Livres politiques · 13 oct. 2008 à 22:36
Dans L'Enfer de Matignon de Raphaëlle Bacqué, les différents premiers ministres témoignent de la manière dont les dossiers sont gérés. Se plaçant en tant que coordonnateurs de projets et surtout décisionnaires, ils ont l'impression souvent que les résultats prennent trop de temps à venir, mettant ainsi en cause toute la machine administrative, très lourde, très complexe et par conséquent trop lente.
Série 4/9 : L'éternelle lenteur de l'administration
Le Premier ministre doit gérer des dossiers et faire appliquer des décisions. Le problème c'est que parfois, l'administration tarde à mettre en oeuvre les consignes. Ainsi, Dominique de Villepin explique que plus d'une fois, il s'est rendu sur le terrain pour vérifier le bon fonctionnement d'un projet et sur place, on s'indigne parce que rien n'a été fait comme convenu. Quand il se renseigne auprès du bureau, l'ancien Premier ministre comprend qu'un problème, plus exactement qu'il y a un « grain de sable à régler ». Ces petits grains de sable précisément sont une plaie pour les Chefs de gouvernement qui voudraient voir appliquer dans les plus brefs délais les décisions qu'ils prennent sans prendre le risque que le chef de bureau perde l'information.
Alors que les Chefs de l'exécutif travaillent dans l'urgence, les fonctionnaires employés dans l'administration ne sont pas réglés sur le même timing. Michel Rocard rappelle qu'il n'y a eu que deux mesures gouvernementales qui ont été mises en application de façon quasi instantanée : c'est l'abolition de la peine de mort et les variations du taux de la TVA.
Selon Edith Cresson, il n'est pas sain que les collaborateurs des ministres proviennent de l'administration car ils partagent un même point de vue, des méthodes identiques. Au contraire, les collaborateurs, pour apporter du sang neuf aux différents projets à mener, doivent venir de l'extérieur, du privé. Ces collaborateurs connaissent mieux le terrain que l'administration, ne partagent pas obligatoirement les mêmes idées politiques que le ministre. L'administration se montre donc moins efficace que les collaborateurs issus du terrain qui connaissent précisément les dossiers dont il est question. Edith Cresson donne plusieurs problèmes précis auxquels elle a pu remédier, non pas grâce à l'administration mais grâce à ses collaborateurs.
Le premier exemple est celui des ports maritimes trop peu performants par rapport au reste de l'Europe : l'administration se serait montrée muette mais l'ancienne ministre des affaires européennes a compris grâce à ses collaborateurs, présents sur le terrain, qu' « il y avait un problème de statut des dockers. C'était l'évidence et la réalité, et je l'ai réglé ». Si elle s'en était tenue au silence de l'administration, elle n'aurait pas agi et le problème n'aurait pas été réglé.
Toutefois, sa position a été critiquée par certains car les problèmes réglés ainsi ne seraient que « des détails » au regard de ceux qui se posent de façon nationale.
Dominique de Villepin partage le point de vue d'Edith Cresson en rappelant que l'Etat a besoin de collaborateurs extérieurs pour apporter des idées nouvelles auxquelles l'administration n'a pas pensées. Il donne l'exemple de Jacques Attali appelé par le Président Nicolas Sarkozy pour réfléchir à la façon de libérer la croissance.
Alain Juppé est certainement encore plus négatif que Dominique de Villepin en analysant la lenteur de l'administration. Si pour l'un, il ne s'agit que d'un « grain de sable » qui a fait ralentir la mise en oeuvre d'une décision, pour le second il s'agit carrément d'une « mauvaise graisse » : l'administration est trop molle, elle manque d'énergie, de vigueur. Elle est ce que Claude Allègre disait aussi : un « mammouth » qui empêche tout projet d'aboutir. Pire, elle manque aussi d'initiative. Dominique de Villepin raconte que l'on ressort toujours au Premier ministre arrivant de vieilles idées rebattues depuis des années, pour tenter de régler un problème. Encore une fois, l'administration manquerait d'imagination et c'est pour cela que certains ministres font appel à des collaborateurs extérieurs.
Pour Alain Juppé ce n'est pas un bon calcul : « les cabinets ministériels ont tendance à se substituer aux directions de l'administration. C'est un véritable mal français. Les ministres n'ont pas confiance en leurs directeurs et préfèrent faire refaire le travail par leurs collaborateurs. Il suffirait pourtant de changer un directeur, si on n'a pas confiance en lui. Cela mettrait beaucoup plus de légèreté et d'efficacité dans le fonctionnement de l'administration ».
Hormis Lionel Jospin qui loue le travail de l'administration, les autres premiers ministres se plaignent tous de sa lenteur et de son manque d'efficacité. Pour palier ce problème, certains font appel à des collaborateurs de confiance, ou à des personnes issues du privé qui connaissent bien le terrain. D'autres, comme Alain Juppé, estiment qu'il faudrait pouvoir remplacer les directeurs de l'administration qui ne font pas l'affaire.
Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages
L'Enfer de Matignon
- Douze anciens Premiers ministres témoignent
- Président / Premier ministre : les relations tumultueuses du couple exécutif
- Le management d'un gouvernement : un rapport de force permanent
- Les Premiers ministres face à l'inertie de l'administration d'Etat
- La difficile gestion du temps pour un Premier ministre
- Les Premiers ministres face aux secrets et aux mensonges
- La vie à Matignon : dormir pour garder la forme, y habiter pour gagner du temps
- Le départ de Matignon : entre soulagement et regrets
- L'après Matignon : le sentiment de vide des anciens Premiers ministres
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