Revue de presse · 27 juin 2010 à 22:19
Alors que la réforme sur les retraites accapare le ministre du Travail, Eric Woerth, Mediapart a publié cette semaine des comptes rendus d'enregistrements piratés de conversations privées de la milliardaire Liliane Bettencourt, mettant en cause, entre autres, le couple Woerth. Ces enregistrements ont été réalisés par l'un des maîtres d'hôtel de Bettencourt, entre mai 2009 et mai 2010. C'est "la fille unique de la milliardaire, convaincue que sa mère est dépouillée de ses biens, (qui) a transmis à la police judiciaire des enregistrements pirates de conversations entre l'héritière de L'Oréal et ses principaux conseillers. Ces documents audio, dont Mediapart a pris connaissance, révèlent diverses opérations financières destinées à échapper au fisc, des relations avec le ministre Eric Woerth et son épouse, ainsi que les immixtions de l'Elysée dans la procédure judiciaire".
Ce nouveau scandale tombe particulièrement mal après les nombreuses autres affaires touchant plusieurs membres du gouvernement ces dernières semaines.
Liliane Bettencourt est une femme extrêmement riche, actionnaire à 27,5% du groupe l'Oréal, sa fortune est estimée à près de 22 milliards de dollars, faisant d'elle la première fortune de France. Mais Liliane Bettencourt est également très âgée puisqu'elle a 87 ans. Sa fille et héritière, Françoise, porte plainte contre l'artiste François-Marie Banier, estimant que celui-ci aurait dépouillé une partie de la fortune de sa mère. Le procès devrait se tenir au cours de la première semaine de juillet, au tribunal de Nanterre.
Quel rapport avec le couple Woerth ? Leur nom apparaît dans les enregistrements piratés que s'est procurés Mediapart. Au cours de l'année 2009, période de l'enregistrement des conversations privées de Liliane Bettencourt, Éric Woerth était ministre du Budget et trésorier de l'UMP tandis que sa femme, Florence Woerth, travaillait pour Clymène, la société chargée de gérer le patrimoine de Bettencourt. D'après les enregistrements, celle-ci aurait obtenu le poste grâce à l'appui de son époux. C'est du moins ce qu'affirme Patrice de Maistre, l'un des conseillers de la milliardaire, lors d'une conversation piratée : "Je me suis trompé quand je l'ai engagée. (...) J'avoue que quand je l'ai fait, son mari était ministre des finances, il m'a demandé de le faire. (...) Et donc si vous voulez, aujourd'hui, sans faire de bruit, je pense qu'il faut que j'aille voir son mari et que je lui dise que avec le procès et avec Nestlé, il faut qu'on soit trop manoeuvrants et on peut plus avoir sa femme. Et puis on lui, on lui, on lui donnera de l'argent et puis voilà. Parce que c'est trop dangereux" . Bien sûr, le service de presse de Woerth, contacté par Mediapart, a nié les faits estimant que Madame Woerth mène sa propre carrière depuis le début de sa vie professionnelle. Elle est entrée chez Clymène par choix professionnel.
Mais ce n'est pas tout, Mediapart dans sa longue enquête revient sur la carrière de Woerth : celui-ci a été responsable administratif et financier du RPR sous Jacques Chirac puis trésorier de l'UMP. Il est donc, pour le site, "incompréhensible qu'Eric Woerth ne se soit pas interrogé sur la légitimité déontologique des fonctions qu'allait occuper son épouse à partir de la fin 2007 auprès de Liliane Bettencourt, alors que lui-même avait en charge à la fois les finances de l'Etat et celles de l'UMP".
Les enregistrements diffusés par Mediapart nous apprennent encore que ce même Patrice de Maistre a proposé, en mars dernier, à la riche Liliane Bettencourt de donner un petit coup de pouce financier à l'UMP. Pour ce faire, il lui donne plusieurs autorisations de paiement. Encore une fois, Éric Woerth va profiter des largesses de Bettencourt. "Valérie Pécresse, rappelle de Maistre, c'est la ministre de la Recherche. Elle fait la campagne pour être présidente de Paris. Elle va perdre, mais il faut que vous la souteniez et c'est des sommes très mineures, des petites sommes. Elle va perdre mais il faut que l'on montre votre soutien. Le deuxième, c'est le ministre du budget. Il faut aussi l'aider. Et le troisième, c'est Nicolas Sarkozy. (...) C'est 7500 euros, ce n'est pas très cher. Vous savez, en ce moment, il faut que l'on ait des amis. Ça, c'est Valérie Pécresse. Ça, c'est Eric Woerth, le ministre du Budget. Je pense que c'est bien, c'est pas cher et ils apprécient". Sûr qu'ils apprécient...
Le problème, c'est que "les versements à un parti ou à un groupement politique sont certes plafonnés à 7.500 euros, mais les versements à un ou plusieurs candidats sont plafonnés à 4.600 euros par élection, explique Mediapart.
De plus, ni Eric Woerth ni Nicolas Sarkozy n'étaient candidats à une élection en ce début d'année 2010. Enfin, le versement de 10.000 euros en marge d'un auditorium « André Bettencourt » installé dans un bâtiment de l'Hôtel de la Monnaie à Paris, pour lequel Eric Woerth ne nie pas s'être entremis, ne laisse pas d'interroger".
