Le Canard enchaîné · 19 jan. 2008 à 23:01
Lors de sa conférence de presse du 8 janvier 2008, le Président de la République a surpris tout le monde en faisant une annonce surprise : la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publique pour qu'elles ne soient plus soumises au diktat de l'audimat. La gauche avait rêvé de le faire, c'est finalement Nicolas Sarkozy qui propose cette réforme. Sauf que la suppression de la publicité sur France Télévisions va coûter 800 millions d'euros par an à l'Etat. En plus de ce manque à gagner, la télévision publique devra fournir 3 heures de programme supplémentaire par jour, ce qui représente un coût moyen de fabrication de l'ordre de 400 millions d'euros. Où Nicolas Sarkozy va-t-il récupérer 1,2 milliard d'euros ? Pourquoi Nicolas Sarkozy a-t-il fait cette annonce alors qu'il reconnaît lui-même que les caisses de l'Etat sont vides ? Dans son édition du 16 janvier 2008, Le Canard Enchaîné raconte les raisons cachées de cette mesure surprise.
Nicolas Sarkozy a présenté la suppression de la publicité sur les télévisions et radios publiques comme un moyen pour ses médias de produire des contenus de qualité sans l'obsession de l'audimat. Il est vrai que le système actuel est assez paradoxal : on demande à la fois au service public de faire de l'audience et de se battre sur le même terrain que les chaînes privées, et en même temps, le service public est censé diffuser des programmes culturels de qualité. L'idéal est d'allier l'audience à la qualité, mais dans ce domaine, ce n'est pas toujours évident.
Le chef de l'Etat a donc proposé de supprimer la publicité sur le service public, ce dernier devant être désormais financer uniquement sur fonds public, ce qui représente une dépense d'environ 1,2 milliard d'euros par an.
A qui profite la suppression de la publicité sur les chaînes publiques ? D'abord et avant tout aux chaînes privées qui vont connaître un transfert de commandes de spot de publicité et inévitablement une hausse de leur tarif puisque les espaces publicitaires disponibles vont être réduits. Les premiers chiffres qui circulent tournent autour de 100 millions d'euros de bénéfice en plus pour TF1.
A l'origine de cette affaire, il y a donc le groupe Bouygues. L'année 2007 a été mauvaise pour TF1. L'action est au plus bas, l'audience mensuelle ne cesse de diminuer depuis l'arrivée des chaînes de la TNT, elle est passée pour la première fois sous la barre symbolique des 30% de parts de marché pour le mois de novembre 2007. Les actionnaires du groupe commencent à s'inquiéter et réclament à la direction des mesures fortes, notamment une baisse des coûts et une meilleure rentabilité des programmes. Les départs de Charles Villeneuve et d'Etienne Mougeotte de TF1 illustrent le changement de la politique du groupe.
Quel est le rapport avec la décision du président de la République ? Les liens entre TF1 et Nicolas Sarkozy sont connus. Martin Bouygues a été le témoin de mariage de Nicolas et Cécilia Sarkozy, et Laurent Solly, l'ancien chef de cabinet de Nicolas Sarkozy, est devenu directeur général de TF1. On comprend donc mieux pourquoi le chef de l'Etat a souhaité donner un coup de pouce au groupe Bouygues, encore fallait-il savoir comment.
Supprimer la publicité sur les télévisions publiques oblige l'Etat à assumer seul le financement de France Télévisions. Or, depuis le début, Nicolas Sarkozy est opposé à une augmentation de la redevance. C'est finalement Alain Minc, président du conseil de surveillance du Monde, conseiller de Vincent Bolloré, et ami de Nicolas Sarkozy, qui va fournir la solution au chef de l'Etat. Une semaine avant la conférence de presse présidentielle, Alain Minc s'est rendu à l'Elysée avec un projet clé en main. Pour supprimer la publicité sur le service public et compenser la perte d'argent en évitant une hausse de la redevance, il a suggéré de taxer les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d'accès à Internet. Ces secteurs d'activités représentent entre 50 et 70 milliards de chiffres d'affaires. Par conséquent, instaurer une taxe très légère sur cette industrie permettrait de trouver facilement le milliard d'euros de financement pour France Télévisions sans que le consommateur ne s'en rende compte. La taxe représenterait seulement quelques centimes d'euros sur chaque produit mobile et Internet acheté.
Les gagnants de la suppression de la publicité sur le service public sont donc TF1, M6, Canal + et toutes les autres chaînes de la TNT, notamment Direct 8, chaîne de Vincent Bolloré.
*** Source
- Jean-Michel Thenard, « Les pièges du hold-up de Sarko sur la publicité télé », Le Canard Enchaîné n°4551, mercredi 16 janvier 2008, page 4
- Portrait de Vincent Bolloré, l'ami milliardaire de Nicolas Sarkozy
- La crise du journal Le Monde est-elle politique ?
- Livre : Enquête à charge contre Alain Minc
- Médias : le traitement de la grève par Jean-Pierre Pernaut
- Sarkozy et les médias : l'information neutralisée par la communication politique
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