Revue de presse · 29 fév. 2008 à 10:15
Il existe plusieurs images d'Epinal pour caractériser la politique et les responsables politiques : violence, rapport de force relèvent parfois de l'animalité. On dit de Jacques Chirac ou Nicolas Sarkozy qu'ils sont des "fauves" en politique : impitoyables, féroces et toujours vivants malgré les coups de couteaux dans le dos.
Une autre image d'Epinal veut que les politiques soient systématiquement éloignés des préoccupations des Français. Le centralisme étatique, caractéristique de la France, a sans cesse opposé la province, là où se trouveraient les "vrais gens", à Paris et son microcosme bureaucratique.
L'idéal type de l'homme politique est donc celui qui domine, le fauve, et qui a une attache en province, sur le terrain, en prise avec la réalité. Quoi de mieux pour illustrer cette image que le salon de l'agriculture : on y boit, on y mange, on se fait bousculer dans la cohue, on est au contact avec le terroir. C'est donc un rendez-vous obligé pour ces "bêtes" politiques. Pour cette édition 2008, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Fillon, ont voulu, chacun à leur manière, imprimer leur style.
- Le Monde : Discours de Nicolas Sarkozy au Salon de l'agriculture
- Libération : Chirac cultive la nostalgie au Salon
- Le Figaro : Au Salon de l'agriculture, le marathon de Fillon
En France, l'agriculture ne représente que 4% de la population active et ne contribue qu'à 2,7% du PIB. Et ces chiffres sont en baisse constante. D'un point de vue économique, l'agriculture est donc très marginale. En revanche, en matière d'aménagement du territoire, de puissance agricole, l'agriculture reste un symbole fort en France.
La France est une grande puissance agricole : elle assure à elle seule près de 20% de la production agricole dans l'Union Européenne. Première bénéficiaire des aides de la Politique Agricole Commune (PAC), l'agriculture française est encore très compétitive. Les terres arables représentent environ 35% de la superficie du pays, l'agriculture est donc un élément important d'aménagement du territoire mais aussi de protection de l'environnement.
Dans ce contexte, le salon de l'agriculture est un passage obligé pour tous responsables politiques de premier plan. Créé en 1964, le salon international de l'agriculture en est à sa 45ème édition. Avec plus de 138 000 m2 d'exposition, 1 030 exposants, plus de 3 000 animaux et 80 pays étrangers représentés, le salon de l'agriculture est souvent surnommé "la plus grande ferme" de France.
Jacques Chirac a une double image : maire de Paris et élu de Corrèze. Depuis qu'il a été ministre de l'agriculture en 1972 dans le gouvernement de Pierre Messmer, Jacques Chirac a toujours eu une attention particulière à l'égard du monde paysan, qui le lui rend bien, puisqu'il bénéficie d'une forte popularité auprès des agriculteurs. Au salon de l'agriculture, Jacques Chirac est donc chez lui. Pendant 12 ans, il l'a inauguré. Cette année, il y est retourné en "simple" citoyen. Il est resté près de 3h40 : "serrages de mains, bises aux enfants, caresses aux vaches, dégustations et photos de groupe, le tout ponctué d'encouragements, de «toutes mes félicitations», «aaah le beurre !» ou «ce jambon espagnol, c'est l'Europe dans ce qu'elle a de meilleur»". Voilà comment Libération a résumé le retour de Jacques Chirac.
Jusqu'à présent, l'ancien président de la République s'était fait plutôt rare depuis son départ de l'Elysée. Il partage son temps entre son logement du quai Voltaire et ses bureaux de la rue de Lille où il rédige ses mémoires et prépare le lancement officiel de sa fondation. Le salon de l'agriculture était donc un retour aux sources.
Il se murmure que Nicolas Sarkozy a hésité avant d'inaugurer le salon de l'agriculture. L'image qu'il cultive, luxe, ray-ban et paillettes, est à l'opposé de l'image du monde paysan. Ce n'est pas son terrain, contrairement à Jacques Chirac. Pour éviter de souffrir de la comparaison avec son prédécesseur, il a donc bousculé la tradition en choisissant de prononcer un discours officiel, occasion pour lui d'évoquer la réforme de la Politique Agricole Commune en des termes assez généraux. Le président de la République a promis de défendre les agriculteurs et de redorer leur image en répétant ce qu'il avait martelé pendant la campagne présidentielle : les agriculteurs ne veulent pas devenir des assistés et des paysagistes mais des producteurs voulant vivre de leur travail. Mais l'incident du désormais célèbre "casse-toi connard" a totalement éclipsé son discours. C'est la seule image qui restera, ainsi que son temps de passage : "35 minutes de bain de foule pour l'actuel président, 3 h 40 pour l'ancien" a relevé le journal Le Monde.
Provocation ou simple coïncidence ? En visite au salon de l'agriculture, le Premier ministre, François Fillon a pris un plaisir manifeste à s'attarder dans les allées du salon de l'agriculture, comme pour mieux se démarquer du passage express de Nicolas Sarkozy. Depuis que le Premier ministre est plus populaire que le président de la République, les tensions sont palpables entre les deux hommes. Pour rester populaire, François Fillon prend systématiquement le contre-pied de Nicolas Sarkozy en terme d'images.
Il a donc passé près de 4 heures au salon de l'agriculture, autant que Jacques Chirac. Il y est même venu deux fois : tôt le matin, pour prendre un petit déjeuner et assister à la traite des vaches ; et il est revenu un peu plus tard dans la matinée pour sa visite officielle. Il n'a pas manqué une occasion pour goûter aux produits du terroir à chaque stand, rappelant au passage qu'il était "président d'honneur du comice agricole de Sablé-sur-Sarthe" et à ce titre, un homme de terroir élu d'un département rural. Jambon, fromage, vin blanc, François Fillon s'est arrêté à tous les stands et a pris son temps. "Ce n'est pas un Parisien. Il me plaît bien, ça nous change un peu" aurait lâché un paysan. Opération médiatique réussie.
Bilan du salon de l'agriculture 2008 : Jacques Chirac est toujours aussi populaire, l'homme suscite toujours autant la sympathie même si sa politique était très décriée. François Fillon cultive son image de Premier ministre paisible à l'opposé de l'hyperactif de l'Elysée. Nicolas Sarkozy, en difficulté dans les sondages, a montré des signes de tension et de fatigue jusqu'à ce qu'il perde son sang-froid face à un visiteur indélicat. Le fauve n'a pas su retenir ses griffes.
- Chirac, une retraite à 30 000 euros par mois
- Nicolas Sarkozy en difficulté dans les sondages
- François Fillon plus populaire que Nicolas Sarkozy
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Quiz : Quelle tradition est perpétrée par chaque Premier ministre dans les jardins de Matignon ?
