Télévision · 2 juil. 2008 à 15:50
Après la vidéo du off de Sarkozy sur France 3, la tension est montée d'un cran. L'UMP a été la première a dénoncé la mise en ligne de cette vidéo, qui intervient dans un contexte de vives tensions entre le président de France Télévisions et Nicolas Sarkozy suite à la réforme de l'audiovisuel public et la suppression de la publicité. Ce matin, sur l'antenne de RTL, Patrick De Carolis a annoncé à mot couvert sa démission à la rentrée de septembre et fustigé ceux, à commencer par Nicolas Sarkozy, qui considèrent que la télévision privée et la télévision publique sont identiques. Il a même lâché que ce type de propos était faux, stupide et profondément injuste. La guerre est désormais ouverte. Mais dans le même temps, France 3 vient d'envoyer un courrier à Rue89, site d'information qui a mis en ligne la vidéo du Off, menaçant le site d'information de poursuites si la vidéo n'était pas détruite. Une première entre deux médias.
- Le Figaro : La mise au point musclée de Carolis
- Blog d'Aphatie : La franchise de Patrick de Carolis
- Rue89 : Images "off" de Sarkozy: France3 menace Rue89 de procès
A la veille de la présidence française de l'UE, Nicolas Sarkozy avait choisi France 3 pour faire sa première interview télévisée de son quinquennat, hors des murs de l'Elysée. L'événement est assez rare pour un président de la République. Mais cette interview, censée être centrée sur l'Europe, s'est mal passée pour trois raisons.
1. A son arrivée au siège de France Télévisions, Nicolas Sarkozy a été surpris de voir une manifestation au bas de l'immeuble de la part de journalistes qui protestaient contre la réforme de la télévision publique. Une fois sur le plateau, à quelques minutes du début de l'émission, le président de la République s'est ensuite agacé de l'attitude d'un technicien qui a refusé de le saluer. "Incroyable... et grave" a-t-il lâché. La vidéo de ce off a aussitôt été mise en ligne par un journaliste de Rue89. On y voit aussi le président de la République tutoyer un journaliste politique et demander au directeur de l'information de France 3 si on pouvait l'interroger sur le drame de Carcassonne.
2. Au cours de l'émission, les journalistes de France 3, présents sur le plateau, ont abordé la réforme de la télévision publique et la suppression de la publicité. Sous le feu des questions, Nicolas Sarkozy a tenté de se justifier, notamment en lâchant deux phrases lourdes de sous-entendu :
- "Je trouve que les programmes de France Télévisions ressemblent encore trop aux programmes de chaînes privées". La pique vise directement Patrick De Carolis, qui a pourtant infléchi la ligne éditoriale de France 2 depuis son arrivée.
- "Je ne vous laisserai pas tombé, je vous donnerai les moyens de vous développer, mais je ne regarderai pas le service public comme une petite secte qui appartient à quelques micro-organisations qui descendent de temps en temps dans la rue parce que le service public fonctionne avec l'argent du contribuable et que le contribuable est en droit de donner son avis". Attaque à peine voilée contre les syndicats de journaliste qui protestent contre la réforme.
3. A la fin de l'émission, selon plusieurs témoins, une vive altercation a opposé le président de France Télévisions et Nicolas Sarkozy. Patrick de Carolis n'a pas apprécié que le président de la République affirme que France Télévisions ressemblait trop aux chaînes privées alors qu'il a changé la ligne éditoriale de ces chaînes tout en devant tenir compte des contraintes de l'audimat.
Le lendemain de son altercation avec le président de la République, Patrick de Carolis a contacté Jean-Michel Aphatie, comme le raconte le journaliste sur son blog, pour intervenir sur l'antenne de RTL mercredi. Ce matin, le président de France Télévisions était donc interrogé par Jean-Michel Aphatie au cours d'une interview où Patrick de Carolis n'a pas pris de gants à l'égard du président de la République.
