breve · 20 août 2008 à 09:23
Selon les derniers chiffres de la sécurité routière pour le mois de juillet 2008, le nombre de tués sur les routes a baissé de 16% par rapport à juillet 2007. Cette force baisse serait liée à la hausse du prix du carburant : le nombre de kilomètres parcourus aurait chuté, et les automobilistes auraient également diminué leur vitesse sur la route pour économiser le carburant. La crise du pouvoir d'achat et la hausse du prix du baril de pétrole ont donc pour conséquence indirecte d'améliorer les chiffres de la sécurité routière. Du côté des politiques, la hausse du prix du baril n'est pas un casse-tête quotidien. La voiture avec chauffeur est une tradition répandue à tous les niveaux de l'Etat.
Politique.net propose une série sur l'argent du pouvoir en 30 épisodes : Quels sont les avantages des collaborateurs des ministères ? Quels sont les revenus des députés ? Comment les partis politiques étaient-ils financés dans les années 1980 ? A chaque fois, les sources sont publiées en bas de page et les estimations recoupées à partir de plusieurs enquêtes.
Episode 14 : Le service public au volant pour les politiques
La voiture avec chauffeur fait partie des attributs du pouvoir. Les ministres roulent en Renault Vel Satis, Safran ou 607. Toutes ces voitures sont prêtées la plupart du temps par les constructeurs qui voient là une bonne occasion d'améliorer leur image de marque quand le 20 heures de TF1 filme la voiture du ministre. Le parc automobile de l'Elysée comprend 55 voitures. Le président de la République en utilise deux : une Renault Vel Satis et une Citroën C6. Le parc automobile de Matignon est plus fourni : il compte 150 véhicules. Une trentaine de véhicules sont utilisés par les membres du cabinet du Premier ministre, les autres sont répartis entre les services rattachés au Premier ministre (ministre chargé des relations avec le parlement, porte-parole).
Ce ne sont pas seulement les ministres qui bénéficient des voitures avec chauffeur. Les plus proches collaborateurs ont aussi accès à ce petit privilège d'Etat. Les huit conseillers les plus influents de l'Elysée ont tous une voiture avec chauffeur en permanence. Les autres doivent se contenter de ce service public roulant occasionnellement. Depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, les chauffeurs du matin et du soir ont été supprimés pour les collaborateurs.
Dans les ministères, un pool de voitures avec chauffeurs est disponible pour aller chercher à leur domicile les principaux collaborateurs. Les voitures de fonction permettent un gain de temps phénoménal : pas de problème de transport en commun, aucune perte de temps pour trouver une place pour se garer, pour faire le plein d'essence, et c'est plus économique que d'avoir recours au taxi. Car, bien évidement, toutes ces voitures avec chauffeur sont un service gratuit.
A la voiture de fonction s'ajoute la vitesse pour les ministres. Lors des déplacements des membres du gouvernement, il n'est pas rare de voir la circulation bloquée, les feux tricolores neutralisés, pour laisser passer le ministre. Lorsque Nicolas Sarkozy était ministre de l'Intérieur et qu'il devait s'exprimer au 20 heures de TF1, tous les feux clignotaient à l'orange et le boulevard était dégagé. Accompagnée de motards et de voitures avec sirène et gyrophares, la voiture du ministre aux vitres teintées pouvait alors s'engager.
Il faut dire que la conduite de voitures de fonction nécessite une certaine précision. Dans une enquête publiée par le magazine "Autoplus" en 2005, le grand public avait découvert que les chauffeurs des ministres ne respectaient pas la circulation routière. En l'espace de quelques jours, de nombreuses infractions au code de la route avaient été constatées par les journalistes d'Autoplus qui suivaient discrètement les convois ministériels : excès de vitesse à répétition, feux rouges grillées, circulation à contre-sens, sens-interdit ignoré. A l'époque, l'affaire avait fait grand bruit et les services du Premier ministre avaient promis une plus grande vigilance.
Les voitures de fonction permettent à leurs utilisateurs de faciliter leur quotidien au travail. Le président de la République ne peut se permettre de prendre les transports en commun, et un ministre doit pouvoir se rendre rapidement à une réunion de travail. L'Etat prend donc en charge tous ces déplacements, ainsi que ceux des principaux collaborateurs. Mais la voiture de fonction n'est pas l'apanage de l'exécutif. De nombreux présidents ou vice-présidents d'organismes publics ont une voiture avec chauffeur. Les conseillers généraux ou régionaux ont aussi leur pool de voitures de fonction.
Comme tout service gratuit, il y a des dérives : il arrive parfois qu'un ancien président de région, qui a perdu l'élection, "oublie" de rendre sa voiture de fonction. Dans d'autres cas, la voiture de fonction sert aussi le week-end pour véhiculer la famille du ministre, ou simplement faire des courses ou aller chercher le journal. Ces dérives sont rarement sanctionnées. Qu'un journaliste enquête sur le sujet, et c'est le respect de la vie privée qui lui est opposée.
Se déplacer gratuitement, griller les feux rouges ne sont pas les seuls privilèges des plus hauts responsables politiques. La République a aussi inventé la voiture avec chauffeur "à vie". Aussi surprenant que cela puisse paraître, certaines fonctions donnent droit à ce privilège une fois que le responsable politique quitte son poste. Par exemple, tous les anciens Premiers ministres conservent une voiture avec chauffeur. Dominique de Villepin, Lionel Jospin, Jean-Pierre Raffarin ne se déplacent que par ce biais, aux frais de l'Etat. Laurent Fabius, Premier ministre de 1984 à 1986 sous François Mitterrand, bénéficie toujours d'une voiture avec chauffeur, 22 ans après avoir quitté Matignon. Ce même privilège est bien entendu réservé aux anciens présidents de la République, Valéry Giscard d'Estaing et Jacques Chirac. Et jusqu'à tout récemment, les anciens présidents de l'Assemblée nationale bénéficiaient eux-aussi d'une voiture avec chauffeur à vie.
La pratique de la voiture avec chauffeur, souvent méconnue du grand public, est donc répandue à tous les niveaux de l'Etat. Faute d'estimations crédibles, il est impossible d'en évaluer le coût pour la collectivité.
*** Sources
- Sylvie Pierre-Brossolette, "Enquête sur l'Etat Sarkozy", Le Point, décembre 2007
- Vincent Quity, Abus de pouvoir, Editions du moment, septembre 2007
Série "L'argent du pouvoir"
1. Le tabou de l'argent du pouvoir
2. Argent de l'Elysée : Emmanuelle Mignon part à la chasse aux gaspillages
3. Salaire et avantages en nature : que paye vraiment le président de la République ?
4. Le coût de la communication du président : 150 000 euros le site internet, et le reste ?
5. Les voyages de Nicolas Sarkozy : entre 3 et 4 avions par déplacement
6. Compagnie aérienne de la République : 8 appareils et 4500 euros l'heure de vol
7. Les ministères : des anciens hôtels de la noblesse d'Ancien Régime
8. Ministère de l'Education : les dépenses inconsidérées de Jack Lang
9. Mobilier national : 16 000 oeuvres prêtées aux ministères sont portées disparues
10. Combien y a-t-il de collaborateurs à l'Elysée et à Matignon ?
11. Le salaire des collaborateurs des ministères : entre 3000 et 6000 euros
12. Restauration : le self-service gratuit des ministères
13. Logements de fonction : quand les contribuables payent les loyers des responsables politiques
14. Voiture avec chauffeur : une tradition répandue à tous les niveaux de l'Etat