Anciens élus, anciens collaborateurs : la pratique coûteuse du replacement

breve · 26 août 2008 à 15:27

ANPE des politiques

Officiellement, il n'existe pas d'ANPE pour responsables politiques. Lorsqu'un élu perd son siège, il a le choix d'attendre et de se présenter à une autre élection en vivant sur ses réserves, ou alors de retrouver son ancien emploi. Comme la plupart des députés sont des fonctionnaires, ils retournent généralement dans leur administration d'origine s'ils n'ont plus aucun mandat. Mais, en réalité, il existe bien une sorte d'ANPE politique : c'est la pratique du replacement.


Politique.net propose une série sur l'argent du pouvoir en 30 épisodes : Quels sont les avantages des collaborateurs des ministères ? Quels sont les revenus des députés ? Comment les partis politiques étaient-ils financés dans les années 1980 ? Les fonds secrets ont-ils disparu ?

Episode 19 : L'ANPE cachée des hommes politiques

Argent du pouvoir

Les nominations occupent un quart du temps d'un conseil des ministres

Chaque mercredi, tous les ministres se réunissent à l'Elysée dans le salon Murat autour du président de la République. Les conseils des ministres sont très formels : il y a la partie A, la partie B, la partie C, et depuis l'élection de Nicolas Sarkozy, une partie D, pour un "Débat entre ministres". Derrière ces appellations un peu obscures se cache une partie généralement esquivée par les médias : la partie "nominations". Ainsi, un quart du temps d'un conseil des ministres est utilisé pour étudier les nominations de hauts fonctionnaires, de cadres administratifs, de chefs d'entreprise publique. Le pouvoir de nominations est très important car il permet à l'exécutif de placer ses hommes au sein de l'appareil d'Etat pour le contrôler. Mais parfois, dans ces listes hebdomadaires de nouvelles nominations passent des cas particuliers, peu médiatisés. Anciens collaborateurs et anciens élus sont souvent discrètement "recasés" par le pouvoir. Question de solidarité.

Solidarités politiques : la nécessité de recaser les recalés

En France, les structures administratives et politiques s'empilent. Certaines sont soumises au suffrage universel, d'autres sont dirigées par des individus qui ont été tout simplement nommés. Ce pouvoir de nomination est très important. Les plus hauts postes relèvent de la décision du président de la République. Mais un élu local possède également ce pouvoir de nomination : en plaçant des proches à la tête d'une commission ou d'une direction départementale ou régionale. Par exemple, lorsque des élections se déroulent au scrutin de liste (élections régionales ou cantonales), il y a beaucoup de demandes et peu de places. Pour consoler les déçus qui ne figurent pas sur la liste, il arrive fréquemment qu'un président de conseil général recase ses "amis" en les nommant pour des missions temporaires. Ce sera toujours un salaire de transition en attendant mieux. Rarement, les responsables politiques abandonnent leurs anciens élus ou anciens collaborateurs.
Les réseaux de relations permettent la plupart du temps aux anciens collaborateurs de retrouver un poste. Par exemple, quand Jacques Chirac a quitté l'Elysée, il s'est assuré de recaser tous ses collaborateurs, l'un dans une ambassade, l'autre au conseil d'Etat, etc.

