Comment les présidents de la Ve République ont-ils choisi leur Premier ministre ?

breve · 13 août 2007 à 21:36

Comment les présidents de la Ve République ont-ils choisi leur Premier ministre ?

La question du jour : Comment les présidents de la Ve République ont-ils choisi leur Premier ministre ?

Pendant tout l'été, Politique.net vous fait découvrir le monde politique en 25 questions, de la fabrication du bulletin de vote aux pouvoirs du président de la République, en passant par le palmarès des ministres les plus éphémères. Retrouvez tous les jours une question plus ou moins insolite destinée à mieux vous faire comprendre la politique française.

Les critères de choix

Selon l'article 8 de la constitution, le Premier ministre est nommé par décret du président de la République. Le Président de la République peut le choisir librement à condition que le chef du gouvernement soit issu du camp majoritaire à l'Assemblée Nationale pour que les lois puissent être votées.
En théorie, le président est donc entièrement libre. Dans la pratique, il doit tenir compte de la situation politique et des équilibres du moment. Un bon Premier ministre doit d'abord être fidèle au président de la République, être un des leaders du parti majoritaire à l'Assemblée. Il n'est pas obligé d'être un élu (Lorsque Georges Pompidou, Raymond Barre et Dominique de Villepin sont devenus Premier ministre, ils ne s'étaient jamais présentés à des élections). Toutefois, si le président de la République doit tenir compte de tous ces critères, il reste libre et les choix des Premiers ministres ont souvent constitué des surprises pour les électeurs.

Les Premiers ministres de de Gaulle : Michel Debré, Georges Pompidou et Maurice Couve de Murville

Le général de Gaulle a été le président de la République le plus libre de ses choix. En 1958, la nomination de Michel Debré est logique. Il s'agit de son plus proche collaborateur qui a participé à la rédaction de la constitution de la Ve République. En revanche, la nomination des autres Premiers ministres de de Gaulle sont de véritables surprises. En 1962, la nomination de Georges Pompidou n'était pas prévue par les observateurs avisés de la vie politique. Pompidou était proche de lui mais il était inconnu des Français et n'avait jamais participé à une élection. De même, en 1968, de Gaulle a nommé, à la surprise générale, Maurice Couve de Murville, un parlementaire plutôt effacé pour éviter qu'il lui fasse de l'ombre. Ce fut d'ailleurs une erreur politique car les parlementaires soutenaient Georges Pompidou.

Les premiers ministres de Pompidou : Jacques Chaban-Delmas et Pierre Messmer

En 1969, la nomination de Jacques Chaban-Delmas a pour but de rassurer les gaullistes historiques après la démission du fondateur de la Ve République. Pompidou percevait Chaban-Delmas comme un pur gaulliste et souhaitait montrer qu'il s'inscrivait dans la même ligne que de Gaulle. Pourtant, ce choix s'est avéré être une erreur de casting étant donné que Chaban-Delmas a gouverné beaucoup plus au centre que prévu. Son concept de "nouvelle société" a été jugé beaucoup trop à gauche par les gaullistes, et les rivalités entre Pompidou et Chaban-Delmas ont été croissantes. Pompidou a donc remplacé Chaban-Delmas par Pierre Messmer, militaire de carrière, plus discipliné et respectueux du pouvoir du président.

Les premiers ministres de Giscard d'Estaing : Jacques Chirac et Raymond Barre

Lorsque Giscard d'Estaing entre à l'Elysée, il refuse de dissoudre l'Assemblée nationale étant donné que la droite y est déjà majoritaire. Seulement, ce n'est pas le courant du nouveau président de la République qui est majoritaire, c'est l'UDR, le parti gaulliste. Pour respecter le rapport de force au sein de la droite et donner des gages aux gaullistes, Valéry Giscard d'Estaing a donc nommé un gaulliste en tant que Premier ministre, Jacques Chirac. Mais les deux fortes personnalités ne vont s'entendre que deux années. En Août 1976, Jacques Chirac démissionne de sa propre initiative. Pour la première fois dans l'histoire de la Ve République, un Premier ministre a décidé de lui-même de quitter le pouvoir. Dans un contexte économique difficile marqué par le choc pétrolier, il est remplacé par un économiste peu connu du grand public : Raymond Barre.

