Enquête · 26 juin 2007 à 22:51
Depuis son élection à la présidence de la République en 1995, Jacques Chirac a été cité dans près de 9 affaires judiciaires différentes. Pour certaines d'entre elles, des proches collaborateurs de l'ancien chef d'Etat ont été condamnés à commencer par Alain Juppé qui a écopé de 14 mois de prison avec sursis en 2004.
Intouchable tant qu'il était président, Jacques Chirac a perdu son immunité présidentielle la semaine dernière. Désormais, il va pouvoir être entendu dans certaines affaires. Revue de détails des neuf affaires judiciaires auxquelles Jacques Chirac est plus ou moins mêlé.
Menacé par la justice, Jacques Chirac était protégé par le statut pénal du chef de l'Etat. Dans un arrêté d'octobre 2001, la Cour de cassation avait stipulé que le président de la République ne pouvait être mis en examen, ni interrogé en qualité de "témoin assisté". Garant de l'indépendance de la justice, le président de la République n'est donc pas un justiciable comme un autre. Durant la durée de son mandat, toutes les enquêtes judiciaires le concernant ont été suspendues. Mais le temps de la prescription aussi. Sur les 9 affaires judiciaires où Jacques Chirac est cité, il peut encore être inquiété dans trois d'entre elles : les emplois fictifs du RPR, les chargés de mission de la mairie de Paris, la Sempap, société d'impression de documents municipaux. Toutes ces affaires sont liées aux anciennes fonctions de Jacques Chirac entre 1977 et 1995 lorsqu'il était à la fois maire de Paris et chef du RPR.
Entre 1988 et 1995, des salaires d'employés permanents du RPR auraient été pris en charge par des entreprises privées et la mairie de Paris. C'est dans cette affaire qu'Alain Juppé a été condamné en 2004 à 14 mois de prison avec sursis et 1 an d'inéligibilité, en tant qu'ancien secrétaire général du RPR et adjoint à la mairie de Paris chargé des finances. En tant que fondateur du RPR et maire de Paris, Jacques Chirac est lui aussi visé par cette affaire car il apparaît improbable pour les juges qu'il n'ait pas été au courant de ces agissements. Jacques Chirac pourrait être entendu par la justice.
Entre 1983 et 1998, des chargés de mission dont le salaire était pris en charge par la mairie de Paris auraient en fait travaillé pour le compte du RPR. Il s'agit de la deuxième affaire d'emplois fictifs qui touchent de près ou de loin Jacques Chirac. Dans cette affaire, distincte de la première, les directeurs de cabinets successifs de Jacques Chirac à la mairie de Paris ont tous été mis en examen. L'ancien président de la République pourrait également être entendu par la justice.
En 1986, la société qui imprimait tous les documents édités par la municipalité de Paris a été privatisée. Pendant 10 ans, la mairie de Paris a sous-traité ses travaux d'impression à cette société d'économie mixte. Suite à la dissolution de cette structure par Jean Tibéri en 1996, une enquête a été ouverte pour des soupçons de favoritisme, de prise illégale d'intérêt et de détournement de fonds publics. Jacques Chirac pourrait également être convoqué par la justice.
De 1977 à 1995, des détournements fonds ont eu lieu à l'Office HLM de Paris. La mairie de Paris distribuait les marchés publics de construction de HLM à des sociétés en échange de pots de vin pour le RPR. Cette affaire a été découverte en 1994 mais n'a vraiment éclaté qu'en 2000 avec l'épisode de la "cassette Méry". Jean-Claude Méry, responsable de bureaux d'étude au RPR à l'époque des faits, avait enregistré un témoignage vidéo posthume dans lequel il accusait directement Jacques Chirac d'avoir été mêlé dans cette affaire de corruption. C'est le juge Eric Halphen qui a instruit ce dossier jusqu'en 2001. Un procès s'est tenu en juin 2006 mais aucun responsable politique n'était jugé. L'affaire est close.
Entre 1990 et 1997, 560 millions de francs de commissions se sont évaporées. Tous les partis politiques (du PS au RPR en passant par le Parti communiste) ont trempé dans cette affaire. Le processus de détournement de fonds était assez simple : en échange de l'attribution de la rénovation des lycées d'Ile de France, les sociétés de travaux publics devaient verser des commissions qui étaient répartis entre tous les partis politiques (1,2% pour le RPR, 0,8% pour le PS, etc...). Il s'agit de la plus grande affaire de corruption de l'histoire de la Ve République. 47 personnes ont été mises en examen dans ce dossier et ont été jugées en octobre 2006, dont des proches de Jacques Chirac. L'affaire est aujourd'hui close.
