Revue de presse · 3 avr. 2008 à 22:31
Depuis plusieurs semaines, des lycées sont bloquées tantôt par des enseignants, tantôt par les élèves eux-mêmes. Motif de la contestation : les suppressions de classes et de postes d'enseignant pour la rentrée 2008. Jusqu'à présent, le ministère est resté sourd aux revendications et s'attachent à minimiser les difficultés. Aux blocus et mouvements de grève spontanée des enseignants ont succédé les manifestations de lycéens. Aujourd'hui, jeudi 3 avril 2008, une nouvelle manifestation était organisée en direction du ministère. C'est la troisième en une semaine et d'autres devraient suivre d'autant plus que le journal en ligne Mediapart a révélé que Xavier Darcos préparait un projet de loi qui risque de faire l'effet d'une véritable bombe au sein de la communauté éducative : à l'heure où le gouvernement supprime des classes dans le public, un fonds spécial serait créé pour favoriser la création de classes... dans le privé. Décryptage.
- Source : Mathilde Mathieu, L'Etat va aider l'école privée en banlieue, Mediapart, (23 mars 2008)
Après plus d'un mois de mobilisation, les enseignants des lycées d'Ile de France ont été rejoints par les lycéens. Dans l'académie de Créteil (Ile de France), près de 630 de postes d'enseignants seront supprimés l'année prochaine. Si le rectorat affirme que le taux d'encadrement restera identique dans l'académie en raison d'une baisse démographique, dans les faits, une hausse des effectifs par classe est constatée partout. Dans des lycées situés en zone violence, le nombre d'élèves par classe va être porté à 30 en classe de seconde, et à 35 en première et en terminale. Et si certains lycées en zone sensible avaient réussi à être préservés, désormais, toutes les classes doivent être remplies au maximum.
Les suppressions de classe obéissent à une logique purement financière : puisque les "caisses de l'Etat sont vides", tous les ministères doivent réduire leur dépense, à commencer par celui qui dépense le plus : le ministère de l'Education nationale. Sauf que le journal en ligne Mediapart a révélé que le ministère allait débloquer des fonds pour créer des classes en banlieue... dans les écoles privées.
Selon Mediapart, le gouvernement serait sur le point de créer en catimini un fonds d'intervention pour aider l'école privée. La création de ce fonds servirait à aider l'école privée à se développer en banlieue. Jusqu'à présent, les écoles privées étaient avant tout installées dans les centres-villes. Si elles n'étaient pas hostiles à s'installer en banlieue, elles réclamaient depuis toujours une aide supplémentaire de l'Etat pour le faire. Ce sera chose faite pour la rentrée 2008. Environ une cinquantaine de classes devrait être créées dans les établissements privés catholique.
Alors que les professeurs du public manifestent depuis plus d'un mois, cette annonce pourrait être considérée comme une véritable provocation. Pourtant, à plusieurs reprises, Nicolas Sarkozy et le gouvernement avaient laissé entendre qu'ils aideraient l'école privée. Mais à chaque fois, ces annonces ont été très discrètes : durant la campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy avait déclaré qu'il fallait faire en sorte que les familles vivant dans les quartiers difficiles aient un choix entre l'école privée et l'école publique. Dans la lettre de mission envoyée à Xavier Darcos, une ligne évoquait ce projet : "Vous ne dissuaderez pas les établissements privés de s'installer dans des quartiers en difficulté, au contraire".
Le sujet est explosif. Les relations entre le privé et le public ont toujours été chaotiques. Le public reprochant au privé d'être en partie financé par l'Etat, de pratiquer une sélection par l'argent et de récupérer les meilleurs élèves. A l'heure où les conséquences des restrictions budgétaires dans le public se font sentir, un coup de pouce de l'école privée serait incompris par les enseignants du public.
Depuis la loi Debré de 1959, l'Etat verse une subvention de fonctionnement aux écoles privées, proportionnellement au nombre d'élèves qui y sont accueillis. Par ailleurs, l'Etat paye le salaire des enseignants du privé. Pour maintenir le statu-quo entre privé et public, une règle tacite existe depuis 1985 : le 80-20. Au concours, on réserve 80% des postes pour le public et 20% des postes pour le privé. En clair, quand le nombre de postes au concours diminue dans le public, il diminue aussi dans le privé.
Selon plusieurs sources, c'est cette règle qui devrait voler en éclat. Sans toucher officiellement à cette règle, le gouvernement pourrait multiplier d'autres dispositifs parallèles, ajouter des lignes budgétaires supplémentaires dans l'unique but de pouvoir financer d'autres créations de postes dans le privé.
Dès la rentrée de septembre 2008, le fonds devrait financer la création d'une cinquantaine de classes dans des quartiers difficiles. En pratique, l'Etat va prendre en charge "un forfait d'internat" dans les cas où les élèves seront hébergés en pensionnat. Ce forfait n'existait pas auparavant. Par ailleurs, l'Etat va également prendre en charge la rémunération des enseignants affectés dans ces nouvelles classes. Dans le cadre du plan de Fadela Amara, "Espoir banlieues", ce dispositif viendrait s'ajouter à la règle tacite du "80-20". Autrement dit, l'Etat va créer des postes supplémentaires dans le privé.
Pour faire passer la pilule, le gouvernement devrait dans un premier temps sélectionner des établissements au profil très particulier. Par exemple, l'école des Orphelins apprentis d'Auteuil pourrait bénéficier de ces aides financières supplémentaires, l'idée étant de financer en priorité les établissements qui viennent en aide aux élèves qui sont sur le point de sortir du système scolaire sans diplôme. Par ailleurs, plusieurs établissements de centre-ville devraient créer des annexes en banlieue.
La stratégie du gouvernement est donc claire : développer l'école privée et diminuer le coût de fonctionnement de l'école publique. Pour tenter de contourner toutes les difficultés de ce type de projet, le gouvernement va y aller progressivement : le fonds privé va d'abord financer peu de classes, et ne concernera que des établissements symboliques pour éviter de heurter l'opinion. Mais, par la suite, rien n'empêchera l'Etat d'augmenter sa participation dans ce fonds d'investissement. C'est ce qu'on pourrait appeler la deuxième réforme cachée de l'Education.
> Pour la première réforme cachée de l'Education nationale, c'est ici :
Education nationale : les manipulations du ministère pour supprimer des postes de profs