Enquête · 5 juil. 2010 à 23:35
Méconnu du grand public, Yazid Sabeg est commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances. Caution de la diversité dans le gouvernement Fillon, il s'occupe des mêmes thématiques de Fadela Amara. Pourquoi a-t-il été nommé ? Que fait-il aujoud'hui ? Qui est-il vraiment ?
Série 5/6 : Portrait de Yazid Sabeg
Yazid Sabeg est né le 8 janvier 1950 en Algérie. Son père, Khemessi, fonctionnaire dans l'armée française, a participé à la manifestation de Guelma du 8 mai 1945 opposant les Algériens aux troupes françaises. Les Algériens qui demandaient l'égalité ont été massacrés. Khemessi Sabeg est débarqué de son poste de fonctionnaire et mis en prison. Toutefois, à sa sortie, il retrouve un poste à la police coloniale. Finalement, suivant le conseil de sa femme, Khemessi Sabeg accepte de quitter l'Algérie pour la France. Il s'installe avec sa famille, près de son frère, à Lille. Il devient dès lors docker fluvial.
Même si la famille Sabeg a quitté l'Algérie, Yazid Sabeg n'a pas oublié ses racines. Il revient à Guéma lors des cérémonies annuelles en hommage aux morts du printemps 1945. Dans une interview pour Le Nouvel observateur, il explique que « la France est restée une société coloniale. Les musulmans sont des sous-citoyens, vivant dans des cités-ghettos, sans représentations politiques, soumis à la ségrégation sociale, culturelle, scolaire et politique. On leur interdit d'être fiers d'être français, comme on empêchait leurs pères de devenir citoyens.»
Pourtant, toute sa vie est guidée par ce besoin d'assimilation et non d'intégration : musulman d'origine, il ne pratique pas sa religion. Adolescent, il fait partie des scouts catholiques, fréquente une école jésuite. Enfin, à Paris I, il se rapproche de l'un de ses professeurs en sciences économiques et sociales, qui l'introduit auprès des barons de la démocratie chrétienne. Sabeg déclare d'ailleurs : « Je n'aime pas le mot intégration. Le véritable sujet, c'est l'assimilation. Elle permet une identité propre et une adhésion complète à la société française. Je suis français, de culture française et arabo-berbère, je parle le français et l'arabe et je suis musulman. Je pense que l'assimilation républicaine peut être fondée sur l'adhésion à un modèle socio-culturel fort mais aussi sur l'autonomie individuelle et la liberté de conscience. Il n'y a pas de liberté sans droit à la différence. »
Après son doctorat en sciences économiques, Sabeg qui s'intéresse au secteur pétrolier s'imagine ingénieur dans le secteur pétrolier, sa thèse portant d'ailleurs sur les enjeux du pétrole en 1973. Mais c'est auprès de l'Union des Banques arabes en France, puis à la Datar (délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires) qu'il commence sa carrière et qu'il travaille plus spécifiquement sur les questions migratoires. Il devient conseil du président du groupe de construction Spie Batignolles. Il est chargé des dossiers liés au développement nucléaire et du pétrole. Il reste dix ans dans le groupe. Il décide ensuite de se lancer seul dans les affaires. Il crée alors le fonds d'investissement Euris puis prend la direction générale de la compagnie industrielle et financière Quadral, société soutenue par quelques investisseurs. Selon Le Nouvel Observateur, « le groupe traîne une réputation d'annexe du contre-espionnage français. C'est peut-être ce passif, doublé de gestes en apparence ambigus, qui vaudront à Yazid une mise en examen en 2000. La brigade financière s'inquiète, à l'époque, des contrats d'exploitation de la Compagnie avec l'Angola. Un non-lieu enterra l'affaire ». La société change de nom, CS Communication et Systèmes et se spécialise dans les services informatiques pour le milieu de la défense, les télécommunications et les transports.
Sabeg a connu une ascension professionnelle remarquable, sans doute grâce à son appartenance à la franc-maçonnerie, dont il ne se cache pas : « J'y compte beaucoup d'amis ». Cet entrepreneur a su tisser un réseau de relations tout au long de sa carrière car « un bon réseau, c'est capital. C'est aussi important que d'avoir un groupe parlementaire ». Ainsi, c'est auprès de l'ancien patron d'Axa, Claude Bébéar qu'il travaille à l'Institut Montaigne. Il écrit pour l'Institut un livre, Les Oubliés de l'égalité des chances, avec Laurence Méhaignerie, la fille de Pierre Méhaignerie, l'ancien ministre de la Justice. C'est grâce à Jean-Louis Borloo qu'il est nommé en 2004 à la tête du comité d'évaluation de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU).
Dans le conseil d'administration de CS Communication et Systèmes, siègent le mari de Simone Veil, Antoine Veil et Olivier Barre, le fils de Raymond Barre avec qui Sabeg a travaillé dans les années 1970.
Enfin, Sabeg peut compter sur le soutien de Carla Bruni-Sarkozy, notamment en 2008 quand, au moment de l'élection d'Obama aux Etats-Unis, il lance un manifeste pour l'égalité des chances : « Oui, nous pouvons ! » qui fait écho au fameux « Yes, we can ! », et qui souhaite des « politiques volontaristes de réussite éducative et la promotion des talents dans les quartiers populaires ». Le manifeste a été signé par des responsables politiques de droite comme de gauche. Grâce à ce soutien, opportun, quelques semaines plus tard, Sabeg est nommé Commissaire à la diversité.
Dès janvier 2004, pour l'Institut Montaigne, Sabeg publie avec Laurence Méhaignerie Les Oubliés de l'égalité des chances. Il s'agit d'un livre proposant des actions de l'Etat qui permettrait une meilleure diversité dans le travail comme dans la classe politique. Quelques mois plus tard, il signe avec son frère, Yacine Sabeg, un autre livre sur le même sujet : La Discrimination positive. Pourquoi la France ne peut y échapper ?