La franchise du président de France Télévisions frappe par rapport à son niveau de responsabilités. Rarement un dirigeant d'une entreprise publique avait eu une aussi grande liberté de ton. Patrick de Carolis a d'abord répondu qu'il n'était "pas d'accord" avec le président de la République et le lui avait fait savoir. Mais il a aussi ajouté : "la télévision, c'est un métier, qui est fait par des professionnels (...) Il est bon qu'on laisse travailler les professionnels". Manière de dire que Nicolas Sarkozy n'y connaissait rien. Quelques minutes plus tard, le président de France Télévisions va même plus loin, il estime qu'il est "faux, stupide et profondément injuste" de dire qu'il n'y a pas de différences entre les chaînes privées et les chaînes publiques. Quant à la suppression de la publicité et les compensations financières, il considère que le compte n'y est pas, qu'il va travailler tout l'été avec les services de l'Etat et les équipes de France Télévisions pour trouver une solution mais que si les financements ne sont pas garantis, alors il en tirerait toutes les conséquences : "A l'impossible, nul n'est tenu. Je dirais stop". Autrement dit, si rien ne change, il démissionnera à la fin de l'été.
Enfin, s'agissant de la future nomination du président de France Télévisions, Patrick de Carolis n'est pas d'accord : "Je suis très fier d'avoir été élu par le CSA pour qui j'ai une très grande estime" a-t-il expliqué en soulignant qu'il ne ferait aucune concession sur l'indépendance du groupe : "jamais je ne soumettrai une grille de programme ou un concept d'émission à un quelconque visa en dehors de l'entreprise. Que cela soit dit".
A la sortie du conseil des ministres, la ministre de la Culture a déploré les propos du président de France Télévisions. La franchise de Patrick de Carolis a pris tout le monde de court si bien que personne ne sait comment Nicolas Sarkozy va réagir face à ce que l'on pourrait qualifier d'affront public.
L'affaire se complique avec le courrier reçu par la rédaction de Rue89 ce matin. C'est un journaliste du ce site d'informations qui avait réussi à se procurer la vidéo de France 3. Dans ce courrier des avocats de la chaîne, il est indiqué que "la société France 3 estime que cette diffusion non autorisée porte atteinte à ses droits (...) et qu'en conséquence [France 3] demande d'interrompre l'accès à cette vidéo (...) d'en détruire toute copie (...) d'empêcher toute nouvelle mise en ligne (...) et d'indiquer les conditions dans lesquelles [Rue89] s'est procuré la vidéo". En clair, France 3 demande que Rue89 supprime toutes les versions de la vidéo sur les sites de partage en ligne et livre sa source.
C'est la première fois qu'un média menace un autre média de poursuites judiciaires et l'oblige à livrer ses sources. La protection des sources est un des impératifs du métier de journaliste. L'assignation de France 3 a donc de quoi surprendre et jette le trouble sur l'attitude de Patrick de Carolis. Sur RTL, il pose clairement un rapport de force avec Nicolas Sarkozy, mais dans le même temps, il cède à la pression de l'UMP et de l'Elysée en attaquant Rue89 suite à la vidéo du off. En soufflant le chaud et le froid, le président de France Télévisions risque de jouer perdant sur tous les tableaux : son interview de ce matin est une déclaration de guerre contre Nicolas Sarkozy, et l'assignation en justice de Rue89 est aussi un coup sérieux porté à la liberté d'expression sur Internet.
La tension qui monte entre Patrick de Carolis et Nicolas Sarkozy, et entre France 3 et Rue89, s'inscrit dans un contexte de crise d'indépendance des médias d'une manière générale. En proie à des difficultés financières, Le Monde est sous la menace d'une prise de contrôle d'actionnaire externe. En raison des baisses d'audience, PPDA a été évincé du 20 heures de TF1, mais pour des raisons politiques selon plusieurs observateurs. La suppression de la publicité sur les chaînes publiques risque d'asseoir un peu plus la mainmise de l'Etat sur France Télévisions. Et le projet de loi du gouvernement sur Internet inquiète une partie de la blogosphère. Sans sombrer dans la paranoïa excessive, la recomposition du paysage médiatique suscite de réelles interrogations sur l'indépendance des médias vis-à-vis du pouvoir.
- Audiovisuel public : pourquoi Nicolas Sarkozy veut-il supprimer la publicité ?
- Télévision publique : quand Nicolas Sarkozy dénonçait des nominations trop politiques en 1989
- Interview sur France 3 : quand le président s'agace contre un technicien
- 20 heures de TF1 : l'éviction de PPDA est-elle politique ?
- Presse : la crise du journal Le Monde est-elle politique ?
- Filtrage d'Internet : le rapport qui inquiète la blogosphère politique
- Média : les conséquences politiques de l'information spectacle
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Dossier : Sarkozy et les médias : l'information neutralisée par la communication politique