Livres politiques · 9 avr. 2009 à 21:05
Pour évoquer le portrait à charge contre le « meilleur interviewer de France » que brosse Vincent Quivy dans Profession : Elkabbach, il aurait été possible de suivre la logique du livre : commencer par l'époque actuelle et finir par les années 1960, mais il semble plus logique de suivre simplement l'ordre chronologique pour montrer l'ascension de Jean-Pierre Elkabbach. L'objectif de Vincent Quivy n'est pas tant de montrer l'ascension du journaliste que ses amitiés intéressées avec les différents chefs d'Etat. Il s'agit donc dans un premier temps de revenir sur la jeunesse de Jean-Pierre Elkabbach et ses premiers pas dans le journalisme.
Série 2/7 : De Gaulle et Elkabbach
Originaire d'Oran, Jean-Pierre Elkabbach se destine à devenir acteur. Pour mettre en oeuvre son projet, il décide de venir en France, à Paris, tenter sa chance. Mais, contrairement à ses espoirs, il ne parvient à obtenir que des seconds rôles ce qui ne lui permet pas de vivre de cette activité.
Sur les conseils de ses amis, originaires comme lui d'Oran, Jean-Claude Turjman et Robert Pietri, il se lance dans le journalisme, sans chercher à entrer dans une école.
Même si Vincent Quivy dénonce les accointances entre Jean-Pierre Elkabbach et les politiques, il démontre également le contexte particulier dans lequel se retrouve le journaliste à la fin des années 1950. En effet, à cette époque, le général De Gaulle envisage la télévision comme un instrument propre à servir le pouvoir alors que la presse écrite se montrait très critique à l'égard des positions du président sur l'Algérie.
Il commence donc sa carrière de journaliste à la radio-télévision publique d'Oran puis d'Alger. Il devient ensuite reporter à Paris dans la radio d'Etat, future France Inter.
Sur France Inter, c'est la gaulliste Jacqueline Baudrier qui se charge de former le jeune Jean-Pierre Elkabbach. En tant que reporter, il accompagne le général de Gaulle dans ses déplacements en France comme à l'étranger. Selon le journaliste Robert Pietri, c'est Elkabbach qui a été choisi pour remplir cette mission « d'abord parce qu'il abattait un travail considérable. Ensuite, c'est vrai que c'était aussi une mission de confiance ». Grâce à cette fonction auprès du président, le reporter parvient à nouer des liens avec certains ministres comme Pierre Sudreau et Edgar Pisani.
Les différents témoins rapportent que pour réussir, Jean-Pierre Elkabbach consacre son temps à lire livres et journaux, à rencontrer différents intellectuels ou hommes d'actualités...
En 1967, il présente le 13 heures au journal télévisé de Grenoble. Didier Adès se souvient : « [Jean-Claude] Herbelé, Elkabbach, des gens hypersérieux, qui ne cherchaient pas uniquement l'info mais voulaient aussi qu'elle soit correctement dite... »
Sous les ordres du général de Gaulle, les journalistes à cette époque peinent à faire un véritable travail d'investigation. Il leur est difficile de prendre part dans les débats de mai 1968. A la radio, les journalistes prennent la liberté d'évoquer les émeutes et de rapporter les faits, contrairement aux directives de l'Etat. Certains décident de faire grève afin d'affirmer leur indépendance. Comme ses collègues et après quelques jours d'hésitation, Jean-Pierre Elkabbach décide de se mettre également en grève, le 3 juin 1968. Pour Vincent Quivy, le fait que le général de Gaulle soit mis à mal par les étudiants d'abord puis par les Français dans l'ensemble, aurait poussé Jean-Pierre Elkabbach à choisir son camp et prendre de la distance vis-à-vis du président. Selon l'auteur du livre, ce n'est pas par goût pour l'indépendance mais par arrivisme que le journaliste a fait grève. Toutefois, au lendemain de la fin des émeutes et des grèves, De Gaulle reprend les rennes du pouvoir. Plusieurs licenciements à France Inter sont prévus. Jean-Pierre Elkabbach est sauvé mais est mis au placard : il trouve refuge à Toulouse.
Toutefois, l'exil ne dure guère : quand Chaban-Delmas, Premier ministre, désigne Pierre Desgraupes, président de la chaîne de télévision, Elkabbach revient sur le devant de la scène pour présenter le journal télévisé.
Le portrait de Jean-Pierre Elkabbach n'a rien de choquant dans ce chapitre : à une époque où la censure est reine, le jeune journaliste a tenté d'entrer dans la profession, au risque d'être proche du général de Gaulle. Pour Vincent Quivy, c'est par arrivisme qu'il aurait fait grève au sein de France Inter et non par véritable conviction.
Vincent Quivy, Profession : Elkabbach, Editions du Moment, février 2009, 219 pages