Au cours de l'enquête sur les lycées d'Ile de France, les juges ont découvert, en perquisitionnant une agence de voyage de Neuilly-sur-Seine, que des règlements en espèce ont été effectués par le chauffeur de Jacques Chirac pour des billets d'avion pour le chef de l'Etat, Bernadette Chirac, Claude Chirac et quelques proches. Le montant de ces versements en espèce avoisinerait environ 2 400 000 francs selon une ordonnance de juin 2001.
A l'époque, un communiqué de l'Elysée avait précisé que ces sommes provenaient de primes de Jacques Chirac qu'il avait cumulé en tant que Premier ministre et président. Les juges n'ont pas donné suite à cette affaire.
En revanche, une autre affaire de billet d'avion est en cours et touche cette fois Bernadette Chirac uniquement. Cette dernière aurait bénéficié de voyages gratuits sur la compagnie Euralair entre 1998 et 1999 pour une valeur d'environ 40 000 euros. L'instruction est toujours en cours.
Entre 1987 et 1995, 14 millions de francs ont été affectés par les services municipaux de la mairie de Paris au règlement de "frais de réception" de Jacques Chirac, selon un rapport de l'inspection générale de la Ville de Paris remis à Bertrand Delanoë. Ces faits étant prescrits, l'instruction a été clôturée.
Lorsqu'il était dans le gouvernement de Chaban-Delmas sous Pompidou, Jacques Chirac avait acheté le château de Bity en Corrèze. Selon le Canard Enchaîné, en 1978, la fondation Claude Pompidou, du nom de la femme de l'ancien président de la République, a racheté 5 hectares de terre à proximité du château, officiellement pour y construire un centre de vacances pour personnes âgées.
Le coût de cette transaction était de 500 000 francs. Mais plus de 20 ans après les faits, aucun centre de vacances n'a été construit et des indices laissent à penser que la mairie de Paris a subventionné la fondation Claude Pompidou à hauteur de 500 000 francs. De là à penser que la mairie de Paris a acquis indirectement un terrain en Corrèze pour la tranquillité de Jacques Chirac...
Aucune affaire judiciaire n'avait été ouverte à l'époque.
Cette affaire est la dernière d'une longue série qui touche Jacques Chirac. C'est la seule qui le concerne pour des faits qui se sont déroulés lorsqu'il était président de la République. L'affaire est simple : en 2004, de faux listings d'une société luxembourgeoise circulent. Sur ces listings, des noms d'hommes politiques et des comptes en banque sont mentionnés. Parmi eux, se trouve celui de Nicolas Sarkozy. Ayant entendu parler de l'affaire, Jacques Chirac aurait cherché à mener une enquête parallèle pour vérifier si cette histoire de blanchiment d'argent était vraie, l'implication de Nicolas Sarkozy pouvant entraîner sa chute.
D'un point de vue pénal, l'ancien président de la République ne risque rien. Mais les juges auraient pu l'entendre comme simple témoin pour y voir plus clair sur le déroulement des événements. Jacques Chirac vient de leur faire savoir qu'il ne se rendrait à aucune convocation d'affaires qui ont eu lieu lorsqu'il était président de la République. Il ne se sent donc pas concerné par l'affaire Clearstream.
Au terme de cette présentation du parcours judiciaire de Jacques Chirac, une remarque s'impose : si la présomption d'innocence prévaut, on peut tout de même s'étonner du décalage entre la longue liste des affaires qui touchent Jacques Chirac et le peu de risque de celui-ci d'être poursuivi.
*** Sources
- Gérard Davet, "Cinq dossiers pourraient conduire Jacques Chirac à être interrogé par la justice", Le Monde, 16 juin 2007
- Michel Delean, "Chirac et les affaires", Le Journal du Dimanche, 17 juin 2007
- Béatrice Gurrey, "M. Chirac se tient à disposition des juges pour les affaires du RPR", Le Monde, 24 juin 2007
- Karl Laske, "Clearstream : la déposition du général Rondot mouille Chirac", Libération, 26 juin 2007
- C.M, "Jacques Chirac sera entendu comme témoin assisté", Le Figaro, 26 juin 2007
- Chirac 1967-2007 : 40 ans de vie publique
- Chirac, une retraite à 30 000 euros par mois
- Chirac/Sarkozy : l'accord secret sur l'amnistie du chef de l'Etat ?
- Jacques Chirac : y a-t-il une vie après la présidence de la République ?
- Chirac : son dernier discours (vidéo)
- Le budget de l'Elysée a été multiplié par 9 sous Jacques Chirac]
- C dans l'air : Le président c'est... Chirac (janvier 2007)
- C dans l'air : Comment juger le président ?