Les dérives du système majoritaire ou comment passer de 30% des voix à 100% du pouvoir exécutif et législatif

Zapping radio · 5 juin 2007 à 18:35

Le scrutin majoritaire

Les électeurs sont de nouveau appelés aux urnes dimanche prochain pour les élections législatives. Trois semaines après la victoire de Nicolas Sarkozy, les électeurs doivent à nouveau voter pour donner une majorité au président de la République, c'est-à-dire pour confirmer leur choix, sauf si la gauche l'emporte, les électeurs changeant d'avis en trois semaines.
En réalité, il y a peu de suspense : les sondages indiquent une nette victoire de l'UMP qui va obtenir plus de 40% des suffrages. Avec un scrutin majoritaire à deux tours, l'UMP peut donc espérer plus de 400 députés sur 577 sièges à pourvoir au parlement. Olivier Duhamel, dans sa chronique politique sur France Culture, décrit les dérives de la démocratie française ou comment 30% au premier tour de l'élection présidentielle se transforme en 100% du pouvoir exécutif et législatif.

Législatives : vers une écrasante victoire de l'UMP

Les derniers sondages indiquent que l'UMP devrait remporter les 3/4 des sièges de l'Assemblée Nationale. L'UMP va obtenir une majorité écrasante en raison du calendrier et du mode de scrutin. L'UMP bénéficie de la dynamique insufflée par la victoire de Nicolas Sarkozy et d'un scrutin majoritaire à deux tours qui permet d'éliminer tous les "petits" candidats au premier tour. Dans la plupart des cas, le second tour des législatives opposera un candidat UMP à un candidat PS. La victoire de la droite à la présidentielle et la bipolarisation du système politique français va donc aboutir à la prise de pouvoir totale de la droite française. Le propos d'Olivier Duhamel n'est pas de remettre en cause la légitimité de la victoire de la droite puisque le problème aurait été le même si la gauche avait gagné. Mais il dénonce les dérives d'un scrutin majoritaire ou celui qui arrive en tête obtient la totalité des pouvoirs.

Le système actuel est ultra-majoritaire : 31%, 53%, 100% du pouvoir

Le 22 avril 2007, Nicolas Sarkozy obtient 31% des voix. Le 6 mai 2007, il obtient 53% des voix au second tour de l'élection présidentielle. Il s'agit d'un score élevé, la victoire de Nicolas Sarkozy est indiscutable. Cependant, si on ramène ce score par rapport au total du corps électoral composé de plus de 44 millions d'électeurs, 57% des Français n'ont pas voté Nicolas Sarkozy : ils ont voté Ségolène Royal ou se sont abstenus ou ont voté nul.
Certes, en suffrages exprimés, le candidat de l'UMP a obtenu un score majoritaire mais Olivier Duhamel rappelle que c'est une victoire et non un plébiscite. Or, le système électoral français est fondé sur le scrutin majoritaire : le gagnant obtient tout. Ainsi, l'UMP incarnée par Nicolas Sarkozy a obtenu 31%, puis 53% et va avoir 100% du pouvoir exécutif et législatif

Scrutin majoritaire et scrutin proportionnel

Le scrutin majoritaire permet de donner une majorité à celui qui est arrivé en tête aux élections. Le scrutin proportionnel permet de représenter toutes les tendances à l'Assemblée Nationale mais oblige les partis politiques à conclure des alliances pour obtenir une majorité à l'Assemblée. Le scrutin proportionnel entraîne donc une forte instabilité politique : au moindre désaccord, l'alliance est rompue et le gouvernement renversé. Par exemple, sous la IIIe République, le scrutin proportionnel avait entraîné une très forte instabilité : 18 gouvernements entre 1929 et 1939, soit en moyenne un gouvernement tous les six mois. Toutefois, le scrutin majoritaire pose problème lui-aussi : seuls les grands partis politiques sont représentés. Des partis qui obtiennent des millions d'électeurs comme la LCR d'Olivier Besancenot ou le Front National de Jean-Marie Le Pen n'auront aucun député.

Le système mixte dans les autres pays européens

Dans tous les autres Etats européens, le pouvoir est élu selon un système mixte : majoritaire avec une dose de proportionnelle pour que tous les partis politiques soient représentés. En France, une réforme du mode de scrutin revient souvent dans le débat public pour instaurer un système mixte. 100 députés pourraient être élus au scrutin proportionnel et les 477 autres au scrutin majoritaire pour donner une majorité à un parti.

La fusion exécutif/législatif : l'exception française

La tenue des élections présidentielles et législatives à trois semaines d'intervalle et le scrutin majoritaire expliquent qu'avec 31% des voix à la présidentielle et 40% aux législatives, la droite va obtenir la totalité du pouvoir exécutif et législatif. Il s'agit d'une exception française. Aux Etats-Unis, il y a un régime présidentiel. Mais les pouvoirs du congrès sont très forts. Le pouvoir du président est contrebalancé par les pouvoirs de l'Assemblée.
En France, depuis la réforme du quinquennat, le pouvoir exécutif domine le pouvoir législatif, d'autant plus que les députés se servent de la victoire de leur camp à la présidentielle pour se faire réélire. Autrement dit, les candidats de l'UMP se revendiquent de la majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy pour se faire élire ou réélire. Ils devront donc leur victoire à celle du nouveau chef de l'Etat qui pourra alors s'assurer d'une totale confiance et d'un soutien sans faille de sa majorité.

Un problème démocratique et non partisan

Si la stabilité est à mettre à l'actif de la Ve République, le système majoritaire et la quasi-fusion du législatif et de l'exécutif avec le quinquennat constituent une dérive monarchique des institutions. Le problème n'est pas une question partisane puisqu'il serait identique avec une majorité de droite ou de gauche, mais il s'agit d'un problème démocratique. Avec un scrutin majoritaire, des millions d'électeurs ne sont pas représentés à l'Assemblée Nationale. Avec des élections qui ont lieu au même moment, le législatif ne devient plus qu'un pouvoir secondaire au service de l'exécutif, et l'Assemblée une simple chambre d'enregistrement.

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