Télévision · 4 août 2008 à 21:39
L'émission était passée relativement inaperçue lors de sa diffusion le 18 juillet dernier. Mais elle a connu une seconde vie grâce au net et constitue le premier buzz-vidéo de l'été. Lors de la dernière émission d'Ulysse Gosset "Talk show de Paris" diffusée sur France 24, le ministre des Affaires étrangères, Bernard Kouchner, interrogé sur le bilan de sa première année au Quai d'Orsay, a vertement critiqué un reportage sans complaisance à son égard, diffusé juste avant l'interview.
Selon Le Canard Enchaîné, la colère du ministre ne s'est pas calmée hors-caméra.
Chaque vendredi, Ulysse Gosset présente un talk show d'une heure avec une personnalité politique de premier plan pour commenter l'actualité de la semaine politique à l'étranger. Le "talk show de Paris" fait partie des émissions phares de France 24. La venue de Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères, était donc un événement pour la dernière émission de l'année, sur une chaîne qui est destinée aux francophones du monde entier.
Avant l'interview, un portrait de l'invité est toujours diffusé pour faire réagir celui-ci en plateau. C'est ce portrait que Bernard Kouchner n'a pas supporté. Son parcours politique et associatif est résumé en quelques minutes : "C'est l'humanitaire qui révèle Bernard Kouchner. Le French doctor est de tous les continents. Il s'illustre en Somalie, sac de riz sur l'épaule" explique la voix off, avant de préciser que "son succès politique demeure néanmoins très mitigé". Le portrait est sans concession : le journaliste explique que la politique étrangère est définie à l'Elysée et que Bernard Kouchner ne cesse d'avaler des couleuvres.
Le portrait a manifestement agacé Bernard Kouchner. A la fin du reportage, Ulysse Gosset n'a pas le temps de poser la première question que le ministre des affaires étrangères part à la charge : "On sait qu'on ne doit pas commenter ce qu'on trouve discutable, n'est-ce pas ?". Il critique ensuite point par point toutes les affirmations du reportage, notamment le fait qu'il aurait peu de pouvoir. Face à un invité très remonté, Ulysse Gosset ose demander à Bernard Kouchner comment ça se passe avec Nicolas Sarkozy. Réponse de l'intéressé : "Ben d'après vous ça se passe très mal ! Ben moi je vous réponds que vous vous trompez" et il revient sur le reportage et ces illustrations "bêtasses". Le journaliste tente de calmer le ministre : "C'est une émission de dialogue, parfois avec des points de vue différents...". "Ce ne sont pas des points de vue différents, ce sont des erreurs !" lui répond sèchement Kouchner.
L'échange a donc été musclé et la perte de sang-froid du ministre des Affaires étrangères peut surprendre. Mais selon Le Canard Enchaîné du 30 juillet 2008, Bernard Kouchner s'est davantage énervé encore, au moment d'une pause intervenue en milieu d'émission. Très énervé, il s'en serait pris au journaliste : "C'est incroyable, inacceptable !" "C'est n'importe quoi". Cette scène n'a pas été diffusée sur France 24, mais les caméras tournaient pendant la pause. Or, selon le Canard Enchaîné, il y a peu de chances de voir ce off mis en ligne sur le net. Après l'affaire du off de Nicolas Sarkozy sur France 3, les responsables de France 24 ne veulent pas subir les foudres du pouvoir. Dès la fin de l'émission, la séquence a immédiatement été effacée. Seule une cassette de secours a été conservée, puis mise "en lieu sûr" pour qu'elle ne se retrouve pas sur Dailymotion.
La colère inattendue de Bernard Kouchner intervient dans un contexte de crise à France 24. L'avenir de la chaîne, créée à l'initiative de Jacques Chirac, est incertain. Dans le cadre de la réforme de l'audiovisuel public extérieur, Alain de Pouzilhac et Christine Ockrent, l'épouse du ministre des Affaires étrangères, ont été chargés de réorganiser les médias extérieurs et de regrouper France 24, TV5 Monde et RFI au sein d'une holding unique. Mais les difficultés sont importantes : chaque groupe a sa propre culture d'entreprise, les salariés sont réticents à un rapprochement qui pourrait entraîner à terme une réduction d'effectifs. A TV5, les autres partenaires francophones comme le Canada refusent une fusion qui les marginaliserait. Même le nom de la holding pose problème. Appelée France-Monde dans le pré-projet, elle devra trouver un autre nom car la marque "France-Monde" a déjà été déposée.
A France 24, les journalistes sont dans l'attente de la restructuration préparée par Christine Ockrent. Des têtes pourraient tomber lors de l'annonce du nouvel organigramme. Dans ce climat difficile, le directeur de l'information de France 24 n'avait donc pas besoin de cet incident avec le ministre. Au moment de la pause, il est descendu sur le plateau pour s'excuser de ce portrait à charge, craignant que le ministre ne finisse pas l'émission.
Quand un directeur d'info lâche ses journalistes pour satisfaire un ministre dont la femme dirige la chaîne, cela n'est pas forcément bon signe pour l'indépendance de la presse...
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