Revue de presse · 22 mai 2009 à 21:15
Depuis le 8 mai 2009, la Grande Bretagne vit au rythme des révélations sur les notes de frais des députés britanniques. Ce scandale a déjà abouti à plusieurs démissions, notamment celle du speaker de la Chambre des communes, c'est-à-dire l'équivalent du président de l'Assemblée nationale en France. C'est le Daily Telegraph qui a sorti cette affaire en achetant un disque dur contenant le détail des notes de frais des parlementaires britanniques. Le journal britannique distille jour après jour de nouvelles informations, plongeant la Grande Bretagne dans un scandale politico-financier retentissant car l'utilisation de l'argent public est en jeu.
- Le Monde : Crise politico-financière en Grande-Bretagne
- Rue89 : Comment les députés gèrent leurs frais de représentation
- Arrêt Sur Images : Scandale des notes de frais : cela pourrait-il arriver en France ?
Combien le Daily Telegraph a-t-il payé le disque dur contenant les notes de frais des 625 députés britanniques ? Plusieurs sources affirment en Grande Bretagne que le journal aurait payé plus de 300 000 euros ces informations. Vu le prix, on comprend pourquoi le journal en fait un feuilleton à rebondissements en publiant chaque jour de nouvelles notes de frais, plus ubuesques les unes des autres. Les 20 remboursements les plus insolites font même l'objet d'un diaporama sur le site du Daily Telegraph.
Par exemple, des députés britanniques se sont fait rembourser du papier toilette, de la nourriture pour chats, une tondeuse à gazon. Tous ces remboursements sont légaux puisque les députés ont fourni des factures. Pour autant, ces remboursements n'ont rien à voir avec des frais de représentation, voilà pourquoi le scandale a éclaté.
Tous les partis politiques sont touchés, le Premier ministre également. Gordon Brown s'est par exemple fait rembourser un abonnement au câble pour sa résidence secondaire, le speaker de la chambre des communes a annoncé sa démission car la presse a révélé que sa femme s'est faite rembourser près de 4 000 livres de taxi simplement pour aller faire du shopping.
Dans la précipitation, de nouvelles règles ont été définies comme l'indique Le Monde : "De nouvelles règles de défraiement devront être définies dans les prochains mois. En attendant, M. Martin a annoncé des mesures immédiates. Les élus, qui peuvent se faire rembourser jusqu'à 24 006 livres par an au titre de l'allocation pour résidence secondaire, ne pourront plus passer en notes de frais l'achat de meubles ou d'équipement, pas plus que leurs dépenses de jardinage ou de nettoyage. Les remboursements d'intérêts de crédits immobiliers pour l'achat d'une résidence secondaire seront limités à 1 250 livres par mois. Les détails de leurs dépenses seront publiés sur Internet tous les trois mois. Ceux dont il sera avéré qu'ils ont enfreint les règles devront rembourser".
Pour éviter des élections législatives anticipées et un discrédit complet de la classe politique, "depuis le 8 mai, 28 députés ont remboursé 146 430 livres de notes de frais qui, pour l'essentiel, avaient été jugées recevables".
En France, il n'y a pas de système de notes frais comme en Grande Bretagne. Les députés français ne se font pas rembourser sur factures, ils reçoivent une indemnité représentative de frais de mandat qui s'élève à 6300 euros brut par mois. Cette indemnité correspond à toutes les dépenses du député imputées à sa fonction : transport, habillement, restauration, frais liés à la gestion de sa permanence de députés (loyer, matériel information, téléphone, etc.).
Outre cette indemnité, les députés ont des avantages en nature comme l'a relevé Rue89 : "Pour leurs déplacements d'abord : quarante allers-retours aériens par an entre leur circonscription et Paris, ainsi que la gratuité pour le train en première classe. Pour leurs communications téléphoniques ensuite : 4700 euros (pour les députés parisiens), 6600 euros (pour les députés de province) ou 10 000 euros (pour les députés d'Outre-mer) par an. Ils pouvaient aussi se voir octroyés deux sortes de prêts à taux préférentiels, de trésorerie dans la limite de 18 000 euros et pour un logement, mais le système sera aboli à la fin de cette année. Une vingtaine de députés (le président de l'Assemblée nationale, les trois questeurs, les présidents de groupe et ceux de commission) ont droit enfin à une voiture avec chauffeur, et quatre d'entre eux (le président de l'Assemblée nationale et les trois questeurs) à un logement de fonction".
Un tel étalage des notes de frais comme en Grande Bretagne ne serait donc pas possible en France puisque les députés n'ont pas à fournir le détail des factures et aucune sanction n'existe en cas d'utilisation abusive de cette indemnité représentative de frais de mandat.
D'une manière générale, l'utilisation de l'argent des élus reste un tabou en France. La presse rechigne souvent à traiter ce genre de sujets pour deux raisons. Tout d'abord, les dépenses des responsables politiques sont souvent considérées comme des informations relevant de la vie privée. La presse s'intéresse donc rarement aux dépenses personnelles, d'autant plus que les documents manquent. Sur cette question, l'administration protège bien les élus en limitant l'accès aux documents officiels comme l'explique Arrêt Sur Images :
"Depuis 2004, les journalistes d'investigation Paul Moreira et Luc Hermann ont lancé la campagne "Libertés d'informer", qui réclame une loi du même type [que celle qui existe en Angleterre donnant accès aux documents administratifs]. Certes, depuis une loi de 1978, des dispositions existent, mais elles sont insuffisantes, estiment les journalistes, qui écrivent : "Elle permet théoriquement l'accès aux documents administratifs auprès de la CADA (Commission d'accès aux documents administratifs). En réalité, elle est rarement utilisée. Tous les documents administratifs sensibles sont systématiquement classés « confidentiel défense ». Dès qu'un document mentionne une identité, il est rendu inaccessible. La moitié des demandes sont refusées. Saisie 4.845 fois en 2004, la CADA a rendu 47,9% d'avis favorables, suivis à 72,6% par l'administration."
