Le Canard enchaîné · 5 mai 2009 à 19:49
C'est le type d'affaire qui ne fait pas de bruit et qu'on a peu de chances de retrouver à la Une de la presse. Dans son édition du 22 avril 2009, le Canard Enchaîné évoque un rapport de la cour des comptes qui dénonce les dérives d'une structure issue du Quai d'Orsay, "France Coopération Internationale". Ce groupement d'intérêt public, créé en 2002 par Jacques Chirac et Lionel Jospin, est censé exporter l'expertise française dans le domaine administratif : formation d'inspecteurs des impôts à l'étranger, formation de magistrats, etc. Dans un rapport de la Cour des Comptes que le Canard Enchaîné s'est procuré, il est indiqué que la structure a pâti d'"une mauvaise définition de son champ d'action de compétences", de "prévisions financières irréalistes", d'une "comptabilité insouciante" et de "la négligence de la tutelle", c'est-à-dire le ministère des Affaires étrangères. La conclusion est cinglante : "FCI est apparue comme une forme de contre-exemple de ce que doit être un opérateur d'Etat".
Dans cet article intitulé "Des experts du Quai à l'école de Kouchner", le Canard Enchaîné liste les nombreuses dérives de France Coopération Internationale : salaires très élevés, frais de mission douteux, voiture de fonction inutile. Le rapport de la Cour des comptes et l'article du Canard Enchaîné n'ont pas été relayés par les médias. Tout comme le droit de réponse du directeur général de cette structure mise en cause, disponible sur le site internet de la FCI, et qui n'a pas été repris par le Canard Enchaîné. Faute de place sans doute.
Décryptage.
Sur la base d'un rapport de la Cour des comptes, le Canard Enchaîné a dénoncé les dérives de la FCI, structure sous la responsabilité du ministère des Affaires étrangères. Tout y passe :
- Le coût pour les contribuables : Le Quai "met à sa disposition ses locaux - dont FCI ne paie plus le loyer depuis le deuxième trimestre 2006 ! - ses personnels, [et accorde] à cette structure une subvention annuelle : 750 000 euros en 2002, 477 000 en 2007. Normalement, cette contribution de l'Etat devait disparaître à l'horizon de cinq ans. Raté".
- Les salaires trop élevés des dirigeants : "Des émoluments exceptionnellement élevés, aucunement justifiés par les résultats et les performances du groupement, assène le rapport de la Cour des comptes".
- Une voiture de fonction inutile : "407 Peugeot de fonction. L'utilité d'un véhicule de service pour une structure aussi petite reste à démontrer raille la Cour, qui ajoute : Cet avantage en nature aurait dû être (...) déclaré au fisc".
- Des cartes bancaires utilisés n'importe comment : "Carte bancaire de type affaires. Elles sont six en circulation à la FCI. Aucune précaution préalable à leur utilisation n'a été prise (...). Ainsi, la Cour a constaté que des dépenses personnelles sont effectuées avec ces cartes (par exemple, au cinéma la Géode, à Conforama, chez Boulanger, à la Fnac, à M. Bricolage, etc.) qui servent de surcroît à effectuer des retraits d'espèces à titre privé".
La charge du Canard Enchaîné, sur la base du rapport de la Cour des comptes, est donc sans appel. L'article a été publié le 22 avril 2009. Dès le lendemain, le directeur de France Coopération Internationale, mis en cause dans l'article, écrit à l'hebdomadaire satirique pour démentir une bonne partie des informations (lettre au format PDF) :
- Le Canard n'avait pas daté le rapport de la Cour des comptes : dans l'article, le journaliste du Canard n'a pas précisé la date de la publication du rapport de la Cour des comptes. Or, le directeur de FCI précise qu'il y a en eu plusieurs avec des tonalités très différentes :"L'ensemble de votre article se fonde sur un document de la Cour des comptes portant sur la période 2002-2006 dont vous aurez sans doute constaté qu'il s'agit d'un relevé d'observations provisoire daté du 10 avril 2008". Or, depuis, il y a eu un "rapport définitif de la Cour en date du 30 octobre 2008 et un référé du premier Président de la Cour envoyé le 14 novembre 2008 au ministre des Affaires étrangères (...) Ce document ne relève ni faute, ni erreur de gestion".
- Kouchner dans le titre de l'article, mais il n'était pas ministre à l'époque des faits.
L'article laisse entendre que Bernard Kouchner n'a pas bien géré cette structure, comme ses prédécesseurs. Or, le directeur de la FCI rappelle que l'actuel ministre n'était pas en poste pour la période qui concerne le document : "Le contrôle de la Cour auquel vous faites référence couvre la période 2002-2006 et il eut été éclairant pour les lecteurs de le préciser avec plus de force, Bernard Kouchner n'étant pas en responsabilité au Quai d'Orsay durant cette période".
- La FCI ne reçoit plus de subventions de l'Etat : "FCI ne reçoit plus aucune subvention de l'Etat depuis 2008 et assure à ses frais le coût de la location de ses actuels locaux, faisant à ce jour de lui le seul opérateur de ce type à fonctionner sans subvention directe de l'Etat".
- Des salaires dans la moyenne de la haute fonction publique : "l'augmentation dont j'ai bénéficié a été de l'ordre de 25 % et non de 54% comme avancé par la Cour sans que vérification ait à l'époque été faite. J'ajoute que ma rémunération actuelle est équivalente à celle que reçoivent les collègues du Quai d'Orsay placés sur des emplois d'encadrement supérieur".
- L'encadrement de l'utilisation des cartes de crédit : "Sur les cartes de crédit « Affaires » en circulation, le chiffre de « six » que vous évoquez est totalement fantaisiste et n'a jamais été une réalité. Aujourd'hui, deux cartes sont utilisées exclusivement. Elles sont attribuées au Directeur général et au Secrétaire général et ne servent qu'à régler des dépenses effectuées dans le cadre des missions.
J'ajoute que le débit de ces cartes est imputé sur les comptes personnels des détenteurs et non sur le compte bancaire de FCI. Ainsi, pour être plus précis, ces cartes permettent seulement à leur détenteur un différé dans le débit des dépenses en attendant d'être remboursé par le comptable public sur la base des justificatifs et des tarifs de remboursement appliqués aux agents de la fonction publique en mission à l'étranger".
L'article du Canard Enchaîné est passé inaperçu dans le paysage médiatique, le droit de réponse du directeur de la FCI n'a pas été publié par le Canard Enchaîné. A chaque fois, ces oublis sont compréhensibles : l'affaire touche une structure inconnue du grand public sur la base d'un rapport d'une Cour des comptes qui en publie tout le temps. Quant au Canard Enchaîné, avec seulement huit pages, il est matériellement difficile pour l'hebdomadaire satirique de publier les droits de réponse. Mais le Canard aurait très bien pu faire un petit encadré, comme il l'a fait dans le même numéro à propos du permis de construire de Michel Drucker, pour évoquer le courrier reçu et les précisions apportées par le directeur de la FCI. A défaut de l'avoir fait pour éviter de se déjuger, le Canard Enchaîné a préféré l'ignorer. Pan sur le bec !
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