Enquête · 6 juin 2007 à 21:43
Le score élevé de François Bayrou à la présidentielle promettait un bel avenir à l'UDF qui devait se transformer en grand parti social-démocrate. C'était sans compter la stratégie d'ouverture de Nicolas Sarkozy qui a tout fait pour obtenir le ralliement des députés UDF. Sur 29 députés UDF, 24 ont rejoint Nicolas Sarkozy et s'assurent ainsi du soutien de l'UMP pour leur réélection. De son côté, François Bayrou a perdu quasiment tous ses élus.
Pour ces élections législatives, un peu plus d'un mois après que le candidat de l'UDF ait obtenu près de 7 millions de voix au premier tour de l'élection présidentielle, la scission du parti centriste affaiblit avant tout François Bayrou. Les candidats du nouveau parti centriste de Bayrou, baptisé Mouvement Démocrate, doivent affronter des candidats UMP et ont peu de chances d'être élus. A l'inverse, les centristes ralliés à Nicolas Sarkozy, dont leur chef de file Hervé Morin est devenu ministre des Affaires étrangères, ont toutes les chances d'être réélus et de constituer un groupe parlementaire sous l'étiquette du "Nouveau Centre".
Comment une victoire électorale s'est-elle transformée en scission de l'UDF ? Quelles sont les différences entre le MoDem et le Nouveau Centre ? Quel résultat peuvent espérer ces nouvelles formations politiques pour les législatives ?
Les congrès fondateurs de ces deux nouveaux partis auront lieu à l'automne 2007. En attendant, les candidats du MoDem se présentent sous l'étiquette UDF-Mouvement Démocrate étant donné que François Bayrou et ses partisans ont conservé la mainmise sur l'UDF. En revanche, les dissidents de l'UDF ne peuvent prétendre se présenter au nom de l'UDF. De manière provisoire, les candidats centristes qui soutiennent Nicolas Sarkozy se présentent donc sous l'étiquette "Parti Social Libéral Européen" qui existe déjà, en attendant de créer le Nouveau Centre.
Toutefois, à l'échelle locale, les candidats jouent de cette ambiguïté et du flou des dénominations, quitte parfois à tromper l'électeur. Ainsi, dans la 13ème circonscription de Seine-Saint-Denis, la candidate de l'UMP inscrit sur ses tracts de campagne qu'elle a le soutient de "l'UDF-Nouveau Centre". Or, le sigle de l'UDF appartient à François Bayrou. Seule la motion UDF-Mouvement Démocrate est valable. Les centristes du Nouveau Centre ne peuvent se présenter officiellement aux élections législatives que sous la bannière "Parti Social Libéral Européen".
Ces querelles locales cachent un enjeu majeur : récupérer l'étiquette centriste. Entre le Mouvement Démocrate et le Nouveau Centre, il y a un parti centriste de trop.
Les différences entre le Mouvement Démocrate et le Nouveau Centre ne sont pas idéologiques mais purement tactiques. François Bayrou veut garder son indépendance pour préparer l'échéance présidentielle de 2012, quitte à rompre avec ces anciens alliés de l'UMP. Les partisans d'Hervé Morin ont fait le raisonnement inverse : ils ont rejoint Nicolas Sarkozy, pas seulement par opportunisme pour se faire réélire mais aussi parce qu'ils ont une analyse politique différente de la situation actuelle.
Dans l'entre deux tours de la présidentielle, certains partisans de Bayrou se sont inquiétés de sa ligne dure à l'égard de Nicolas Sarkozy. Ils en ont fait part au leader de l'UDF et lui ont demandé de faire preuve d'ouverture pour se placer en position d'arbitre. L'idée était de soumettre une dizaine de critères à Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy pour proposer un projet commun de gouvernement, à charge pour les candidats du second tour d'accepter ou pas. Or, cela n'a pas été le choix de François Bayrou qui s'est inscrit dans une stratégie d'indépendance totale quitte à être isolé.
En réalité, au soir du premier tour, François Bayrou était convaincu de la victoire de Nicolas Sarkozy et a fait le pari de devenir le leader de l'opposition face à un PS agonisant pour se placer dans l'objectif de la présidentielle de 2012. De leurs côtés, les partisans d'Hervé Morin ont constaté que jusqu'à présent, les électeurs de l'UDF étaient avant tout des électeurs de droite et que finalement, dans les circonscriptions, les électeurs UDF et UMP étaient les mêmes.
Avec ces deux interprétations différentes du contexte politique, la rupture entre les deux camps était inévitable.
Pour ces élections législatives, le MoDem de Bayrou a comme programme... celui de François Bayrou à l'élection présidentielle. Il est donc connu de tous et le leader du MoDem entend faire fructifier les 7 millions de voix du 22 avril 2007.
