Livres politiques · 21 oct. 2008 à 23:10
Il n'est jamais agréable d'être révoqué et les anciens premiers ministres en font un triste bilan dans L'Enfer de Matignon, livre-témoignage de Raphaëlle Bacqué. Pourtant après avoir tenu des mois voire des années dans un climat de stress permanent, certains se sont sentis libérés de quitter leur fonction.
Série 8/9 : La démission des Premiers ministres
Alors qu'il ne s'y attend pas, Michel Rocard entend à la radio qu'on prévoit son départ de Matignon : l'ami de François Mitterrand, Jacques Séguéla, confie à Jean-Pierre Elkabbach que le départ du Premier ministre est imminent. Le lendemain, jour du conseil des ministres, Michel Rocard n'en dit pas un mot au Président de la République mais de façon détournée lui fait remarquer qu'il serait bon de changer un ou deux ministres mal en point. Saisissant la perche, son interlocuteur lui répond qu'un changement radical s'impose impliquant le départ du chef du gouvernement, et ce dans les plus brefs délais.
Michel Rocard estime la situation incongrue sachant qu'il est à 50% d'opinions favorables dans les sondages mais doit se plier aux exigences du président qui ne souhaite pas que l'on révèle aux ministres la décision ce jour-là. Michel Rocard fait donc sa lettre de démission juste après le conseil et quitte Matignon 27 heures plus tard et d'en conclure : « je pense avoir battu ensuite le record de rapidité quant à la durée qui sépare l'heure de signature et d'envoi de la lettre de démission du départ de la dernière caisse d'archives ou d'affaires personnelles de la rue de Varennes. [...] C'est vous dire que l'ambiance n'était pas à faire de vieux os dans ce climat ».
François Mitterrand a justifié l'importance d'un remaniement gouvernemental en rappelant les enjeux des élections législatives. Pour les mener à bien, selon lui, il fallait un Premier ministre moins dans le compromis que dans le combat. Or, précisément Michel Rocard n'était pas l'homme de la situation. Après Rocard, le président de la République a usé deux Premiers ministres, avant de perdre les législatives en 1993.
Raymond Barre et Dominique de Villepin n'ont pas connu ce moment de désaveu de la part du chef d'Etat à leur égard puisqu'ils ont dû quitter Matignon au lendemain de l'élection présidentielle : ils attendaient donc sereinement leur départ. Ils n'ont pas eu de surprise comme un certain nombre de premiers ministres. Raymond Barre a pourtant manifesté un certain regret en quittant sa fonction. Il a d'ailleurs écrit une lettre à Valéry Giscard d'Estaing pour lui confirmer son attachement politique et condamner les manoeuvres de Jacques Chirac qui ont conduit à la victoire de François Mitterrand. On lui aurait reproché cette missive qui affichait un manque de solidarité avec une certaine partie de la droite avant les élections législatives. Il s'est également montré circonspect quant au programme annoncé par la gauche pour diriger la France et exprimé ses inquiétudes face à l'économie et au système monétaire. Finalement, Raymond Barre a quitté Matignon avec regret persuadé que Valéry Giscard d'Estaing aurait remporté l'élection sans la trahison de Jacques Chirac.
Dominique de Villepin, quant à lui, s'est senti terriblement libéré de quitter Matignon après la victoire de Nicolas Sarkozy. Il a mené la passation de pouvoir dans une ambiance assez froide avec François Fillon mais s'est montré satisfait de retrouver sa liberté. Il n'a éprouvé aucune aigreur à partir : « ma démission n'était qu'une formalité, puisque depuis plusieurs semaines, Jacques Chirac préparait son départ et, naturellement, moi aussi ».
Jean-Pierre Raffarin n'a pas quitté Matignon après l'arrivée d'un nouveau président de la République mais après la victoire du « non » au référendum sur la Constitution européenne. Avant même les résultats, le Premier ministre avait évoqué son désir de démissionner pour des raisons personnelles comme politiques mais Jacques Chirac souhaitait attendre la fin de l'année 2005. Le soir des élections, Jean-Pierre Raffarin a de nouveau demandé au président de démissionner : « j'attends donc avec sérénité le rendez-vous du lendemain pour parler avec le président. Nous avons mis au point le lendemain la procédure et ma lettre de démission ». C'est donc de façon concertée et sereine que Jean-Pierre Raffarin a mis fin à sa fonction de Premier ministre.
La durée de vie d'un premier ministre est estimée à 2 ans, passé ce délai celui-ci peut se sentir en sursis. Certains ont quitté à regret leur fonction mais la plupart se sont sentis libres une fois la lettre de démission rendue. Edith Cresson a appris brutalement son départ mais confie avoir été soulagée de quitter un poste aussi stressant où elle n'avait selon elle pas eu le soutien de son gouvernement ni du Président.
- Raphaëlle Bacqué, L'enfer de Matignon, Albin Michel, septembre 2008, 300 pages
- Raphaëlle Bacqué et Philippe Kohly, L'Enfer de Matignon, DVD Arte Video
L'Enfer de Matignon
- Douze anciens Premiers ministres témoignent
- Président / Premier ministre : les relations tumultueuses du couple exécutif
- Le management d'un gouvernement : un rapport de force permanent
- Les Premiers ministres face à l'inertie de l'administration d'Etat
- La difficile gestion du temps pour un Premier ministre
- Les Premiers ministres face aux secrets et aux mensonges
- La vie à Matignon : dormir pour garder la forme, y habiter pour gagner du temps
- Le départ de Matignon : entre soulagement et regrets
- L'après Matignon : le sentiment de vide des anciens Premiers ministres
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