Au cours d'une de ces conversations, de Maistre déconseille à Bettencourt de rapatrier les 80 millions d'euros planqués dans deux comptes suisses et, pour plus de précautions, il envisage de les transférer à Singapour, à Hong Kong ou en Uruguay, craignant que les autorités suisses transmettent des informations à la France. Mais cette mesure n'était pas nécessaire puisque finalement la nouvelle convention fiscale entre les deux pays, qui prévoyait cet échange d'information, n'a pas été ratifiée. Or, à cette époque, le ministre du Budget est Éric Woerh, ministre qui met un point d'honneur à lutter contre la fraude fiscale. Sa campagne de communication invitait ainsi les Français possédant des paradis fiscaux à régulariser leur situation. Il paraît peu probable que Woerth comme son épouse n'aient pas été au courant de la situation de Liliane Bettencourt. De nouveau, le cabinet du ministre, interrogé par Mediapart, a nié ces affirmations déclarant : "madame Woerth n'a rien à voir, de près ou de loin, avec les procédures en cours dans l'affaire Bettencourt. Toute tentative pour l'y mêler, à quelques semaines de l'ouverture des débats d'un procès qui ne la concerne en aucun cas, relèverait d'une pure et simple manoeuvre". Quant à Woerth, il ne se serait occupé des déclarations de Bettencourt « à aucun moment et en aucune façon ». Les Woerth, selon le cabinet, n'ont donc rien à faire dans cette fraude fiscale. D'ailleurs Woerth n'a rien à craindre puisque comme l'explique Maître Eolas sur le blog de L'Express, même si la fraude fiscale était avérée, et que Florence Woerth était au courant, elle n'aurait pu le dire à son mari étant tenu au secret professionnel. En effet, "les obligations de dénonciation ne portent que sur les crimes et certains délits, et la fraude fiscale n'en fait pas partie. D'un point de vue déontologique, c'est une autre histoire. On serait là précisément en plein coeur du conflit d'intérêt.
Aussitôt l'enquête publiée, les politiques ont dénoncé l'implication du couple Woerth dans cette affaire, allant jusqu'à demander leur démission, à l'un comme à l'autre.
Ainsi, au PS, Martine Aubry, Benoît Hamon, Harlem Désir et Arnaud Montebourg se sont exprimé officiellement à ce sujet. François Bayrou a également déploré ce scandale : "depuis des années en France, on n'a pas fait respecter le mur de verre qui devrait séparer les affaires d'argent, les affaires privées, des affaires publiques (...) Il y a trop de complaisance, on est constamment en train d'accepter qu'il y ait une immixtion, un mélange» entre le public et le privé".
Pour mettre fin à ces polémiques, Florence Woerth a décidé de démissionner de son poste qu'elle occupe depuis 2007. L'Express du 21 juin rappelle que Florence Woerth, au sein de la société financière Clymène, était chargée du placement des dividendes perçus par Liliane Bettencourt de ses actions L'Oréal. Quant à Bettencourt, elle a annoncé le 21 juin également qu'elle comptait régulariser sa situation : "J'ai décidé de faire procéder à la régularisation de l'ensemble des avoirs familiaux qui seraient encore aujourd'hui à l'étranger, en collaboration avec l'administration fiscale française" a-t-elle affirmé dans un communiqué adressé à l'AFP.
Mais tandis que Florence Woerth et Bettencourt tentent de trouver une issue favorable à leur situation, l'épouse du ministre du Travail ne compte pas en rester là. Les procès risquent de se multiplier. En effet, dès le 20 juin, Eric Woerth a annoncé au « Grand Rendez-vous » Europe 1-Le Parisien que sa femme allait porter plainte contre Arnaud Montebourg qui a osé dire dans un entretien à l'Express.fr : " Nous avons un ministre du Budget, en même temps trésorier de l'UMP, dont la femme travaille à organiser la fraude fiscale de Mme Bettencourt". Woerth s'est déclaré "très choqué" par les accusations de Montebourg, persuadé qu' "on nous prend pour cible, on essaie de me déstabiliser. Personnellement, cela me laisse froid mais je suis très combatif". Deux jours après, dans un entretien à BFM TV, cette fois, Éric Woerth annonce que sa femme portera plainte contre Eva Joly qui avait déclaré : "Il y a une contradiction d'intérêts incroyable, par rapport à sa prétendue lutte contre les paradis fiscaux, alors même que sa femme a participé à l'évasion fiscale de la fortune Bettencourt". Mais ce n'est pas tout, de son côté, Liliane Bettencourt et son conseiller, ont assigné jeudi 23 juin le site Mediapart exigeant le retrait immédiat des conversations privées. Décision jeudi 1er juillet.
En attendant, la contre-offensive médiatique s'organise. Woerth s'est déclaré « très serein » à l'issue de cette semaine riche en rebondissements. Nicolas Sarkozy a apporté son soutien à Woerth. Tout va bien donc ? Sous couvert d'anonymat, ministres et députés sont plus inquiets selon Le Parisien : "En peu de temps, il est passé du statut d'homme fort du gouvernement à celui de maillon faible. On ne sait pas comment il va se sortir de tout cela", dixit un élu UMP. "Il n'y a pas encore le feu à la maison, mais ça commence à y ressembler", s'inquiète un ministre.
Par Anne-Sophie Demonchy
>> A lire également : En 2007, Eric Woerth allait en Suisse pour récupérer des fonds pour l'UMP
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