Livres politiques · 20 oct. 2008 à 22:43
Tous les premiers ministres interrogés par Raphaëlle Bacqué dans son livre, L'Enfer de Matignon (Albin Michel) sont d'accord sur un point : pour tenir à la tête du gouvernement, il faut avoir une très bonne condition physique et morale. Mais le stress du train de vie à la tête du gouvernement use rapidement les premiers ministres qui racontent à la journaliste leurs différentes techniques pour garder la forme et travailler sereinement.
Série 7/9 : La vie quotidienne à Matignon
Les premiers ministres se plaignent pour la plupart (hormis Lionel Jospin qui a un très bon sommeil) de ne pouvoir dormir paisiblement la nuit. Etant de permanence sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ils savent qu'ils peuvent à tout moment être appelés pour régler un problème. Jean-Pierre Raffarin se souvient avoir dû prendre de terribles décisions, en pleine nuit : « quand vous prenez la décision de refuser un chantage à deux heures du matin au téléphone, « Non, la France ne cèdera pas », vous avez quand même du mal à vous rendormir, miné que vous êtes par une question : la décision que je viens de prendre ne va-t-elle pas condamner l'otage, alors même que vous savez que vous devrez parler à sa famille, avec laquelle vous êtes en contact en permanence, dès le lendemain matin ».
Lionel Jospin était très organisé afin de ne pas se laisser submerger par le stress. Afin de ne pas avoir de réflexion sur sa vie de privilégié, il avait décidé de ne pas grossir. D'autre part, pour garder la forme physique, il a continué à faire du sport régulièrement, à mener un train de vie le plus sain possible. Pour se détendre, il affirme avoir eu la possibilité d'écouter de la musique, de lire et de partager du temps avec sa famille, activités que les autres premiers ministres avouent ne plus avoir eues dès leur arrivée à Matignon.
Lors d'un conseil des ministres, Michel Rocard devait recevoir pour le déjeuner Christian Blanc qui avait piloté une mission de dialogue en Nouvelle Calédonie et entre deux ennemis : le leader indépendantiste kanak, Jean-Marie Tjibaou et l'opposant à cette indépendance, Jacques Lafleur. Le déjeuner était de taille pour trouver une solution aux conflits qui avaient fait de nombreux morts en Nouvelle Calédonie. Pour la première fois, en quinze ans, les deux leaders devaient se rencontrer pour discuter du problème. Mais ce jour-là, Michel Rocard n'était pas dans les conditions physiques adéquates : il fut pris de coliques néphrétiques si importantes qu'au cours du déjeuner, il dut quitter la table et se retrouva à prendre un bain chaud en attendant l'arrivée du médecin. Pendant ce temps-là, les adversaires se disputèrent mais finirent par accepter un accord de paix et Michel de se demander « s'il n'y avait pas eu un peu de « on ne peut pas lui faire ça... » ».
Edith Cresson confie qu' « à Matignon, il est difficile d'avoir une vie privée, parce qu'on n'a plus vraiment le temps pour cela ». Toutefois, pour préserver un semblant de vie de famille, elle a préféré garder son appartement et rentrer tous les soirs chez elle, d'autant qu'elle déteste les appartements de Matignon, opinion partagée par la plupart des anciens premiers ministres qui se sont cependant résolus à y vivre par commodité. En effet, au lieu de rentrer tard et de ne plus voir leurs enfants, certains ont choisi d'être sur place pour pouvoir de temps en temps monter dans leur appartement et les voir quelques instants avant le coucher, ce qui n'aurait pas été possible s'ils avaient dû garder leur appartement en extérieur.
Alain Juppé a vu sa fille Clara naître à Matignon et rapporte : « de temps en temps, il m'arrivait, entre 19h30 et 20h, avant un dîner, de pouvoir dégager un quart d'heure pour aller embrasser mes enfants, parce qu'ils étaient à côté ».
En revanche, Michel Rocard n'est pas parvenu à garder un certain équilibre dans son couple : en quittant Matignon, il a divorcé. Sa femme, selon lui, aurait aimé être à sa place et ne parvenait pas à s'effacer pour lui laisser la place qu'exigeait sa fonction. Et l'ancien premier ministre de conclure : « ce genre de fonction, avec ses séquences de travail hallucinantes, le stress, entraîne une disparition de l'intimité qui a forcément des conséquences sur la vie privée. (...) En tout cas, je peux dire que cela n'a pas engagé mes enfants à faire de la politique ».
Le Premier ministre est un homme soumis à des horaires de travail et à un stress immense. Pour parvenir à tenir le cap, il a recours à différentes stratégies : le sport, les loisirs ou le réconfort de la famille. La plupart de ceux qui sont passés par Matignon n'en sont pourtant pas sortis indemnes tant la pression est forte. Ce n'est peut-être pas un hasard si la durée de vie d'un premier ministre est de 2 ans et demi.
- Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages
- Raphaëlle Bacqué et Philippe Kohly, L'Enfer de Matignon, DVD Arte Video
L'Enfer de Matignon
- Douze anciens Premiers ministres témoignent
- Président / Premier ministre : les relations tumultueuses du couple exécutif
- Le management d'un gouvernement : un rapport de force permanent
- Les Premiers ministres face à l'inertie de l'administration d'Etat
- La difficile gestion du temps pour un Premier ministre
- Les Premiers ministres face aux secrets et aux mensonges
- La vie à Matignon : dormir pour garder la forme, y habiter pour gagner du temps
- Le départ de Matignon : entre soulagement et regrets
- L'après Matignon : le sentiment de vide des anciens Premiers ministres
_____________________________________________________
Quiz : Quelle est la durée de vie d'un Premier ministre en politique ?
