Le jackpot de Bernard Tapie : une affaire d'Etat à 395 millions d'euros

Revue de presse · 19 juil. 2008 à 21:34

Bernard Tapie et Nicolas Sarkozy

L'affaire Tapie serait-elle une affaire d'Etat révélée à retardement comme l'explique Arrêt sur Images ? Le 11 juillet dernier, l'organisme chargé de gérer la dette du crédit lyonnais a été condamné à verser 285 millions d'euros à Bernard Tapie. Cette amende record est liée à une affaire qui remonte à 1992. A l'époque, Bernard Tapie avait cédé ses parts d'Adidas au Crédit Lyonnais pour 300 millions d'euros. Mais la banque avait revendu la société 670 millions d'euros deux ans plus tard. Comment expliquer que la valeur de la société ait doublé en seulement deux ans ? Bernard Tapie dénonce alors une arnaque du Crédit Lyonnais qui ne lui aurait pas racheté la société au bon prix.
Seize ans plus tard, la justice reconnaît l'erreur du Crédit Lyonnais et rend à Bernard Tapie 285 millions d'euros, sans compter les intérêts. Fin de l'histoire ? Non, car selon Le Canard Enchaîné, Mediapart, Arrêt Sur Images et Le Nouvel Observateur, l'affaire a été réglée par une justice privée, un tribunal arbitral de trois hommes, qui devraient se partager un millions d'euros au titre de leurs honoraires. Et Nicolas Sarkozy serait intervenu personnellement pour donner un coup de pouce à Bernard Tapie. Décryptage.

Revue de presse du samedi 19 juillet 2008

- Le Monde : Affaire Tapie : pour le tribunal arbitral, le Crédit lyonnais a "failli à ses obligations"
- Mediapart : L'affaire Bernard Tapie : un triple scandale d'Etat (SUR ABONNEMENT)
- Mediapart : L'Etat a donné ordre d'aider Bernard Tapie (SUR ABONNEMENT)
- Arrêt Sur Images : L'affaire Tapie, "scandale d'Etat" révélé à retardement (SUR ABONNEMENT)

Acte 1 : la vente d'Adidas et la "mauvaise" opération de Bernard Tapie

En 1992, Bernard Tapie, secrétaire d'Etat à la ville dans le gouvernement Bérégovoy, veut revendre Adidas, dont il possède 78% des parts. C'est le Crédit lyonnais qui se charge de la transaction pour un montant de 300 millions d'euros. Mais deux ans plus tard, la société Adidas est revendue pour 670 millions d'euros. Bernard Tapie dénonce alors une manipulation du Crédit Lyonnais, qui ne lui aurait pas racheté Adidas au bon prix. En effet, quand Bernard Tapie vend ses parts à une filiale du Crédit Lyonnais, la banque négocie avec d'autres industriels pour revendre la société Adidas qu'elle est sur le point d'acquérir (dès le départ, le Crédit Lyonnais n'avait pas vocation à garder Adidas). Bernard Tapie reproche donc à la filiale du Crédit Lyonnais d'avoir récupéré Adidas au prix le plus faible alors que le Crédit Lyonnais négociait dans le même temps la revente d'Adidas à un prix beaucoup plus élevé.

Acte 2 : Tribunaux classiques contre négociations à l'amiable

Bernard Tapie, qui s'estime victime d'une arnaque de la banque, porte l'affaire devant les tribunaux. En septembre 2005, la cour d'appel de Paris considère que le Crédit Lyonnais a bien commis une série de fautes. La banque est condamnée à verser 135 millions d'euros à Bernard Tapie. Mais en octobre 2006, la Cour de cassation annule ce jugement, considérant que le Crédit Lyonnais n'avait commis aucune faute. Le Crédit Lyonnais est en passe de gagner sa bataille juridique.
C'est là que l'histoire se complique : dans cette affaire, l'Etat est partie prenante car le Crédit Lyonnais, à l'époque, appartenait à l'Etat. Autrement dit, si le Crédit Lyonnais est condamné à verser une amende record à Bernard Tapie, c'est en quelque sorte le contribuable qui va payer. Dès lors, deux clans, au coeur de l'Etat, vont s'affronter : certains vont souhaiter une négociation à l'amiable entre Bernard Tapie et le Crédit Lyonnais (donc l'Etat) pour limiter les dégâts. D'autres vont vouloir laisser la justice suivre son cours, le Crédit Lyonnais ayant remporté une victoire décisive en 2006.

Acte 3 : Le choix de négocier à l'amiable l'emporte en dépit du bon sens

En décembre 2006, le patron du Consortium de Réalisation (le CDR est l'organisme chargé de défendre les intérêts de l'ancien crédit Lyonnais) est atteint par la limite d'âge, il doit donc céder sa place. Le nouveau patron du CDR, nommé par la droite, cède alors à la pression du ministère de l'Economie, et décide de changer de stratégie. Alors que le Crédit Lyonnais avait remporté une victoire importante auprès de la cour de cassation, le CDR décide de ne plus passer par la justice et d'ouvrir des négociations directes avec Bernard Tapie pour trouver un accord à l'amiable. C'est ce revirement de dernière minute, contraire aux intérêts du Crédit Lyonnais et de l'Etat qui étaient en bien partis pour l'emporter, qui fait dire au NouvelObs, au Canard Enchaîné, à Mediapart et ArrêtSurImages, qu'il s'agit d'une affaire d'Etat. Car à partir du moment où les négociations s'enclenchent, on sort de la justice traditionnelle au profit d'une justice privée. Ce type de règlement à l'amiable est sans précédent dans ce genre d'affaire. D'habitude, un "tribunal arbitral" est constitué pour régler de grands litiges internationaux, mais pas pour une affaire de ce type, et encore moins quand la justice ordinaire a été choisie dans un premier temps.

