Revue de presse · 11 avr. 2008 à 21:51
Après plusieurs semaines de manifestations et de blocages, la mobilisation lycéenne prend de l'ampleur. Pour la cinquième fois en moins de deux semaines, les lycéens, mais aussi des enseignants et des parents d'élèves, ont manifesté en direction du ministère de l'Education nationale à Paris, mais aussi en province, pour protester contre les nombreuses suppressions de postes à la rentrée prochaine. Jusqu'à présent, le ministre de l'Education nationale avait minimisé le mouvement, pariant sur son essoufflement. Mais l'incertitude de l'issue du conflit commence à inquiéter l'Elysée, d'autant plus que le ministre de l'Education a commis plusieurs erreurs stratégiques. Décryptage.
- Le Monde : Les revendications des enseignants confortées par l'ampleur du mouvement lycéen
- L'Express : Darcos dans la ligne de mire des syndicats lycéens
- Libération : Les six plaies de Xavier Darcos
Après sa défaite à Périgueux, il l'a souvent répété à ses interlocuteurs : il ne voulait pas y aller. Sa défaite à Périgueux, après deux mandats consécutifs dans une ville détenue par la droite depuis près de 40 ans, a d'autant plus affaibli le ministre qu'il a mené une campagne très nationale. Nicolas Sarkozy lui a rendu visite avant le premier tour des municipales. François Fillon a tenu meeting avec lui entre les deux tours. Son échec est donc tout un symbole, même si le président de la République lui a renouvelé sa confiance.
En acceptant le poste de ministre de l'Education nationale, Xavier Darcos savait que la tâche serait difficile. Dans une logique de réduction de coûts, les suppressions de postes font partie de sa feuille de route, et n'ayant pas le portefeuille de l'enseignement supérieur, il ne peut espérer bénéficier d'un effort budgétaire. Les réductions d'effectifs se feront donc sans aucune compensation.
A l'origine, 17 000 postes devaient être supprimés dès 2008. Mais sa bonne entente avec Nicolas Sarkozy et un coup de communication lui ont permis de plaider sa cause pour "limiter" les suppressions de postes. Dès l'été 2007, le ministre de l'Education a avancé une fourchette basse du nombre de suppressions de postes, empêchant le Premier ministre d'annoncer des suppressions de plus grande ampleur. De l'avis même des syndicats, le chiffre de 11 000 postes aurait pu être pire. Sauf que Xavier Darcos n'a pas profité de ce contexte favorable avec les syndicats pour ouvrir des chantiers importants. Et Xavier Darcos ne pourra plus compter sur la clémence de l'Elysée pour les chiffres de 2009. Le nombre de suppressions de postes devrait encore augmenter.
La commission "Pochard" à laquelle Michel Rocard a participé devait réfléchir sur la manière de revaloriser le métier d'enseignants. L'intitulé de la commission laissait entendre que le débat portait sur l'amélioration du travail des professeurs. Or, la plupart des mesures qui ont été proposées vont dans le sens d'une plus grande flexibilité : bivalence (enseignement de deux matières), annualisation des heures d'enseignement (pour une plus grande flexibilité), recours aux heures supplémentaires (qui coûtent moins chères que de créer un poste). Aussitôt le rapport rendu, Xavier Darcos s'est empressé de prendre ses distances en annonçant de prochaines consultations. En réalité, sur ce sujet, le ministre a appliqué une stratégie de lenteur qui déroute à la fois les enseignants et ses propres amis politiques.
Alors que les difficultés se concentrent dans le secondaire, le ministre de l'Education nationale a commis une autre erreur stratégique en ouvrant un nouveau front de contestation : il s'agit de la réforme du primaire. Celle-ci n'était pas prioritaire et a pris les professeurs des écoles de court. De manière totalement paradoxale, il a été décidé de supprimer les cours du samedi et de changer le programme sans nécessairement l'alléger. En outre, le changement des programmes du primaire suscite l'hostilité d'une partie des enseignants et signe le retour d'une pédagogie passéiste : grammaire, conjugaison, dates en histoire, sans qu'aucune concertation n'ait vraiment eu lieu avec les professeurs des écoles.
En outre, l'annonce de cette réforme s'est accompagnée d'une petite provocation du ministre puisqu'au même moment, il faisait le forcing sur le service minimum à l'école, là encore, sans aucune concertation quant à la mise en oeuvre de ce dispositif permettant d'accueillir les écoliers à l'école, les jours de grève.
Mais la faute la plus grave du ministre a été de minimiser la contestation des enseignants du secondaire suite aux suppressions de postes. Certes, le nombre exact des suppressions est connu depuis le mois de septembre. Mais c'est seulement en février dernier, lors de la communication de la DHG (Dotation Horaire Globale) que les conséquences de ces suppressions ont été perçues dans chacun des établissements scolaires. Dès le mois de février, les enseignants de chaque lycée d'Ile de France - les plus fortes suppressions de postes concernant l'académie de Créteil - ont réclamé à être reçu dans les rectorats pour détailler les contre-propositions de DHG. Pendant des semaines, les rectorats n'ont pas répondu. C'est seulement après les blocus de plusieurs lycées que les recteurs ont consenti à recevoir des délégations d'enseignants, avant de se rétracter.
Le passage en force a jeté le trouble au sein de la communauté éducative. Cette stratégie du pourrissement explique en grande partie le fait que les lycéens aient pris le relais des enseignants dans ce mouvement de contestation.
Au final, la situation de Xavier Darcos est compliquée, mais les multiples erreurs de stratégie ont contribué à rendre sa tâche encore plus difficile. En moins d'un an, non seulement Xavier Darcos a réussi à faire l'unanimité contre lui auprès des enseignants, mais il a également suscité la défiance d'une partie de sa majorité qui s'impatiente devant la lenteur de la mise en oeuvre des réformes.
- Education nationale : les manipulations du ministère pour supprimer des postes de profs
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- Grève des profs : comment calcule-t-on un taux de grévistes ?
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Quiz : Pourquoi Michel Rocard a-t-il démissionné de la commission Pochard ?