Le cabinet noir : une machine à intox

Livres politiques · 4 déc. 2008 à 23:08

cabinet noir

Le 9 octobre 2008, Le Point publie vingt-trois « Carnets secrets » d'Yves Bertrand, l'ancien patron des Renseignements généraux sous le titre « Un voyage sous les jupes de la République ». Pendant douze ans, entre 1992 et 2004, Yves Bertrand consigna dans ses carnets toutes les rumeurs, ragots et secrets de la République.
A plusieurs reprises, Guy Birenbaum, en tant qu'éditeur de documents politiques, a été approché par Yves Bertrand. Aujourd'hui, il décide de publier un livre-témoignage, Le Cabinet noir, au coeur du système Yves Bertrand aux éditions Les Arènes, son éditeur précédant ayant préféré renoncé à ce projet pour des questions de « confraternité ». Guy Birenbaum raconte comment le patron des RG et son équipe manipulaient les médias pour alimenter la rumeur et déstabiliser les ennemis du président Chirac.


Série : Comment naît une rumeur dans le monde politique ?

Qu'est ce que le cabinet noir ?

Guy Birenbaum publie un livre pour expliquer comment la presse et les médias ont été manipulés par Yves Bertrand, non pas pour le compte des renseignements généraux mais pour son propre compte.
A l'origine, le cabinet noir s'est développé sous Richelieu. C'était un service de renseignements visant à surveiller les agissements et les dires des opposants au Régime. Officiellement, le cabinet noir a disparu en France à la fin du Second Empire.
Pourtant, en 1995, au lendemain de son élection présidentielle, Jacques Chirac aurait décidé de créer un « cabinet noir », avec à sa tête, Yves Bertrand, chargé de surveiller de près ses ennemis et surtout servir ses intérêts. Comme au temps de Richelieu : le but aurait été de surveiller de près les adversaires et de les empêcher de manoeuvrer à leur guise.
Pour mener à bien son cabinet noir, Yves Bertrand a eu besoin de s'entourer d'un réseau. Il aurait fait appel à toutes sortes de personnes qui « peuvent facilement servir de fusibles » en cas de problème, de manière à ne pas mettre le chef du réseau en danger. Des journalistes inexpérimentés, d'anciens taulards, des fonctionnaires auraient été ses principaux complices... Leur rôle est de relayer les rumeurs sur un adversaire encombrant ou un ennemi impertinent. C'est ainsi que Nicolas Sarkozy serait devenu la principale cible d'Yves Bertrand : celui-ci se serait charger notamment de s'infiltrer dans sa vie privée et de colporter des rumeurs ou bien de l'impliquer dans l'affaire Clearstream pour le décrédibiliser politiquement. Nicolas Sarkozy n'aurait pas été la seule victime du cabinet noir : Lionel Jospin, l'adversaire principal de Jacques Chirac à l'élection présidentielle de 2002, aurait également été la cible des manoeuvres d'Yves Bertrand.

Comment propager la rumeur ?

Guy Birenbaum explique longuement dans Le Cabinet noir comment naît une rumeur et surtout comment elle parvient à se propager au point de passer pour une véritable information. Pour commencer, l'équipe du cabinet se met en contact avec différents journalistes. Quand Yves Bertrand s'entretient avec les uns et les autres, il les gâte, leur offre un « bon whisky », les met en confiance. Il les valorise aussi. Ainsi, Guy Birenbaum demande à rencontrer Yves Bertrand à propos de l'affaire Colonna. Un auteur voudrait être publié chez Denoël, dans la collection qu'il dirige. Mais l'éditeur ne croit pas la thèse de l'auteur selon laquelle l'arrestation du meurtrier du préfet Erignac serait un coup monté par Nicolas Sarkozy. Yves Bertrand accepte le déjeuner avec Guy Birenbaum qui est flatté et a envie de croire à ce qu'on lui raconte : « l'homme le mieux informé de France a pris le risque de me confier un secret d'Etat. J'ai édité les bêtes noires de Jacques Chirac - la cassette Méry, Halphen, Montebourg-, lancé une polémique sur les innombrables voyages privés du président au Japon, et on va me confier une bombe journalistique connue d'une poignée d'initiés. Personne d'autre que moi n'est sur le coup ! (...)
Je venais de tomber dans le panneau du roi de la manip'.
Et donc, j'ai fait comme les autres ».


Ecouter et croire les ragots d'Yves Bertrand ne suffit pas : il faut ensuite les propager. Donc Guy Birenbaum, comme les autres journalistes qui pensent tenir un scoop, répète ce qu'on lui a raconté. Peu à peu, la rumeur se répand à travers le tout-Paris, sans la moindre preuve et sans savoir de qui vient la source. L'objectif est de faire de la rumeur une vérité que l'on annonce comme telle dans les médias, convaincu de la véracité de ce que l'on diffuse.
Pour que la rumeur fonctionne, enfin, il faut toujours associer une information vraie à une intox afin de brouiller les pistes, rendre l'histoire vraisemblable et plausible.

Le Cabinet noir est donc un organisme officieux parfaitement organisé. Yves Bertrand, pour son propre compte, a pris des notes dans ses carnets, sur les rumeurs qui se tramaient sur les différentes personnalités publiques, les conversations qu'il entretenait avec elles... Il affirme, pour sa défense, qu'il n'était qu'un simple scribe, habitué depuis toujours à prendre des notes sur tout ce qu'il voyait et entendait. Pourtant, Guy Birenbaum semble croire au contraire que ces notes prises permettaient ensuite d'alimenter des rumeurs au profit de la Chiraquie.



Guy Birenbaum, Le cabinet noir : Au coeur du système Yves Bertrand, Editions Les Arènes, décembre 2008

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