidité. Tous ces éléments étaient connus par Nicolas Sarkozy. Tous les ministres des transports et de l'équipement savaient que la mesure était complexe à mettre en oeuvre.
Par conséquent, Nicolas Sarkozy veut donner l'image d'un président qui veut aller vite. Mais dans les faits, ce sera plus compliqué.
Selon Elie Cohen, la logique de conquête du pouvoir n'est pas la même que la logique d'exercice du pouvoir. Vouloir faire les réformes rapidement et tout de suite relève davantage de l'effet d'annonce que d'une réelle capacité à réformer rapidement car mettre en oeuvre des réformes de fond prend du temps. Même si l'équipe de Nicolas Sarkozy était bien préparée, la rédaction de textes de lois demande un travail technique important pour faire en sorte que le texte soit compatible avec tous les autres textes déjà existants. Régulièrement, des textes de lois qui sont longuement préparés par le gouvernement sont rejetés par le Conseil constitutionnel. Le Conseil d'Etat a lui aussi exprimé des réserves sur des textes de lois. Une réforme nécessite donc tout un travail technique, qu'il ne faut pas sous-estimer.
Nicolas Sarkozy a fait campagne sur le thème de la rupture. Il veut donc provoquer un électrochoc dans l'opinion en faisant toutes les réformes en même temps. Mais, selon Brice Teinturier, c'est très difficile d'incarner l'électrochoc dans des lois. Par exemple, la loi sur la suppression des droits de succession va concerner beaucoup moins de personnes que prévu, la défiscalisation des heures supplémentaires va prendre du temps car cela pose plusieurs problèmes techniques, le bouclier fiscal concerne peu de personnes. Enfin, en raison du coût de la mesure, la politique pour faciliter l'achat d'un logement devrait être limitée dans le temps et ne touchera pas tous les propriétaires.
Par conséquent, le système administratif de l'Etat risque de retarder l'application de ces mesures et d'enrayer en partie l'électrochoc souhaité par Nicolas Sarkozy.