Acte 4 : 285 millions d'euros, un jackpot décidé par trois hommes

En octobre 2007, quelques mois après la victoire de Nicolas Sarkozy après une campagne présidentielle où Bernard Tapie s'est ralliée à lui, l'établissement public chargé de défendre les intérêts de l'ancien Crédit Lyonnais change donc de tactique et entame des négociations à l'amiable par le biais d'un "tribunal arbitral". En clair, la procédure judiciaire classique est stoppée, alors que l'Etat allait l'emporter. Selon les dernières informations de Mediapart, le changement de stratégie a été décidé en hauts lieux, au ministère de l'Economie, vraisemblablement avec l'aval ou à la demande de l'Elysée.
Mais qu'est-ce qu'un tribunal arbitral ? Il s'agit de trois personnalités, privées et indépendantes, choisies par le Crédit Lyonnais et Bernard Tapie : un ancien président du Conseil constitutionnel, un avocat et un ancien président d'une cour de cassation. Ces trois personnalités se sont donc réunies "à la maison du barreau de Paris, et les trois membres du tribunal étaient habillés en civil", selon un journaliste spécialisé interrogé par Arrêt Sur Images. Ces trois personnalités ont donc décidé seules que le Crédit Lyonnais était fautif et qu'il devait à Bernard Tapie la somme de 285 millions d'euros (sans les intérêts). Le document rédigé par les personnalités n'a pas été communiqué car l'accord à l'amiable n'est pas une procédure publique. Du coup, les informations sont sorties dans la presse par bribes et après enquête de journalistes.
En outre, selon Le Monde du 17 juillet 2008, les trois personnalités qui ont rendu cette décision vont être rémunérées à hauteur de 300 000 euros chacune (900 000 euros au total) au titre d'honoraires.

Acte 5 : Un cadeau réel de 40 millions d'euros net pour Bernard Tapie

Avec cette décision, Bernard Tapie a tout simplement touché la super cagnotte d'un super loto. Car non seulement le Crédit Lyonnais va devoir verser 285 millions d'euros, mais en plus, il faudra y ajouter 111 millions d'euros d'intérêts de retard selon le taux en vigueur. En définitif, le gros chèque s'élève à 395 millions d'euros.
Dès que les premiers chiffres ont commencé à circuler dans la presse, Bernard Tapie s'est empressé de préciser que la quasi-totalité de la somme retournera à l'Etat pour éponger ses dettes. Sauf que toute la nuance est dans le "quasi". Selon le Canard Enchaîné, sur les 395 millions d'euros, 283 millions d'euros vont être utilisés pour éponger les dettes de Bernard Tapie. Sur les 112 millions d'euros qui restent, Bernard Tapie devra en reverser 35 millions d'euros à d'autres créanciers et 37 millions d'euros à l'administration fiscale pour des factures impayées. Il lui restera alors... 40 millions d'euros net.

Canard Enchaîné et Bernard Tapie

BONUS : Au fait, pourquoi ce cadeau ?

Dans cette affaire, le Crédit Lyonnais a fait preuve de légèreté dans le meilleur des cas, et a plus certainement voulu rouler Bernard Tapie. Un jugement en appel avait accordé près de 135 millions d'euros à Bernard Tapie (le jugement avait été cassé ensuite au profit du Crédit Lyonnais). Mais en passant par un accord à l'amiable, l'Etat fait fort : il triple la mise pour Bernard Tapie (395 millions d'euros). Ce petit coup de pouce viendrait directement de l'Elysée. Nicolas Sarkozy et Bernard Tapie se connaissent depuis plus de 15 ans. A chaque fois que Nicolas Sarkozy a été en mesure de d'aider l'ancien ministre de Mitterrand, il l'a fait. Durant la présidentielle, Bernard Tapie s'est donc rallié, en toute amitié, au candidat de l'UMP en martelant dans les médias que Ségolène Royal n'avait pas la carrure pour être présidente. En retour, Nicolas Sarkozy a créé les conditions juridiques et politiques pour que le conflit Tapie/Crédit Lyonnais penche en faveur de Bernard Tapie. Et selon le Canard Enchaîné, un retour en politique de Bernard Tapie, aux Européennes de 2009 par exemple, pour gêner le Parti Socialiste, n'est plus à exclure...




POST-SCRIPTUM : Selon les décomptes d'Arrêt Sur Images, l'affaire a été traitée en 1'30 par les 20 heures de TF1 et France 2 le 11 juillet 2008, uniquement pour annoncer la somme de 285 millions d'euros. Depuis, plus rien.

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