Questions d'actualité · 2 juil. 2010 à 23:18
L'affaire Bettencourt/Woerth a mis en lumière les risques de conflit d'intérêts inhérents au cumul de différentes fonctions (ministre et trésorier, un pied dans le public, un autre dans les affaires privées). Ces risques sont d'autant plus grands en France que la règlementation est très floue.
Décryptage
Un conflit d'intérêts est une situation dans laquelle un individu a des intérêts contradictoires dans une affaire l'obligeant à faire un choix qu'il estime plus profitable pour lui au détriment d'un autre. Cette situation peut mener à des injustices. Pour éviter ce genre de conflits, en politique, par exemple, l'article 23 de la Constitution stipule que « les fonctions de membres du gouvernement sont incompatibles avec l'exercice de tout mandat parlementaire, de toute fonction de représentation professionnelle à caractère national et de tout emploi public ou de toute activité professionnelle », ce qui signifie donc qu'un ministre n'a pas le droit d'exercer une activité qui le mettrait en porte-à-faux avec sa mission gouvernementale.
En France, il n'y a aucune règle, aucune loi qui oblige un politique à rendre publiques ses différentes activités le mettant en situation de conflits d'intérêts. Un homme politique qui cumule les mandats se retrouve obligatoirement à un moment ou un autre dans une situation de conflit d'intérêts. Ainsi, depuis quelques années, les politiques peuvent devenir avocats, ce qui est problématique car certains embrassent cette profession dans le but de faire valoir leurs intérêts privés. Le conflit d'intérêts n'est pas l'apanage des politiques. Par exemple, un agent de la fonction publique peut avoir un intérêt personnel (comme des actions par exemple) dans une entreprise qu'il gère également. Dans le privé, un chef d'entreprise qui a plusieurs actionnaires peut se retrouver dans une situation de conflit d'intérêts s'il privilégie l'un de ses actionnaires au détriment des autres sous prétexte qu'il peut en tirer un avantage personnel.
Il semblerait que ce fameux article 23 de la Constitution ne soit pas tout à fait respecté. Avec l'affaire Bettencourt, on s'interroge sur la légitimité de la double fonction d'Éric Woerth à la fois trésorier de l'UMP et ministre du Budget entre mars 2007 et mars 2010. Autre point suspicieux : son épouse a géré la fortune de la milliardaire Liliane Bettencourt.
Mais, Woerth est loin d'être le seul homme politique à s'être retrouvé dans une situation d'intérêts divergents. Ainsi Bernard Laporte, lorsqu'il est nommé secrétaire d'État aux Sports, cumule diverses activités aux intérêts incompatibles : associé d'une quinzaine de sociétés dans l'immobilier, la restauration, etc., propriétaire d'un Casino à Saint-Julien-en-Genevois à hauteur de 33%. Dès 2007, la justice s'intéresse de prêt à ses différentes activités. Laporte est impliqué dans une affaire fiscale sur ses investissements dans une chaine de restaurants dont il est associé. Quelques mois plus tard, il est accusé d'avoir proposé à la gérante d'un casino des machines à sous en intervenant directement auprès du ministre de l'Intérieur de l'époque, Nicolas Sarkozy, service qu'il aurait bien sûr facturé au profit de sa société.
Un autre exemple très signification et qui touche cette fois un ministre de l'ouverture : Bernard Kouchner. Début 2009, le livre Le monde selon K de Pierre Péan dévoile que le ministre des Affaires étrangères a été mêlé à un conflit d'intérêts puisqu'en tant que responsable politique il a traité affaires avec le Gabon tout en étant payé pour une mission de consultant sur le système de santé au pays. D'autre part, avec son épouse à la tête du groupe audiovisuel France Monde (France 24, TV5 Monde, RFI), Kouchner est soupçonné de se retrouver, de part sa place au gouvernement, partager entre divers intérêts.
Par Anne-Sophie Demonchy
*** Sources
- Interview de Yves Mény, professeur en science politique, "Eric Woerth, victime expiatoire d'un système", Le Monde du 2 juillet 2010
- Pierre Jaxel-Truer et Sophie Landrin, "D'autres membres du gouvernement Fillon ont déjà été mis en cause pour d'éventuels conflits d'intérêts", Le Monde du 2 juillet 2010
L'affaire Woerth/Bettencourt
- Comment Eric Woerth s'est retrouvé au coeur de l'affaire Bettencourt
- Woerth a son propre parti politique : sans adhérents mais avec de multiples financements
- Eric Woerth savait-il que le fisc avait remboursé 30 millions d'euros à Liliane Bettencourt ?
BONUS : Quand Woerth allait en Suisse pour récupérer des fonds pour l'UMP
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