Enquête · 25 sep. 2007 à 22:05
En politique, les mots comptent. Il faut bien les choisir, les peser, trouver les mots justes pour exprimer sa pensée sans laisser transparaître ses arrière-pensées. Les événements de ces derniers jours rappellent qu'un mot mal choisi peut créer la polémique et c'est sans doute ce qui explique la langue de bois des hommes politiques. La franchise et la spontanéité sont souvent perçues comme des défauts dans la vie politique. Une parole incontrôlée, libre, est assimilée à une bourde. Christine Lagarde, Bernard Kouchner et François Fillon ont fait récemment l'expérience des conséquences d'un mot mal choisi. Retour sur ces mots tabous en politique.
Il y a deux semaines, la ministre de l'économie et des Finances participait à une émission de radio. Lors de l'entretien, un journaliste lui demande si le gouvernement a prévu une politique de rigueur. Et la ministre de répondre spontanément que son ministère "préparait un plan de rigueur, bien sûr, essentiellement pour les fonctionnaires". Aussitôt, ces paroles sont assimilées à une "gaffe" de la ministre. Ses propos sont démentis le jour même par le secrétaire général de l'Elysée, Claude Guéant, qui préfère parler de "plan de revalorisation de la fonction publique". Le lendemain, François Fillon indique qu'il n'y a pas de plan de rigueur.
En réalité, supprimer le nombre de postes de fonctionnaire s'apparente bien à une politique de rigueur : le gouvernement cherche à diminuer les dépenses. Mais depuis la politique de Raymond Barre en 1976 ou plus récemment, celle d'Alain Juppé en 1995, les gouvernements rechignent à désigner leur politique comme étant une politique de rigueur, car avec la rigueur vient généralement le mécontentement de la population. Le résultat est le même mais le mot est devenu tabou.
La France est dans une situation financière alarmante. Alors que les impôts et les charges ont augmenté en 2006 (+0,4%), la dette publique devrait de nouveau s'alourdir (64,2% du PIB). Depuis près de 30 ans, la France présente un budget de fonctionnement en déficit. La dette cumulée s'élève à près de 1150 milliards d'euros. En 2008, malgré les suppressions de postes dans la fonction publique et la diminution des dépenses de l'Etat, le gouvernement devrait présenter un budget déficitaire d'environ 40 milliards d'euros. Le deuxième budget de la France, après l'Education nationale, est consacré au remboursement des intérêts de la dette.
En déplacement en Corse, alors que les paysans corses réclamaient de nouvelles subventions, François Fillon a fini par lâcher : "Je suis à la tête d'un Etat qui est en situation de faillite, je suis à la tête d'un Etat qui est depuis quinze ans en déficit chronique, je suis à la tête d'un Etat qui n'a jamais voté un budget en équilibre depuis vingt-cinq ans".
Le Premier ministre souhaitait une image forte pour marquer les esprits, il l'a trouvée, pour être aussitôt désavoué par 4 anciens Premiers ministres car le terme de "faillite" affaiblit la figure de l'Etat. D'ailleurs, l'Etat peut continuer d'emprunter, les banques lui font toujours confiance, il n'est donc pas en situation de faillite, mais dans une situation financière "difficile".
Lors d'une émission de radio, le ministre des Affaires étrangères a durci le ton vis-à-vis de l'Iran qui refuse toujours de se soumettre au contrôle de ses installations nucléaires par la communauté internationale. Les occidentaux soupçonnent l'Iran de financer des recherches nucléaires, non pas à des fins civils (développer l'énergie nucléaire) mais dans un but militaire, pour se doter de l'arme nucléaire. Jusqu'à présent, les mises en garde de la communauté internationale n'ont pas impressionné le président iranien. Interrogé sur ce sujet, Bernard Kouchner a expliqué qu'il fallait négocier pour éviter le pire. Lorsque le journaliste lui demande ce qu'est le pire, le ministre finit par lâcher "mais le pire, c'est la guerre". Aussitôt, les journalistes rapportent que le ministre des Affaires étrangères n'excluait plus la guerre contre l'Iran. Et voilà comment des propos rapportés qui ont été raccourcis ont abouti à une polémique dans le monde entier. La "guerre" est un mot tabou pour un diplomate.
Faillite, rigueur, guerre sont donc des mots tabous en politique. Les utiliser, c'est créer la polémique. Après cette série de "gaffes", "bourdes" ou "maladresses", on peut supposer que les ministres seront plus prudents. Et la prudence en politique, cela s'appelle la langue de bois.