Du côté du Nouveau Centre, une brochure de quelques pages a été publiée reprenant... les principaux thèmes de François Bayrou : poursuivre le développement économique tout en tenant compte de la dimension sociale et du sort des salariés, moderniser la vie politique en accordant plus de pouvoir au parlement, relancer la croissance économique en privilégiant les petites entreprises, réduire la dette publique et équilibrer le budget de fonctionnement de l'Etat. Enfin, sur les questions d'environnement et sur l'Europe, le Nouveau Centre est aligné sur le programme du MoDem : ils défendent une politique de développement durable et ils sont profondément attachés à la construction européenne, jusqu'à préconiser une Europe fédérale pour donner un pouvoir plus grand aux institutions européennes. Ils ont donc exactement le même programme. Leur différence est purement tactique : dans la majorité présidentielle pour les uns, dans l'opposition constructive pour les autres.
Une fois la rupture consommée entre les partisans d'Hervé Morin et ceux de François Bayrou, les candidats UDF dissidents se devaient de créer rapidement un mouvement s'ils ne voulaient pas entrer à l'UMP. Or, pour toucher des subventions publiques, un parti doit présenter au moins 50 candidats et obtenir plus de 1% des voix. Les candidats dissidents de l'UDF ont donc eu besoin de recruter des candidats aux législatives : l'épouse d'Hervé Morin, l'attachée de presse ou encore le chauffeur seront donc candidats. Leur candidature répond à une logique financière. Le Nouveau Centre présentera plus de 80 candidats aux élections législatives pour obtenir un financement public.
Un sondage IFOP réalisé pour le quotidien et publié le 31 mai 2007 indique que les électeurs de François Bayrou sont beaucoup plus jeunes en 2007 qu'en 2002. Aujourd'hui, les 18-24 ans constituent 15% des électeurs du MoDem alors qu'ils n'étaient que 5% à voter UDF. L'électeur du MoDem appartient à la catégorie des professions intermédiaires et vit en milieu urbain. A l'inverse, la part des ouvriers et des habitants en zone rurale était plus importante en 2002 à l'UDF qu'en 2007 au MoDem. Enfin, dans une étude sur les rapports de voix au second de l'élection présidentielle, on apprend que 46% des électeurs de François Bayrou ont voté Ségolène Royal, 42% ont voté Nicolas Sarkozy, et 12% se sont abstenus ou ont voté blanc. Avec le MoDem, François Bayrou réussit donc à convaincre des électeurs qui n'étaient pas centristes en 2002.
Avec ce système de scrutin aux législatives, une élection à deux tours qui favorise la bipolarisation de la vie politique, c'est-à-dire le PS et l'UMP, le Mouvement Démocrate de François Bayrou pourrait n'avoir que 5 ou 10 députés alors que François Bayrou a fait environ 7 millions de voix lors de l'élection présidentielle. En revanche, le Nouveau Centre a de bonnes chances d'obtenir plus de 20 députés pour constituer un groupe autonome à l'Assemblée Nationale. Les candidats du Nouveau Centre, en se présentant dans le cadre de la majorité présidentielle de Nicolas Sarkozy, n'auront pas de candidat UMP face à eux.
L'UDF se retrouve donc divisée entre un Nouveau Centre qui aura un groupe parlementaire mais dont l'appareil militant est absent et un Mouvement Démocrate ayant près 80 000 adhérents mais quasiment aucun élu.
Ce résultat s'explique par des stratégies politiques différentes : l'alliance à droite pour le Nouveau Centre, l'indépendance et l'isolement pour le MoDem. Les candidats du MoDem, en raison de la stratégie d'isolement de François Bayrou, devront affronter des candidats UMP. Le MoDem de Bayrou ne pourra pas créer de groupes autonome et espère au mieux 10 députés. François Bayrou devrait être élu, mais sans groupe parlementaire, son pouvoir de nuisance sera réduit. Il incarnera donc une opposition morale à Nicolas Sarkozy, tout comme Ségolène Royal qui ne se présentera pas. La défaite du MoDem est donc toute relative puisque les principales figures de l'opposition à Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et François Bayrou, combattront Nicolas Sarkozy à l'extérieur de l'Assemblée Nationale.
Il n'en reste pas moins que François Bayrou s'apprête à vivre une deuxième traversée du désert, après celle débutée en 2002 au moment de la création de l'UMP, mais cette fois-ci, il sera plus que jamais seul et il n'aura pas de groupe parlementaire pour faire entendre sa voix au parlement. Le chemin risque d'être long avant l'élection présidentielle de 2012.
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