Le président de la République en a-t-il trop fait avec le Pape ?

Enquête · 21 déc. 2007 à 21:50

Religion et Etat

En campagne présidentielle ou au pouvoir, Nicolas Sarkozy applique une stratégie constante : adapter ses discours à son auditoire. Pendant la campagne présidentielle, cette tactique l'avait conduit à tenir des discours parfois contradictoires, une fois très libéral, une autre fois plus étatiste. Arrivé au pouvoir, le nouveau président de la République reprend la stratégie du candidat avec un certain succès. Face à des fonctionnaires, il va évoquer la modernisation de la fonction publique, devant des chefs d'entreprise, la nécessité d'assouplir les 35 heures. En déplacement au Vatican, Nicolas Sarkozy a donc parlé religion. Mais ces propos sur la République et la religion ont étonné pour un président de la République. Le discours de Latran marque-t-il un tournant dans la conception laïque de la République ?

Un discours sans précédent de la part d'un président de la République

Après avoir été fait "chanoine d'honneur" par le pape Benoît XVI, Nicolas Sarkozy a prononcé à la basilique du Latran un discours sur la religion. Depuis la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat en 1905, la religion a été reléguée à la sphère privée. Jamais François Mitterrand ou Jacques Chirac n'avait évoqué la religion autrement qu'en terme de conviction privée. Or, au Vatican, Nicolas Sarkozy a prononcé un discours à contre-courant de ses prédécesseurs sur les relations entre l'Etat et la religion. Il a notamment déclaré que la République a tout intérêt à avoir des populations qui "croient" et "espèrent", et que la politique doit se référer à une "transcendance".

Une relecture chrétienne de l'histoire de France

Inspiré par Henri Guaino et Max Gallo, le discours se veut d'abord une relecture de l'histoire de France en plaçant les racines chrétiennes au coeur de l'identité française. Nicolas Sarkozy a déclaré entre autres : "Les racines de la France sont essentiellement chrétiennes. J'assume pleinement le passé de la France et ce lien particulier qui a si longtemps uni notre nation à l'Eglise". Cette affirmation va à l'encontre de la position de Jacques Chirac mais aussi de Valéry Giscard d'Estaing qui s'étaient tous d'eux battus contre les références chrétiennes dans le préambule de la constitution européenne en 2005. Le chef de l'Etat a ensuite multiplié les auteurs français se référant au christianisme pour justifier la place prépondérante du Christianisme dans la construction de l'identité de la nation française.

Une conception bien particulière de la laïcité

Le chef de l'Etat est même allé plus loin en critiquant la laïcité à la française. Selon lui, celle-ci donnerait des signes de fatigue, elle serait même guettée par un fanatisme trop anticlérical. Même s'il a rappelé son attachement à la loi 1905, il a aussitôt précisé que l'Etat devait reconnaître la place effective des courants spirituels dans la vie publique et dans la définition d'une "morale" nécessaire pour le pays. En outre, en évoquant la loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat, il n'a pu s'empêcher d'évoquer les "souffrances" infligées au clergé par cette loi.

Nicolas Sarkozy est-il allé trop loin ?

Ce n'est pas la première fois que Nicolas Sarkozy expose ses idées sur la place que devrait avoir la religion dans la société. Mais c'est la première fois qu'il exprime aussi clairement ses positions et qu'il les défende en tant que président de la République. Des propos sur l'usure de la laïcité dans la bouche d'un président de la République ont de quoi dérouté. Fidèle à son tempérament, Nicolas Sarkozy a donc prononcé un discours d'une franchise déconcertante. Reste à savoir jusqu'où une personnalité représentant l'Etat peut aller dans un discours sur la religion sans remettre en cause la laïcité, valeur fondamentale de la République. Et de ce point de vue, le président de la République en a trop fait, notamment lorsqu'il a fait une comparaison entre son travail et celui d'un prêtre : "On n'est pas prêtre à moitié. Croyez bien qu'on n'est pas non plus président à moitié. Je comprends les sacrifices que vous faites pour répondre à votre vocation parce que moi-même, je sais ceux que j'ai faits pour réaliser la mienne !"

Par ses propos, sa relecture chrétienne de l'histoire et sa volonté de placer la religion comme un élément central de l'identité de la nation, Nicolas Sarkozy a franchi une étape supplémentaire dans le rapprochement religion/état. Or, ce mélange des genres remet en cause le devoir de neutralité du président de la République.

*** Liens

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