Missions, rapports : des rentes d'Etat

Dans cette pratique du replacement, la création d'une mission ou la commande de rapports reste la solution de facilité. Par exemple, une ancienne secrétaire d'Etat dans le gouvernement Raffarin, proche de Jacques Chirac, a reçu un lot de consolation lorsqu'elle a quitté son poste au gouvernement : l'exécutif l'a nommée conseiller d'Etat avec pour mission de rédiger un rapport sur "la diversité dans la fonction publique". Celle-ci s'est exécutée en remettant quelques mois plus tard, un rapport d'une centaine de pages. Dans la plupart des cas, le travail est sérieux même si la commande d'un tel rapport n'est pas une priorité. Les armoires de Matignon et de l'Elysée débordent de rapports non lus, souvent commandés par complaisance, pour rendre service à un ancien élu ou collaborateur. Dans d'autres cas, le travail fourni laisse à désirer. C'était le cas par exemple du rapport rédigé par la femme d'un ancien maire de Paris. Ayant pour thème la « francophonie », le contenu du rapport ne valait certainement pas les 200 000 francs qu'elle avait gagnés.
Si Nicolas Sarkozy a généralisé le recours à des commissions ou la création de missions particulières, il semble que le travail fourni soit davantage utilisé que du temps de ses prédécesseurs. Il n'en reste pas moins qu'un rapport non lu ou une mission bidonnée s'apparente à une rente offerte à un ancien élu avant de pouvoir le recaser définitivement.

Le replacement est une pratique quotidienne

Les exemples de replacement sont légion. Mais il est difficile d'en donner quelques exemples précis avec les noms des intéressés sans montrer du doigt tel ou tel, alors que la pratique est généralisée, à gauche comme à droite. On ne citera donc qu'un seul exemple, cité par Vincent Quivy dans son livre intitulé Abus de pouvoir.
Dans les années 2000, l'UMP du Rhône comptait parmi ses membres, Christian Philip, député et potentiel candidat à la mairie de Lyon. Bien implanté localement, il était en revanche inconnu sur la scène nationale. Or, dès 2003, un autre homme politique de l'UMP vise la mairie de Lyon pour les municipales de 2008. Il s'agit de Dominique Perben, ministre de la Justice, puis des transports, dans le gouvernement Raffarin. Pour donner une certaine consistance à sa candidature, Dominique Perben a cherché un point de chute dans le Rhône avant les municipales. Pour les législatives de juin 2007, Dominique Perben a donc réclamé la circonscription de Christian Philip. Mais, ce dernier, décidé à ne pas lâcher son poste de député, a tenté de résister en menaçant de se représenter, avec ou sans le soutien de l'UMP. Une double candidature à droite aurait alors compliqué la tâche de Dominique Perben.
Finalement, tout s'est arrangé. Quelques jours avant les législatives, le Premier ministre, François Fillon, a chargé Christian Philip d'une mission sur la francophonie. Cette compensation a permis à Dominique Perben de se présenter aux législatives dans la circonscription souhaitée.



*** Source
- Vincent Quivy, Abus de pouvoir, Editions du moment, 2007

*** Liens

Série "L'argent du pouvoir"
1. Le tabou de l'argent du pouvoir
2. Argent de l'Elysée : Emmanuelle Mignon part à la chasse aux gaspillages
3. Salaire et avantages en nature : que paye vraiment le président de la République ?
4. Le coût de la communication du président : 150 000 euros le site internet, et le reste ?
5. Les voyages de Nicolas Sarkozy : entre 3 et 4 avions par déplacement
6. Compagnie aérienne de la République : 8 appareils et 4500 euros l'heure de vol
7. Les ministères : des anciens hôtels de la noblesse d'Ancien Régime
8. Ministère de l'Education : les dépenses inconsidérées de Jack Lang
9. Mobilier national : 16 000 oeuvres prêtées aux ministères sont portées disparues
10. Combien y a-t-il de collaborateurs à l'Elysée et à Matignon ?
11. Le salaire des collaborateurs des ministères : entre 3000 et 6000 euros
12. Restauration : le self-service gratuit des ministères
13. Logements de fonction : quand les contribuables payent les loyers des responsables politiques
14. Voiture avec chauffeur : une tradition répandue à tous les niveaux de l'Etat
15. L'argent des députés : salaires, avantages en nature et cagnotte personnelle
16. L'argent des ministres : salaires et indemnités cachées
17. Le cumul des mandats : une pratique extrêmement coûteuse pour la République
18. Un élu local d'une commune de 6 000 habitants peut toucher 7 000 euros par mois
19. Anciens élus, anciens collaborateurs : la pratique coûteuse du replacement

Commentaires