Les premiers ministres de Mitterrand : Mauroy, Fabius, Rocard, Cresson et Bérégovoy

Ancien leader de la SFIO, ancêtre du parti socialiste, Pierre Mauroy est le premier Premier ministre de François Mitterrand. A l'époque, ce choix est apparu comme naturel. De même, son remplacement en 1984 par Laurent Fabius, plus jeune Premier ministre de l'histoire, est apparu logique : il avait pour but de relancer la dynamique de la gauche au pouvoir. En revanche, les choix des Premiers ministres du second septennat de François Mitterrand sont plus surprenants.
Au lendemain d'une large victoire en 1988, François Mitterrand a considéré qu'il devait mener une politique d'ouverture. Il souhaitait notamment l'entrée de ministres centristes au gouvernement. Contre toute attente, il a alors nommé Michel Rocard au poste de Premier ministre alors que les deux hommes ont constamment été rivaux. Deux raisons ont poussé Mitterrand à nommer son rival de toujours : Rocard incarnait une ligne de centre-gauche compatible avec la politique d'ouverture et Mitterrand souhaitait "griller" définitivement son adversaire en le confrontant aux difficultés de Matignon. En coulisses, Mitterrand déclarait régulièrement qu'il souhaitait "lever l'hypothèque Rocard" et il était convaincu qu'il s'effondrerait rapidement.
En réalité, Michel Rocard a mieux tenu que prévu et c'est sur le prétexte du déficit de la sécurité sociale qu'il l'a remplacé par Edith Cresson. La nomination d'une femme comme Premier ministre était un véritable coup médiatique qui a tourné au fiasco. Battant des records d'impopularité, Edith Cresson a été remplacée par Pierre Bérégovoy moins d'un an après son entrée à Matignon.

Les Premiers ministres de Jacques Chirac : Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin, Dominique de Villepin

En 1995, Jacques Chirac a choisi son plus proche collaborateur, celui qu'il considérait comme "le meilleur d'entre nous" lorsqu'il s'adressait à son camp. Lors de sa réélection en 2002, le choix du Premier ministre a été plus compliqué. La première expérience ratée d'Alain Juppé l'empêchait de postuler à nouveau et à droite, seul Nicolas Sarkozy semblait avoir la carrure d'un Premier ministre. Pendant la campagne électorale, ce dernier avait d'ailleurs laissé entendre qu'il serait nommé Premier ministre. Mais cette perspective était inconcevable pour Jacques Chirac qui avait gardé une certaine rancoeur à l'égard du "traître" qui avait soutenu Edouard Balladur lors de la campagne présidentielle de 1995. Finalement, Jacques Chirac a choisi un Premier ministre méconnu du public, ayant une forte implantation locale et étant ainsi perçu comme proche du peuple : Jean-Pierre Raffarin. Trois ans plus, il a été remplacé par Dominique de Villepin, le dernier fidèle d'un président en fin de règne.

Les premiers ministres de cohabitation : Jacques Chirac, Edouard Balladur, Lionel Jospin

En 1986, la gauche au pouvoir a perdu les élections législatives. François Mitterrand est alors contraint de choisir un Premier ministre de droite. Dans un premier temps, il a pensé à Jacques Chaban-Delmas, qu'il avait côtoyé sous la IVe République et qui était connu pour être un homme politique d'ouverture. Mais à l'époque, à droite, le leader s'appelait Jacques Chirac. Chaban-Delmas n'étant pas en situation de gouverner avec la majorité de droite, François Mitterrand a donc nommé Jacques Chirac.
En 1993, lors de la deuxième cohabitation, François Mitterrand aurait du nommer de nouveau le leader de la droite, Jacques Chirac. Mais en raison de son expérience de 1986 et de sa volonté de se présenter à la présidentielle de 1995 sans être victime de l'usure du pouvoir, Jacques Chirac a fait savoir qu'il n'était pas intéressé et qu'il laisserait le poste à un "ami de 30 ans", Edouard Balladur.
Enfin, en 1997, la droite a perdu les élections législatives alors que Jacques Chirac n'était président de la République que depuis deux ans. Le chef de l'Etat a été contraint de nommer un Premier ministre de gauche. Son choix s'est porté sur le leader de la gauche à cette époque : Lionel Jospin.

Le Premier ministre de Nicolas Sarkozy : François Fillon

En 2007, le choix du Premier ministre de Nicolas Sarkozy était connu d'avance. Pendant longtemps, Jacques Chirac a dominé toute la droite française si bien que les soutiens à Nicolas Sarkozy pour la présidentielle de 2007 ont été tardifs. Parmi les personnalités politiques de droite, François Fillon fut l'un des premiers à rallier Nicolas Sarkozy dès 2005. Ayant une forte expérience ministérielle (affaires sociales, éducation nationale), partisan de la rupture de Nicolas Sarkozy, François Fillon était donc le candidat naturel du nouveau chef de l'Etat au poste de Premier ministre. En outre, il a une qualité importante aux yeux de Nicolas Sarkozy : c'est un homme discret, qui ne cherche pas à tirer la couverture à lui. L'effacement du Premier ministre était un des critères de choix du nouveau président de la République qui entend être le principal chef de l'exécutif.

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