Questions d'actualité · 31 mai 2010 à 22:45
Depuis plusieurs semaines déjà, le débat sur la burqa fait la une des journaux. Le Gouvernement voudrait faire voter une loi interdisant le port du voile intégral sans condition mais le Conseil d'État, saisi par François Fillon, a écarté le critère de trouble à l'ordre public. Le Premier ministre souhaitait trouver auprès du Conseil une solution pour permettre au Gouvernement d'élaborer une loi sur la burqa mais celui-ci n'envisage que trois lieux où le port du voile intégral pourraient être interdits : les services publics, les lieux concernés par le plan Vigipirate et les commerces sensibles comme les banques. Toutefois les députés UMP ne semblent guère se soucier de l'avis du Conseil d'État. Ainsi, comme le rapporte Rue89, Patrick Balkany minimise le rôle de l'instance juridique : "Le Conseil d'Etat donne des conseils. On n'est pas obligés de les suivre".
Mais au fait, qu'est ce que le Conseil d'État et quelle est sa fonction ?
Le Conseil d'État est une institution publique très ancienne puisqu'elle remonte au Moyen Âge. À cette époque, les grands du monde aidaient le roi dans le gouvernement de son royaume ainsi que dans l'exercice de la justice. Le terme de « Conseil d'État » n'apparaît qu'au 16ème siècle. Son rôle est double : il est responsable du gouvernement du royaume et du contentieux administratif.
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, René Cassin propose une réorganisation du Conseil d'État : désormais le Conseil sera consulté obligatoirement sur tout projet de loi. Mais avec le général de Gaulle au pouvoir, le rôle du Conseil d'État est remis en cause. Ainsi, si la Constitution donne une place certaine au Conseil en matière législative, de Gaulle s'oppose fortement aux avis rendus par ce dernier. Par exemple en 1962 quand il propose d'élire le président de la République au suffrage universel direct, le Conseil d'État émet un avis défavorable. Qu'à cela ne tienne, de Gaulle passe outre cet avis et organise le référendum qui institue l'élection présidentielle au suffrage direct.
En 1953, le Conseil d'État se dote de tribunaux administratifs qui rendent des jugements concernant les contentieux administratifs. En 1987, sont créées les cours administratives d'appel.
Au final, le Conseil d'État revêt deux fonctions : il est à la fois conseiller du Gouvernement, chargé de donner son avis sur la légalité des projets de lois et juge administratif suprême, c'est-à-dire qu'il a toujours le dernier mot dans les contentieux opposant l'administration et les administrés.
Le Conseil d'État conseille le Gouvernement concernant les projets de lois, les ordonnances voire certains décrets. À la demande du Gouvernement ou sur sa propre initiative, il peut faire des rapports sur un problème juridique qui lui est soumis pour évaluer la possibilité ou non d'élaborer une loi. Depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008, les présidents du Sénat et de l'Assemblée nationale ont le pouvoir également de saisir le Conseil d'Etat pour lui soumettre une proposition de loi.
Ainsi, le Conseil d'État donne son avis sur la qualité des textes qui lui sont soumis. Il veille à ce qu'ils soient correctement rédigés. Il vérifie également que le texte soit légal c'est-à-dire, qu'il respecte par exemple les règles de procédure. Enfin, il établit les avantages et les inconvénients induits dans le texte.
Le Conseil d'État est obligatoirement saisi de tous les projets de loi avant leur dépôt devant le Parlement. Il en est de même avec les projets d'ordonnance avant leur adoption par le Conseil des ministres. Concernant les décrets, ils ne peuvent être modifiés qu'après avis du Conseil d'État. Dans tous les cas, le Conseil d'État n'émet qu'un avis que le Gouvernement n'est pas obligé de suivre.
En revanche, le Conseil d'État peut, si le président de l'Assemblée nationale ou du Sénat le décide, être saisi pour donner son avis sur une proposition de loi parlementaire.
De sa propre initiative, le Gouvernement peut également solliciter l'avis du Conseil d'État sur un problème juridique autre, pour avoir un point de vue sur une question qui fait débat. Ce fut notamment le cas au moment des polémiques sur le port du foulard islamique à l'école en 1989. Le Conseil d'État n'était pas favorable à une loi sur l'interdiction du port du foulard parce que selon lui, il n'y a pas d'incompatibilité avec la laïcité. Jusqu'à 2004 et la loi sur le port de signes religieux ostensibles, les enseignants obéissaient à la circulaire émise par le ministre de l'Éducation nationale, leur laissant l'entière responsabilité d'accepter ou non le foulard en classe...
Enfin, les avis rendus par le Conseil d'État sont secrets, sauf si le Gouvernement en a décidé autrement.
Juge administratif suprême, le Conseil d'État est le juge qui a toujours le dernier mot concernant les activités des administrations. Tous les litiges impliquant une personne publique ou chargée d'un service public (l'État, les établissements publics, les collectivités territoriales...) relèvent de la compétence des juridictions administratives et, en dernière instance, du Conseil d'État. Ainsi, celui-ci est appelé pour juger des pourvois contre les arrêts rendus par les cours administratives d'appel ou les tribunaux administratifs. Le Conseil d'État est également compétent pour rendre des jugements concernant des litiges en matière d'élections municipales et cantonales, ou sur des décrets et autres actes réglementaires.
Il arrive aussi que le Conseil d'État mette en cause la responsabilité de l'administration. Jusqu'à la fin du 19ème siècle, celle-ci jouissait d'un régime d'irresponsabilité, mais peu à peu, le Conseil d'État a révisé sa jurisprudence. Ainsi, en cas de mise en cause de l'administration, celle-ci peut être condamnée à verser des indemnités aux victimes.
En droit, le Conseil d'État est présidé par le Premier ministre, mais dans les faits, la présidence revient à son vice-président.
En matière de conseil, le Conseil d'État détient une section du rapport et des études chargée d'élaborer des rapports et des études. Elle veille également à l'exécution des décisions des juridictions administratives. Le Conseil compte aussi cinq sections administratives :
1. La section de l'intérieur
examine les projets de texte propres aux principes constitutionnels, aux pouvoirs publics, à la sécurité intérieure, à l'administration territoriale de l'Etat, à l'immigration et à l'intégration des populations immigrées, à l'enseignement scolaire, aux médias et à la communication audiovisuelle...
2. La section des finances
examine les projets de texte relatifs aux finances publiques.
3. La section des travaux publics
examine les projets de texte sur la protection de l'environnement, le logement, l'urbanisme, les transports...
4. La section sociale examine les projets de texte sur la santé, la sécurité sociale, le travail et l'emploi.
5. La section de l'administration
examine les projets de texte relatifs à la défense, l'organisation et la gestion de l'administration.
En matière contentieuse, le Conseil d'État possède une section divisée en dix sous-sections ayant chacune un domaine de compétence propre.
Chaque année, le Conseil d'État publie un rapport public faisant dans un premier temps le bilan de l'ensemble de son activité juridictionnelle et administrative et dans un second temps, il aborde un thème au coeur des débats. Ainsi, ces trois dernières années ont été traités le problème de l'administration face à l'Union européenne, le contrat et le droit au logement.
Dans le cas de la loi sur la burqa, le Conseil d'Etat n'a donc qu'un rôle consultatif, il n'empêchera pas le vote de la loi malgré son avis négatif. Une fois la loi votée, seul le Conseil constitutionnel peut l'invalider.
Par Anne-Sophie Demonchy
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