La difficile gestion du temps pour un Premier ministre

Livres politiques · 14 oct. 2008 à 22:50

Temps d'un Premier ministre

Le temps à Matignon lorsque l'on est Premier ministre n'est pas le même que celui de l'administration, jugée toujours trop peu réactive ni celui des médias qui exigent des résultats immédiats. Les anciens premiers ministres, qui ont accepté de témoigner leur expérience à la journaliste Raphaëlle Bacqué dans L'Enfer de Matignon, partagent tous la même impression d'être en décalage dans le temps avec l'urgence de leurs dossiers. Certains parviennent à gérer le temps, à anticiper les conséquences de leurs décisions, d'autres moins.


Série 5/9 : Le temps d'un Premier ministre est compté...

L'urgence de l'action et le temps de l'explication

Dominique de Villepin s'agace de la lenteur du traitement des dossiers qu'il doit gérer dans l'urgence. Il voudrait qu'au moment où il prend une décision, tout soit mis en place dans l'instant. La lenteur de la réalisation de toute action politique est préjudiciable selon lui car elle ne lui permet pas de garder « toute sa fraîcheur et toute sa crédibilité ».
Il donne un exemple précis : le Contrat Première Embauche. Pour faire admettre son projet aux salariés comme au patronat, il s'est entretenu durant plusieurs semaines avec les dirigeants syndicaux. Il a compris que son projet devait s'appliquer immédiatement pour voir les résultats assez rapidement alors que les syndicats avaient besoin de temps, plusieurs années selon l'ancien Premier ministre, pour comprendre l'intérêt du CPE. Dominique de Villepin ne disposait pas d'un tel temps et très vite les étudiants ont manifesté contre le projet qui a dû être abandonné. L'ancien Premier ministre est persuadé que si les dirigeants syndicaux avaient agi comme lui dans l'urgence, le CPE aurait vu le jour.
Dominique de Villepin se plaint également de la lenteur parlementaire : députés et sénateurs ont besoin de plusieurs semaines pour examiner un texte, respecter toutes sortes de procédures qui prennent du temps. Il avait notamment demandé au Conseil constitutionnel de permettre à son projet sur le CPE d'être examiné plus rapidement mais cela n'a pas été possible car « il se réunit à date fixe, il faut respecter le temps de préparation. Donc nous sommes dans une bataille de temps où vous avez très vite le sentiment d'être isolé par l'urgence de vos préoccupations ».

Agir dans l'urgence pour sauver des vies

Alors que Laurent Fabius pensait avoir passé un mandat relativement calme, il se trouve que par la suite, les décisions prises parfois dans l'urgence, l'ait conduit devant un tribunal. Ce fut le cas avec l'affaire du sang contaminé. Quand Laurent Fabius était Premier ministre, entre 1984 et 1986, on connaissait mal le Sida. On lui a demandé de se positionner sur une question délicate à l'époque : rendre obligatoire un test de dépistage lors d'une transfusion alors que cela coûte très cher. Contrairement à ce que ses conseillers lui ont suggéré, Laurent Fabius a demandé de faire ces fameux tests.
Plusieurs années plus tard, l'ancien Premier ministre a été rattrapé par l'affaire du sang contaminé, accusé d'avoir permis des transfusions sanguines sans faire des tests au préalable. De nombreux sujets ont ainsi été contaminés. Finalement, la juridiction a mis hors de cause l'ancien Premier ministre en montrant qu'il avait su prendre « des décisions rapides qui ont sauvé des vies ».
A l'avenir, Laurent Fabius aimerait qu'il y ait des « capteurs » qui puissent permettre au Premier ministre de prendre les décisions qu'il faut même si elles sont contraires aux recommandations de certains scientifiques qui font autorité.
Comme Dominique de Villepin et la plupart des premiers ministres, Laurent Fabius montre combien il est important pour un chef de gouvernement d'agir dans l'urgence et de prendre des décisions en suivant ses convictions.

Un exemple de temps long : la réforme des retraites

La réforme des retraites ne s'est pas faite en un jour : elle a été pensée sous Michel Rocard puis les différents premiers ministres qui se sont succédé ont tenté de la mettre en place. Finalement, elle sera appliquée sous Jean-Pierre Raffarin et François Fillon.
D'abord Michel Rocard a établi un libre blanc sur les retraites qui a permis de réfléchir au problème. Quand Edouard Balladur l'a succédé, il a poursuivi son travail. Il a décidé d'allonger la durée de cotisation pour les salariés du privé. Par la suite, Alain Juppé a voulu faire trop de réformes à la fois, celle des retraites et celle de la Sécurité sociale. Il est parvenu à avancer en partie dans le remboursement des soins et les ordonnances. Il a dû en revanche faire marche arrière avec sa réforme sur l'allongement des cotisations pour le public ainsi que sur la fin des régimes spéciaux. Lionel Jospin a repensé la réforme des retraites en créant le Comité d'orientation des retraites (le COR) qui a été reprise par Jean-Pierre Raffarin. Après avoir négocié longuement avec les partenaires sociaux et en préparant sur un an sa réforme, l'ancien Premier ministre de Jacques Chirac est parvenu à mettre en place le même nombre d'annuités pour tous. Enfin, François Fillon a mis fin en 2007, malgré les manifestations, aux régimes spéciaux. « [Cette réforme] s'est inscrite dans la suite de tout ce que mes prédécesseurs avaient fait pour les retraites. Comme l'issue logique d'un effort partagé sur vingt ans ».


Les premiers ministres, pour gouverner, ont dû tous se plier à la lenteur de l'administration, aux résistances sociales et politiques. Pour parvenir à obtenir la mise en oeuvre de leurs projets, ils ont dû faire montre de patience ou renoncer, faute de temps.



Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages

*** Liens

L'Enfer de Matignon
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