Livres politiques · 16 avr. 2009 à 21:00
Selon Vincent Quivy, Jean-Pierre Elkabbach aurait été au sommet de sa gloire en avril 2008 : pilier incontournable des médias comme du microcosme politique, soutien de Nicolas Sarkozy et proche d'Arnaud Lagardère et président de la chaîne parlementaire : Public Sénat. Journaliste et toujours proche du pouvoir, Jean-Pierre Elkabbach mélange les genres.
Série 7/7 : Quand Elkabbach entretient le mélange des genres
Alors que Nicolas Sarkozy se lance dans la campagne présidentielle, il semble que le président de la station radio, Europe 1, Jean-Pierre Elkabbach, se soit complètement mis à son service, au détriment des autres candidats. Vincent Quivy observe d'ailleurs que le président de la chaîne de radio ne tient pas sa place : non seulement il soutiendrait ouvertement la campagne de Nicolas Sarkozy mais en plus il assurerait une émission politique chaque matin comme un journaliste ordinaire. Selon Vincent Quivy, il est rare de se retrouver dans un tel cas de figure puisque ces deux activités - direction et journalisme politique - exigent énormément d'investissement. Un ancien d'Europe 1, répond à cette intrigue : « Honnêtement, le boulot de pdg ne semblait pas l'intéresser beaucoup. Ce qui l'intéressait, c'étaient les attributs du pouvoir, l'apparence, le titre ». Au-delà de cette double casquette, il semble difficile, pour Vincent Quivy, d'allier le simple rôle d'interviewer politique et celui plus important de patron qui donne la ligne éditoriale de la station.
Vincent Quivy reconnaît une autre qualité à Jean-Pierre Elkabbach : celui-ci aurait du nez pou repérer les jeunes loups capables de faire une belle carrière politique. Mais il ne se contente pas de les repérer, il se permet surtout de leur donner des conseils et de leur ouvrir les portes du pouvoir.
Ainsi, c'est lui qui a repéré Rama Yade quand elle est administratrice du Sénat en 2002. il lui propose de le rejoindre à la Chaîne parlementaire Public Sénat pour devenir directrice adjointe des programmes puis directrice de la communication.
De même, concernant ses interviews politiques, il ne souhaite pas piéger ses invités. Selon Vincent Quivy, toutes les questions sont préparées voire négociées. Si un politique ne veut pas s'exprimer sur un dossier sensible qui fait l'actualité, Jean-Pierre Elkabbach rassure son interlocuteur sur le fait qu'ils ne s'étendront pas sur le sujet mais qu'il est primordial d'y répondre. « Il y a toujours un deal, explique un ancien d'Europe 1, poser une seule question sur le sujet qui fâche et promettre ensuite de passer à autre chose ». L'objectif est de mettre en confiance les invités afin qu'ils puissent s'exprimer librement, qu'ils ne soient pas sur la défensive. Didier Adès conclut : « Pourquoi sont-il tous [les politiques] venus chez lui et continuent-ils de faire la queue alors que la station est en perte de vitesse ? Parce qu'ils savent en termes d'image et d'influence ce qu'il représente. Mieux que ça, je pense qu'ils sont contents d'être interviewés par lui ». Toutefois, tous les politiques n'ont pas droit à leur interview : le journaliste a quelques inimitiés.
En 2000, Jean-Pierre Elkabbach est nommé à la tête de la chaîne parlementaire, Public Sénat. Encore une fois, Vincent Quivy s'interroge sur la capacité de pouvoir être payé par le Sénat et interviewer chaque matin, sur Europe 1, les politiques, en toute « dépendance ». Sénateurs ne se sont opposés à cette double fonction puisque cette chaîne vise essentiellement à présenter et promouvoir les travaux parlementaires. Polémique, l'auteur rappelle que cette chaîne a été sujette à caution : « bon nombre d'observateurs ironisent sur l'activité réelle de la « seconde chambre » et pointent l'image tronquée, donnée par la chaîne, d'un univers marqué en réalité l'absentéisme et le manque de dynamisme. Instrument de communication, Public Sénat a, en effet, aussi vocation à démontrer l'utilité et l'efficacité d'une institution en perte de vitesse et de plus en plus remise en question ».
Jean-Pierre Elkabbach soutient le projet, s'enthousiasme pour cette chaîne qui permet de faire connaître au public les travaux sénatoriaux même si l'audience est confidentielle. Selon lui, montrer sous un jour nouveau le Sénat, de façon beaucoup plus dynamique que sur les autres chaînes, permet de donner une autre image, moins caricaturale des parlementaires. Pour Vincent Quivy, Jean-Pierre ElKabbach outrepasse dès lors son rôle de journaliste, passant du côté des sénateurs au détriment des médias.
Les ennemis de Jean-Pierre Elkabbach dénoncent son goût pour le mélange des genres. Vincent Quivy donne l'exemple de l'amitié qui lie le journaliste à Lagardère père et fils. Edwy Plenel notamment s'offusque du fait que l'on puisse être à la fois à la tête d'une chaîne publique comme Public Sénat et sur une grande station privée dirigée par les très puissants Lagardère. Or, précisément ce type de liens permet au groupe privé d'influer sur la nouvelle loi sur l'audiovisuel auprès de leur ami Elkabbach.
Un ancien d'Europe 1 rapporte : « Il est en relation avec les cercles médiatiques, politiques, économiques, dans la confusion permanente. C'est un homme qui est capable de se transformer en promoteur de l'airbus A380 parce qu'il est fabriqué par EADS dont Lagardère est actionnaire ou d'accompagner Nicolas Sarkozy à Alger en tant qu'ami parce qu'il a des liens particuliers avec Bouteflika [président algérien] ».
Jean-Pierre Elkabbach ne saurait tenir sa place et passerait donc d'une fonction à l'autre sans bien les distinguer.
Malgré ces soutiens, le vent semble tourner pour le journaliste. En juin 2008, suite à l'annonce prématurée de la mort de Pascal Sevran, Jean-Pierre Elkabbach quitte la tête d'Europe 1. En avril 2009, il doit également céder sa place à la présidence de Public Sénat.
Vincent Quivy, Profession : Elkabbach, Editions du Moment, février 2009, 219 pages