Revue de presse · 18 juil. 2009 à 10:38
Pour la première fois, la Cour des comptes a épluché les comptes de l'Elysée. Cet acte de transparence, inédit sous la Ve République, a suffit à l'UMP pour saluer le geste de Nicolas Sarkozy qui avait lui-même demandé à l'institution présidée par Philippe Séguin de vérifier les comptes. Comme il n'y avait jamais eu de vérification auparavant, il ne fallait pas s'attendre à des comptes irréprochables.
Dans une lettre de 19 pages, Philippe Séguin a synthétisé les observations faites par la Cour. Et à la page 11, un paragraphe particulièrement surprenant et sobrement intitulé "le cas particulier des études" a attiré l'attention de la presse. On savait que Nicolas Sarkozy était friand des enquêtes d'opinion et en commandaient. En revanche, on ne connaissait pas dans le détail la manière dont l'Elysée commandait ces sondages. Grâce à la Cour des comptes, on vient donc d'apprendre que l'Elysée a eu recours à un intermédiaire pour commander des sondages, dont les résultats d'une partie d'entre eux se sont retrouvés dans la presse.
Traduction : l'Elysée aurait-elle financé de bons sondages publiés dans la presse ? Un institut et deux médias sont nommément cités dans la lettre de Philippe Séguin : Opinion Way et Le Figaro / LCI.
Nicolas Sarkozy utilise les sondages pour connaître l'état de l'opinion sur tous les grands sujets. Trois semaines après sa victoire en 2007, le tout nouveau président a donc demandé aux services de l'Elysée de passer un contrat avec un cabinet d'études pour la commande de sondages. C'est la Cour des comptes qui révèle cet accord dans son rapport qui vient d'être rendu public.
Premier problème :
à la page 11 de la lettre de Philippe Séguin, on apprend qu'aucun appel d'offre n'a eu lieu pour choisir ce cabinet d'études, ce qui est illégal :
Le cabinet d'études choisi par l'Elysée a entièrement géré les commandes de sondages. La Cour des comptes déplore l'absence de contrôle de la part de l'Elysée : "La Présidence n'avait ni la maîtrise, ni le contrôle tant de l'engagement que du montant des dépenses. Aucun bon de commande n'était émis. La Présidence recevait l'étude accompagnée d'une facture indiquant le titre du sondage et sa date de réalisation, sans aucun autre élément permettant d'attester de la réalité du service fait et de son coût réel". Le signalement a été jugé suffisamment sérieux par l'Elysée puisque le contrat a été modifié en mars 2009. En outre, Philippe Séguin explique dans sa lettre que certaines enquêtes se sont retrouvées dans la presse.
Un institut de sondage et deux médias sont montrés du doigt :
Que veut dire ce paragraphe un peu obscur ? Le site d'information Arrêt Sur Images est formel : "L'Elysée payait les sondages OpinionWay / Figaro / LCI". "Bien que la plupart des sondeurs travaillent de façon "confidentielle" pour la présidence, un seul est cité par la Cour, sans doute en raison de l'importance de ses relations avec l'Elysée : Opinion Way. Le cabinet anonyme a facturé en un an 392 228 euros à la présidence pour participer au "politoscope" bimensuel du sondeur. Or, cette enquête est régulièrement publiée par LCI et Le Figaro et il s'avère que "la comparaison des résultats publiés dans la presse et de ceux remis à la Présidence" ne fait "pas apparaître de différence" (...) si l'on comprend bien, ils ont régulièrement utilisé des sondages payés en partie par l'Elysée, sans le mentionner..."
L'affaire est délicate pour deux raisons. Premièrement, si l'Elysée a effectivement financé des sondages qui se sont retrouvés dans la presse, on peut assimiler cela à une tentative de manipulation de l'opinion (on imagine bien que l'Elysée n'a pas communiqué gratuitement de mauvais sondages). Deuxièmement, l'affaire est gênante pour Opinion Way, l'institut étant régulièrement accusé d'être proche du pouvoir. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'Opinion Way a catégoriquement démenti les informations de la Cour des comptes et menacé tout organe de presse de poursuites :
"OpinionWay réalise depuis le début de l'année 2007 une enquête hebdomadaire pour le compte de LCI et du Figaro. Cette prestation régulière fait l'objet depuis cette date d'une facturation par OpinionWay à LCI et au Figaro, et seulement à ces deux medias.
Par ailleurs, une autre prestation réalisée par OpinionWay est citée dans les conclusions de la Cour des Comptes. Cette prestation différente correspond à des questions confidentielles posées régulièrement dans l'enquête omnibus (enquête unique rassemblant des questions achetées par des clients différents, bénéficiant ainsi d'économies d'échelle) d'OpinionWay. (...) Contrairement à ce que laisse entendre la Cour des Comptes, cette autre prestation ne correspond donc aucunement aux questions financées par LCI et Le Figaro."
L'entreprise prévient qu'elle se réserve "le droit d'engager des procédures à l'encontre de tous ceux qui exprimeraient des propos à caractère diffamatoire".
Comme l'a noté Arrêt Sur Images, les 20 heures de TF1 et France 2 sont restés muets sur ces sondages payés par l'Elysée. Laurence Ferrari et David Pujadas sont restés très vagues : "Dans les trois principaux journaux du soir, la place accordée à cette information a été variable : sur France 2 et France 3, le sujet faisait partie des "titres" de l'actualité et était lancé dans les 10 premières minutes du journal. Chez Laurence Ferrari, aucune mention dans les "titres" et il fallait patienter 20 minutes pour en entendre parler".
Au Figaro, le traitement était différent entre le journal papier et le site web comme l'a remarqué @si. Si le site internet a bien évoqué les doutes de la Cour de cours "sur l'opportunité d'une série d'études d'opinion commandées et réglées par la présidence", la version papier ignore la polémique et titre "Séguin salue les efforts de gestion de l'Elysée".
Mais la polémique a rebondi dans la presse. Ce matin, LeMonde.fr plaçait en Une son article sur les sondages payés par l'Elysée, Mediapart révélait hier le nom du cabinet fantôme de l'Elysée, et le site 20 minutes expliquait que "Les journalistes du Figaro ne veulent plus publier de sondages commandités par l'Elysée". Heureusement, on peut supposer que cette polémique va s'arrêter relativement rapidement. C'est l'été, l'opinion est en vacances.
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