Revue de presse · 16 juil. 2008 à 23:40
C'était une promesse de campagne du candidat Nicolas Sarkozy : laisser aux familles le libre choix de l'établissement scolaire. Créée dans un souci de mixité sociale, la carte sociale imposait le choix de l'établissement scolaire aux familles, en fonction de leur lieu d'habitation. Mais face aux multiples demandes de dérogation, Nicolas Sarkozy a souhaité la supprimer pour mettre un terme à ces passe-droits. Au lieu de freiner ces dérogations, le chef de l'Etat a donc tout simplement décidé de supprimer le système. Désormais, les familles pourront inscrire leurs enfants dans l'établissement de leur choix. Le risque de ghettoïsation est réel : les bons élèves iront dans les bons établissements, et les mauvais élèves seront affectés dans les autres. Seul problème : par principe, les parents souhaitent toujours le meilleur pour leurs enfants. L'affectation devient alors un véritable casse-tête pour les rectorats. Mais les logiciels des rectorats ont trouvé la parade : ne pas tenir compte des voeux de certains élèves.
- Le Monde : La suppression de la carte scolaire renforcera les ghettos
- Rue89 : Affectée de force dans l'un des plus mauvais lycées de France
- Le Point : Assouplissement de la carte scolaire : un millier d'élèves laissés pour compte à Paris
Avec la carte scolaire, un élève était affecté dans l'établissement le plus proche de son lieu d'habitation. Le seul critère géographique avait pour avantage de favoriser la mixité sociale : fils de cadre ou d'ouvrier, bons ou mauvais, les élèves d'un établissement public (collège ou lycée) avaient comme seuls points communs d'habiter dans la même zone géographique. Ce système de carte scolaire était imparfait : de nombreuses dérogations permettaient à certains d'échapper à l'affectation d'office, le critère de zone géographique était parfois aberrant (dans un même quartier, à deux rues près, l'affectation n'était pas la même) et ne permettait pas complètement la mixité sociale (dans un quartier, on trouve rarement toutes les couches sociales). Mais au lieu de corriger ces imperfections, Nicolas Sarkozy a donc préféré supprimer tout le dispositif.
La carte scolaire a été assouplie (avant une suppression totale en 2010), l'affectation est presque libre. Mais en pratique, c'est impossible puisqu'il est difficile de pousser les murs des "bons" établissements pour accueillir tous les élèves. Et comme les familles souhaitent par principe le meilleur pour leurs enfants, les demandes d'affectation ne peuvent pas être toutes satisfaites. Une sélection s'impose. Et c'est là que les difficultés commencent. A l'entrée en Seconde, les familles doivent faire 10 voeux de lycée. Mais les critères de sélection ne sont pas toujours connus des familles. Selon les académies, et l'affluence des demandes, le barème varie : dans l'académie de Paris, le rectorat examine par exemple les voeux en tenant compte des résultats scolaires, de la proximité géographique et de la détention d'une bourse. Un logiciel calcule alors le barème de l'élève et l'affecte dans un établissement en fonction de ses voeux et des places disponibles.
Selon les chiffres communiqués par le rectorat de Paris, à la rentrée 2008, près de 11 500 collégiens vont faire leur entrée en classe de Seconde. Sur ces 11 500, près de 850 n'ont pas été affectés selon leurs voeux. Le rectorat se félicite des ces chiffres et de la faible proportion d'insatisfaits (7,5%). Mais sur le terrain, la situation est toute autre. Et la méthode du rectorat suscite la colère de nombreux parents. Car une fois que les 10 premiers voeux ont été analysés et que l'élève n'a pas le barème suffisant pour les établissements demandés, le logiciel a écrasé le 10ème voeu. En clair, le 10ème voeu a été effacé et remplacé par un établissement moins coté auquel il reste des places. En outre, certains élèves ayant de bons dossiers ont vu leurs voeux rejetés. Comme le système n'est pas transparent, les raisons des refus demeurent inconnues.
Parfois, le logiciel a même ajouté automatiquement un 11ème voeu. C'est ce qu'a raconté un père d'élève au site Rue89 : début juillet, la fille de ce parisien du 14ème arrondissement a été affectée dans l'un des plus mauvais lycées de France (classé 1 862e place sur 1 865 lycées par le Magazine L'Etudiant) alors qu'elle ne l'avait pas mis dans ses voeux. En se rendant au rectorat, le père et la fille ont alors découvert que le logiciel avait ajouté automatiquement ce 11ème voeu. Sans rectification de la part du rectorat, le père envisage de déposer plainte pour "faux et usages de faux". En attendant la réponse du rectorat, les parents pris les devants en inscrivant leur fille... dans le privé.
Pour l'instant, la carte scolaire a été assouplie. Sa suppression totale est programmée pour la rentrée 2010. Mais déjà, les effets pervers d'une telle suppression se font sentir. Et un rapport de deux inspecteurs généraux révèle que la suppression de carte scolaire risque de renforcer les ghettos. Ce rapport, évoqué par le journal Le monde, a eu peu d'échos dans la presse, et pour cause : il est interdit de publication par le ministre de l'éducation, Xavier Darcos, depuis octobre 2007.
Les deux inspecteurs généraux ont étudié les effets de l'assouplissement de la carte scolaire dans 34 départements entre juin et septembre 2007. Et leurs conclusions sont sans appel : "Dans la plupart des départements visités, la question de la survie de certains collèges est ouvertement posée. C'est aux deux extrémités de la hiérarchie des établissements que la mixité sociale est mise le plus rudement à l'épreuve : dans les établissements les plus convoités, il y a peu d'élèves de condition modeste ; dans les collèges les plus évités, ce sont les catégories favorisées qui ont disparu".
La suppression prochaine de la carte scolaire risque d'accroître fortement les inégalités. Présentée comme une réforme de bon sens (chacun est libre de choisir son établissement), cette mesure va surtout favoriser les couches sociales aisées. Car qu'est-ce qu'un mauvais lycée ? C'est rarement le résultat d'un mauvais encadrement (l'affectation d'un enseignant dépend de son ancienneté et non de la qualité de son travail), mais l'accueil d'élèves qui cumulent les difficultés et les handicaps. Or, en supprimant la carte scolaire, le gouvernement va accentuer les inégalités : les bons élèves d'un bon niveau social vont être accueillis dans les bons lycées tandis que les autres établissements risquent de décrocher des classements en raison des conditions de recrutement : des élèves en difficulté, en phase de déscolarisation.
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