Européennes : les raisons d'une campagne invisible à la télévision

Européennes 2009 · 4 juin 2009 à 19:19

Campagne invisible

La campagne européenne touche à sa fin... alors qu'elle n'a même pas débuté à la télévision. "La campagne n'intéresse pas les Français", "le taux d'abstention dépassera les 50%", "les Français ne savent pas à quoi sert un député européen", etc. Le discours est convenu, mais passe en boucle à la télévision. Qui est responsable de cette campagne invisible ? Les médias ? Les politiques ? L'Europe elle-même ?


Analyse.

1. Une Europe complexe, peu incarnée

Le fonctionnement de l'Union Européenne est complexe. Il y a d'abord un vocabulaire à part : commission, conseil européen, conseil de l'Union Européenne, directive. Ces termes sont censés mieux distinguer les institutions européennes des pouvoirs nationaux, au risque d'être un peu abstrait pour l'électeur moyen.
Le fonctionnement de ces institutions est également compliqué : le Parlement européen n'a pas l'initiative des lois, le système de co-décision est très spécifique et les clivages politiques à l'échelle européenne sont parfois différents des clivages traditionnels sur le plan national.
Enfin, l'UE est désincarnée : le président de l'UE change tous les six mois, le président du Parlement Européen est inconnu du grand public, tout comme les principaux responsables de l'Union Européenne. Autant de raisons qui expliquent le peu de visibilité de cette campagne à la télévision, média de masse par excellence.

2. Un scrutin dans huit circonscriptions sans réelle justification

Pour les élections européennes, le territoire a été découpé en huit circonscriptions : Grand Nord, Grand ouest, Ile de France, etc. En dehors des élections européennes, ce découpage électoral n'a aucune réalité territoriale. Difficile dans ce cas d'expliquer à l'électeur socialiste qui suit la campagne de loin qu'il ne votera pas pour le même candidat à Paris ou à Lille. D'ailleurs, qui connaît le candidat UMP, tête de liste dans la région Centre ? Non seulement les huit circonscriptions évoquent peu de choses pour l'électeur, mais ce découpage implique en plus une multiplicité des listes : huit circonscriptions, ce sont huit listes d'un même parti, huit têtes de liste. Un débat à la télévision avec les candidats s'avère impossible.

3. Des candidats secondaires

A la multiplicité des candidatures s'ajoute un manque de visibilité des candidats eux-mêmes. Globalement, les candidats aux Européennes sont des personnalités de second plan ou choisies par défaut, à l'exception de Daniel Cohn-Bendit qui ne revient dans le paysage médiatique que tous les cinq ans.
Par exemple, la tête de liste UMP en Ile de France, Michel Barnier, fait partie des ministres secondaires dans le gouvernement Fillon. La candidature de Rachida Dati est une simple porte de sortie du gouvernement. Quant au numéro 3, Jean-Marie Cavada, il tente une nouvelle fois, après être passé au MoDem, puis à l'UMP pour les municipales, de trouver un mandat. Même constat à gauche même si c'est moins évident (Peillon et Hamon sont candidats) : Harlem Desir, tête de liste PS en Ile de France, n'est pas le candidat le plus médiatique.
En revanche, aucun des responsables politique de premier plan n'est candidat : pas de ministre important du gouvernement Fillon, pas de présidentiable socialiste (Aubry, Royal, Delanoë). Même constat à l'Extrême-gauche et au centre : Bayrou et Besancenot font campagne mais ils ne sont pas candidats. De la dernière élection présidentielle, seul Jean-Marie Le Pen (avec Nihous) est de nouveau candidat aux Européennes, car c'est la seule élection proportionnelle qu'il peut gagner. Voilà pourquoi l'anti-européen Le Pen siège au parlement européen sans discontinuité... depuis 1986.
Résultats : sans tête d'affiches, les chaînes de télévision rechignent à organiser des débats. Seule France 2 organise un débat à 20h50 ce jeudi 4 juin 2009, mais le représentant de l'UMP sur le plateau, Xavier Bertrand, n'est même pas candidat.

4. Des élections sans programmes

Tous les partis politiques ont des programmes. L'UMP d'Ile de France a son petit livre bleu, Europe Ecologie a sa plateforme, le PS a repris le programme élaboré par le Parti Socialiste Européen (PSE). Pourtant, ces programmes semblent invisibles à la télévision et dans les médias d'une manière générale.
Les candidats et les états majors politiques sont les principaux responsables de cet état de fait. Le PS insiste sur le vote sanction contre Nicolas Sarkozy et la politique libérale de Barroso. L'UMP joue la carte de l'insécurité, de l'Europe qui protège et ressort de temps en temps la question de l'adhésion de la Turquie pour mettre le PS en difficulté. François Bayrou a sorti un pamphlet contre Nicolas Sarkozy et se positionne uniquement pour la campagne présidentielle de 2012. Enfin, les extrêmes rejouent le référendum sur la constitution européenne de 2005 en opposant la France du Non et la France du Oui. Le discours est simpliste et se veut efficace pour mobiliser des électeurs en deux minutes top chrono.
De temps en temps, un candidat invité à Dimanche + ou Mots Croisés ressort une idée concrète issue du programme. Mais cette mesure est noyée dans le flux des discours convenus martelés en permanence.

5. Abstention, désintérêt : le questionnement systématique des journalistes

La presse quotidienne et certains sites de presse ont tenté d'expliquer les enjeux de ces élections, le rôle exact des Eurodéputés, avec un certain succès. Les 20 heures ont également consacré au moins 1 minute au rôle du parlement européen. Mais globalement, le questionnement journalistique est souvent identique : les sondages et l'abstention sont au coeur du questionnement, tout comme le désintérêt, réel ou supposé, des Français pour cette campagne européenne. Dès lors, les principaux responsables politiques ne font que commenter une campagne qui n'a pas lieu. Difficile dans ces conditions d'expliquer concrètement quel est le programme défendu.


Pour toutes ces raisons, la campagne des Européennes n'a pas eu lieu. Faute de visibilité et d'audience potentielle, la télévision a ignoré en grande partie les élections européennes pour se consacrer à l'accessoire. Les conditions sont donc remplies pour battre des records d'abstention.
Et pas sûr que la prochaine campagne soit plus suivie : les élections européennes suivantes auront lieu en juin 2014, soit quelques mois après les élections municipales. Deux élections dans la même année, trop pour des électeurs difficilement mobilisables en dehors de la présidentielle, suffisant pour battre des records d'abstention aux Européennes 2014.

*** Liens

Comprendre l'Europe : les institutions
- Qu'est-ce que le Conseil européen ?
- Qu'est-ce que la Commission européenne ?
- Qu'est ce que le Parlement européen ?

Comprendre l'Europe : le fonctionnement des institutions
- Qu'est ce qu'une directive européenne ?
- Quel est le mode de scrutin des élections européennes ?
- Traité européen : Qu'est-ce que le traité de Lisbonne ?
- Traité de Lisbonne : pourquoi les irlandais ont dit non ?
- Pourquoi la gauche et la droite votent-elles souvent la même chose au parlement européen ?

_____________________________________________________
Politique.net : retrouvez tous nos articles sur les Européennes

Commentaires