Fact-checking · 21 avr. 2009 à 19:58
Le 21 avril est une date symbolique. Il y a 7 ans, Jean-Marie Le Pen accédait au deuxième tour de la présidentielle à la suite d'une campagne dont le thème central était l'insécurité. Le "choc" du 21 avril renvoyait le Parti Socialiste dans l'opposition pour un certain temps. Nommé ministre de l'Intérieur après la victoire de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy s'est donc emparé du thème de l'insécurité et a construit sa popularité sur la baisse des chiffres de la délinquance. Sept ans après, devenu président de la République, Nicolas Sarkozy n'a pas oublié l'insécurité.
Mardi 21 avril 2009, Nicolas Sarkozy a organisé une table ronde sur le thème de la "lutte contre l'insécurité et les violences". Cette réunion extraordinaire a eu lieu à Nice en présence des ministres concernés par le sujet : Michèle Alliot-Marie (Intérieur), Rachida Dati (justice), Eric Woerth (ministre du budget). Le maire de Nice, Christian Estrosi, était également présent.
Comme toujours, sur ce thème, la communication est essentielle. Le président de la République n'a pas choisi cette date au hasard. Il s'assure ainsi d'une large reprise dans les médias alors qu'aucune nouvelle annonce n'a été faite. Même les sites internet s'y mettent, comme l'a relevé Arrêt Sur Images, puisque la table ronde a été retransmise en direct sur Lefigaro.fr et Liberation.fr !
Au passage, le chef de l'Etat s'est de nouveau félicité d'avoir fait passer le taux d'élucidation de "25% en 2002" à "38% en 2008". Or, comme nous l'avions déjà évoqué, cette hausse est artificielle. (Lire notre article : comment le ministère de l'Intérieur fait grimper artificiellement le taux d'élucidation)
A l'occasion de ce 21 avril, nous poursuivons notre série en 5 épisodes sur l'insécurité en 2009 en abordant aujourd'hui le chiffre des crimes et délits, ou comment Nicolas Sarkozy transforme des lampadaires en victimes de l'insécurité.
Régulièrement, Nicolas Sarkozy vante les statistiques de la délinquance et martèle un chiffre imparable : entre 1997 et 2002, les chiffres de la délinquance ont augmenté de 15%. Depuis 2002, la délinquance a diminué de 13,5%. En janvier 2009, lors de ses voeux, Nicolas Sarkozy expliquait que "c'est 1,5 million de crimes et délits qui ont été évités aux Français".
Parfois, Nicolas Sarkozy va plus loin en assimilant les crimes et les délits à des victimes potentiels en faisant le raisonnement suivant : moins de crimes et délits, moins de victimes. Michèle Alliot-Marie, qui a succédé à Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur, a poursuivi le même raisonnement. Or, cette interprétation des chiffres n'a aucun sens, comme l'avait démontré Libération dans sa rubrique "Desintox" :
"En février dernier, [Michèle Alliot-Marie avait déclaré] à France Soir : «Les victimes sont au coeur de mon combat pour la sécurité des Français. Dans les chiffres de la délinquance de proximité de l'an dernier, celui dont je suis la plus fière, c'est le nombre de victimes potentielles épargnées : 103 000 !»
MAM procède par amalgame. Le chiffre de 103 000 évoqué correspond à la baisse du nombre de faits de «délinquance de proximité» constatés entre 2007 et 2008. Cette traduction en nombre de victimes vise à frapper l'opinion en «donnant de la chair» aux chiffres. Pourtant, il est bien peu rigoureux d'établir cette équivalence stricte : certains faits de délinquance peuvent léser plusieurs victimes, d'autres n'en lèsent aucune en particulier, tandis ce que certains lèsent des personnes morales.
Dans l'agrégat que compose la délinquance de proximité, on retrouve aussi bien les vols de voiture, que les cambriolages de locaux industriels ou encore les dégradations de biens publics. Pour aller au plus absurde, parmi les «victimes» évoquées par MAM figurent ainsi du mobilier urbain fracassé".
Dans cette confusion des genres, Michèle Alliot-Marie n'a rien inventé, elle s'est inspirée de Nicolas Sarkozy : "En janvier 2003, il déclarait ainsi à propos des chiffres de la délinquance : «En une année, plus de 4 millions de faits constatés, ce sont plus de 4 millions de victimes dont beaucoup ne verront plus l'avenir avec autant de joie et d'insouciance qu'auparavant.» Un décompte des victimes trompeur, voire cocasse. Car Sarkozy parlait de la totalité des faits de délinquance constatés, un ensemble encore bien plus touffu et disparate que la «délinquance de proximité» citée par Alliot-Marie. On y trouve les infractions aux conditions de séjours des étrangers, l'usage de stupéfiants, la fausse monnaie, les vols à l'étalage, les délits de courses et jeux, ou encore les délits de chasse et de pêche, etc..."
Et voilà comment on transforme de la fausse monnaie, des lampadaires dégradés, des sangliers abattus hors-période de chasse... en victimes de l'insécurité.
1. Nicolas Sarkozy et l'insécurité : les dessous des statistiques officielles
2. Insécurité : comment le ministère de l'Intérieur fait grimper artificiellement le taux d'élucidation
3. Alain Bauer : "En matière de vols à main armée, on assiste à une véritable perte de contrôle de la situation"
A suivre...