Et qu'en bien même la presse sort quelques affaires de dépenses inappropriées, l'information n'a pas l'écho qu'elle mériterait. Soit parce que cela n'intéresse pas, soit parce qu'il y a un risque de poursuites judiciaires liées à l'atteinte à la vie privée ou à la publication de documents ne respectant pas le secret de l'instruction s'il s'agit d'une affaire en cours.
Depuis 2007, nous avons traité à de nombreuses reprises le rapport compliqué que les politiques entretiennent à l'argent. Entre les rumeurs infondées sur le salaire d'Olivier Besancenot, l'augmentation cachée de Nicolas Sarkozy et les dépenses inconsidérées de Rachida Dati ou de Jack Lang quand il était à l'Education nationale, il apparaît que les responsables politiques français bénéficient d'une certaine bienveillance de la part de l'opinion vis-à-vis de ces questions d'argent.
Sur ce sujet, la presse est frileuse. Les informations existent, nous les reprenons systématiquement lorsqu'elles sont vérifiées, mais lorsqu'un article est publié sur un site internet ou dans un magazine, il est rarement repris par les autres médias.
Dernièrement, le magazine Capital a publié les salaires des principaux responsables politiques. L'information a été reprise dans d'autres publications mais toujours de manière très parcellaire.
Sur ce sujet, la question de la protection de la vie privée est un paravent pour éviter de parler de la gestion de l'argent public. De notre côté, nous avons systématiquement repris les informations quand il s'agissait d'argent public et de dépenses dans un cadre purement politique. Les dépenses personnelles de Julien Dray ne nous intéressent pas car elles n'ont pas de liens avec ses activités politiques. En revanche, le salaire de DSK à Washington ou les dépenses de convenance de Christian Estrosi sont des informations comme les autres. Le but n'est pas d'entretenir un antiparlementarisme primaire mais de simplement jouer la transparence qu'exige un régime démocratique.
Cet été, nous allons donc poursuivre notre série sur l'argent du pouvoir en détaillant, jour après jour, le salaire des responsables politiques.
Les dépenses superflues du gouvernement
- Nicolas Sarkozy a perçu son salaire de ministre de l'Intérieur entre mai et décembre 2007
- Christian Estrosi loue un jet privé pour 138 000 euros aux frais de l'Etat
- Compagnie aérienne de la République : 8 appareils et 4500 euros l'heure de vol
- Luxe et politique : Yves Saint Laurent réclamait 39 000 euros à Rachida Dati
- Hausse du budget de l'Elysée en 2007 : un 13ème mois à 29 000 euros pour Nicolas Sarkozy
- Livre : Sarkozy et l'argent roi, par des journalistes du Canard Enchaîné et de Marianne
Le coût de la communication du gouvernement
- Présidence française de l'UE : 1 million d'euros dépensé chaque jour pour la communication
- Le gouvernement fait sa propre publicité pour 4,33 millions d'euros
- Elysee.fr : le site internet à 150 000 euros par an
- L'Etat a financé les média-training de Xavier Darcos pour 122 000 euros
- Rachida Dati a fait exploser le budget de fonctionnement de son ministère
- Plan Banlieue de Fadela Amara : 600 000 euros pour l'annoncer
- Christine Boutin à Lyon : une opération médiatique de 300 000 euros
Budget 2009 de l'Elysée
- La rallonge discrète de 9,2 millions d'euros pour terminer l'année 2008
- Hausse du budget de l'Elysée en 2009 : bataille de chiffres et de communiqués
- Dépenses de l'Elysée : les autres ministères continuent de payer en toute discrétion
- Loyers, télécommunications, frais de fonctionnement : les dépenses de l'Elysée explosent
- Les salaires des collaborateurs de l'Elysée ont augmenté de 50% en deux ans
- Les voyages de Nicolas Sarkozy coûtent 20 millions d'euros par an
Série "L'argent du pouvoir"
1. Le tabou de l'argent du pouvoir
2. Argent de l'Elysée : Emmanuelle Mignon part à la chasse aux gaspillages
3. Salaire et avantages en nature : que paye vraiment le président de la République ?
4. Le coût de la communication du président : 150 000 euros le site internet, et le reste ?
5. Les voyages de Nicolas Sarkozy : entre 3 et 4 avions par déplacement
6. Compagnie aérienne de la République : 8 appareils et 4500 euros l'heure de vol
7. Les ministères : des anciens hôtels de la noblesse d'Ancien Régime
8. Ministère de l'Education : les dépenses inconsidérées de Jack Lang
9. Mobilier national : 16 000 oeuvres prêtées aux ministères sont portées disparues
10. Combien y a-t-il de collaborateurs à l'Elysée et à Matignon ?
11. Le salaire des collaborateurs des ministères : entre 3000 et 6000 euros
12. Restauration : le self-service gratuit des ministères
13. Logements de fonction : quand les contribuables payent les loyers des responsables politiques
14. Voiture avec chauffeur : une tradition répandue à tous les niveaux de l'Etat
15. L'argent des députés : salaires, avantages en nature et cagnotte personnelle
16. L'argent des ministres : salaires et indemnités cachées
17. Le cumul des mandats : une pratique extrêmement coûteuse pour la République
18. Un élu local d'une commune de 6 000 habitants peut toucher 7 000 euros par mois
19. Anciens élus, anciens collaborateurs : la pratique coûteuse du replacement
20. Hauts conseils, hauts comités : des structures qui se sont démultipliées
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DOSSIER : Répartition de la réserve parlementaire : un secret d'Etat bien gardé