En 2005, Jean-Louis Borloo, alors ministre de la Cohésion sociale, du travail et de l'emploi, lui demande un rapport sur la création d'un dispositif de sécurisation des parcours professionnels.
En 2007, il publie De nouvelles perspectives pour la rénovation urbaine défendant la thèse qu'il faudrait une meilleure prise en compte des aspects socio-économiques pour le renouvellement urbain.
En 2008, Sabeg est nommé à la tête de l'Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU). Il s'empresse alors de critiquer le plan Banlieues de la secrétaire d'Etat chargée de la politique de la ville : « Le plan de Fadela Amara ne répond ni aux enjeux de l'heure ni aux ambitions qu'on doit avoir ».
En décembre 2008, Nicolas Sarkozy décide de créer un poste promouvant la diversité. Trois candidats sont envisagés : Malek Boutih, l'ancien président de SOS Racisme de 1999 à 2003 et depuis 2003 secrétaire national du PS chargé des questions de société, Richard Descoings, directeur de Sciences Po, et Yazid Sabeg. Le choix s'est finalement porté sur le dernier qui devient alors commissaire à la Diversité et à l'Égalité des chances. En tant que commissaire, il ne fait pas partie du gouvernement et ne dispose pas de sa propre administration. Il ne semble pas s'émouvoir de ne pas participer au Conseil des ministres : « C'est de toute façon un lieu très formel où personne ne parle après le président. La politique se fait ailleurs, dans les comités interministériels, avec le secrétaire général de l'Elysée ou le président. » a-t-il déclaré. Il ne cherche pas à être élu ? « De cette façon, je n'ai aucun pré carré à défendre. »
D'ailleurs, Sabeg ne souhaite pas faire de la politique un métier. Il partage son temps entre son poste de président de Communication et Systèmes et celui de commissaire à la diversité, mission qu'il exécute de façon bénévole. C'est en tant que président de sa société qu'il gagne largement sa vie : d'après les données publiées par CS, ses revenus en 2008 s'élevaient à 582 668 euros. Sabeg en est d'ailleurs très fier : « pour moi, la politique ne sera jamais alimentaire. C'est ma force : je n'ai pas besoin de la politique pour vivre. »
D'ailleurs, Sabeg a tout à gagner de cet arrangement puisque sa société compte des clients très influents comme le ministère de l'Intérieur. CS aurait, selon la lettre A, également signé un contrat, après appel d'offres, avec le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN). Or, ce contrat, signé le 26 février 2010, pourrait entrainer une situation de conflits d'intérêts entre le Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité nationale et CS dirigée par Sabeg, puisque les deux dépendent de Matignon.
Les relations entre Sabeg et Fadela Amara sont tendues : tous deux travaillent sur un même sujet - l'emploi dans les quartiers difficiles - mais ils ne partagent pas les mêmes idées. Tandis que la secrétaire d'Etat prône l'égalité des chances sans distinction, Sabeg défend la discrimination positive. L'Elysée a commandé au commissaire un rapport sur les mesures à mettre en oeuvre pour lutter contre les discriminations. Le problème, c'est que ses missions empiètent sur celles de Fadela Amara. Mais pour prendre le dessus, Sabeg rappelle l'importance de la cohésion sociale et souhaite « qu'il n'y ait qu'un seul budget opérationnel » et « qu'au niveau régional, le préfet dispose d'un Budget opérationnel de programme (BOP) interministériel unique avec au niveau départemental, des unités opérationnelles (UO) regroupant l'ensemble des moyens financiers et humains ». Et « qu'il n'y ait plus qu'une seule collectivité compétente » : « les villes, les communautés urbaines ou d'agglomération sont les mieux placées. »
C'est en mai 2009 qu'il remet son rapport proposant trente sept mesures dans des domaines divers comme les filières technologiques, les statistiques ethniques... Le quotidien 20 minutes s'est penché sur ses mesures et le bilan est plutôt mitigé. Concernant l'expérimentation du CV anonyme, un décret devrait être voté mais rien n'est encore fait. L'observatoire de la parité, de la diversité et de l'égalité des chances n'est toujours pas créé et aucune date n'est fixée. Pour la réduction des inégalités d'accès à la formation, des efforts sont encore à fournir puisque le quota de 30% de places aux élèves boursiers en classe préparatoire aux grandes écoles est respecté mais le nombre de places dans des internats d'excellence a été divisé par deux.
Sans budget réel et hors du gouvernement, Sabeg n'a pas un réel poids dans le projet politique actuel. C'est alors sans doute, grâce à ses multiples réseaux, qu'il peut convaincre. Quand on lui rappelle ces différents obstacles, il répond : « Ça me donne ma liberté. Les forces de changement ne sont pas aujourd'hui dans l'appareil d'Etat, même s'il y a des gens très bien. Ce qui compte, ce n'est pas de faire voter une loi mais de faire bouger les idées. »
Par Anne-Sophie Demonchy
*** Sources
- Claude Askolovitch, « Français d'élite » in Le Nouvel observateur 01/04/2004
- Sidonie Beaujeu, « Le rapport Sabeg à l'épreuve des faits » in 20 minutes, éditions du 16/03/2010
- Luc Bronner, « Yazid Sabeg, l'ovni de la diversité » in Le Monde, édition du 06/02/2010
- « Commissaire Yazid, et businessman Sabeg, in arretsurimages.net, 24/03/2010
- Catherine Simon, « Yazid Sabeg Le Robin des beurs » in Le Monde 16/12/2008
- « Yazid Sabeg, l'atout « diversité » de Sarkozy » in Lepoint.fr, édition du 17/12/2008