La Semaine politique · 28 nov. 2010 à 23:49
Moderne. En jogging, en ray-ban ou devant un camion-pizza, Nicolas Sarkozy voulait dépoussiérer la fonction présidentielle. Trois ans après son élection, il est finalement devenu rétro en reprenant les vieux tubes de ses prédécesseurs : des écoutes téléphoniques (comme Mitterrand ?) ou des financements occultes (comme Chirac ?). Pas de preuves évidemment, mais le vague sentiment d'un éternel recommencement. Au moins, on peut se consoler en se disant qu'il n'y aura jamais d'affaire de diamants comme sous Giscard (puisqu'on peut les effacer avec photoshop).
Cette semaine, Sarkozy est donc devenu rétro, et plus précisément rétro-commission avec l'affaire Karachi. L'affaire Karachi, ça vous dit quelque chose ? Un dossier tentaculaire, qui s'enrichit jour après jour. A peine après avoir digéré les multiples rebondissements de l'affaire Woerth/Bettencourt (l'épisode 72 devrait sortir prochainement en DVD), les citoyens sont censés suivre la nouvelle série "Karachi dans les pattes de Sarkozy". Encore plus compliquée que l'affaire Woerth/Bettencourt. Et avec encore moins de chances d'aboutir avant 2012. Alors pourquoi s'y intéresser ? Parce que la démocratie le vaut bien.
SR
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En juin 2009, Nicolas Sakrozy qualifiait de « fable » l'existence de rétro commissions dans l'affaire Karachi. Un an plus tard, quand on découvre que le ministère du Budget aurait autorisé la création d'une société au Luxembourg chargée de distribuer des commissions obscures, il déclare : « peut-être que le ministère l'a fait à un moment ». Un demi aveu ?
Retour sur une affaire qui refait surface, seize ans après.
Tout commence le 21 septembre 1994. Ce jour-là, un contrat baptisé « Agosta » est signé entre la France et le Pakistan, pour la vente de trois sous-marins. Plusieurs intermédiaires sont censés toucher des commissions : la Société chargée de l'export des produits militaires français (6,25%), deux intermédiaires libanais, Ziad Takkeddine et Abdul Rahman (4%). Jusque là, rien d'anormal, puisqu'à l'époque, ces commissions étaient tout à fait légales.
Au même moment, la campagne présidentielle bat son plein. La droite est divisée : Jacques Chirac, candidat officiel du RPR se voit opposé au sein même de son parti à Edouard Balladur. Un problème se pose pour ce dernier. Comment financer la campagne présidentielle de 1995 sans les ressources du RPR destinées à la campagne de Jacques Chirac ? C'est ce qui explique les soupçons qui pèsent sur Edouard Balladur et son équipe de l'époque, Nicolas Sarkozy en tête : le 26 avril 1995, le compte de campagne a été crédité de 10 millions de francs, en liquide. Ils pourraient provenir de rétro commissions : une partie des commissions perçue par les intermédiaires devait ensuite être reversée en France.
En 1995, Jacques Chirac est élu Président de la République. Il prend connaissance de la vente des sous-marins et des commissions qui en découlent. Il demande alors à son ministre de la défense, Charles Million, d'enquêter. La DGSE (service secret) s'en mêle, et conclut à l'existence de rétro commissions : le Président décide alors de ne pas verser les commissions promises aux intermédiaires.
Le 8 mai 2002, un attentat contre les chantiers de la construction navale à Karachi tue onze employés français de la DCN (Direction des Constructions Navales) et trois pakistanais. L'enquête est menée jusqu'en 2007 par Jean-Louis Bruguière, pour qui la piste terroriste était la plus plausible. Quand Bruguière est remplacé, deux autres juges prennent la relève, dont l'un deux, Marc Trévidic, considère que l'attentat pourrait être lié à l'arrêt du versement de ces commissions, même si la majorité des sommes avait déjà été versée en 2002.
Karachi, c'est donc deux affaires en une : un attentat qui pourrait être lié au non versement de toutes les rétro-commissions (mais les preuves manquent) et un financement occulte de la campagne présidentielle de Balladur grâce à des rétro-commissions (ce deuxième aspect de l'affaire semble plus plausible).
Nicolas Sarkozy a déclaré le 21 novembre dernier, à Lisbonne qu'à « (sa) connaissance aujourd'hui, pas un document n'a été refusé ». Vraiment ? Le site Arretsurimages.net a minutieusement recensé... toutes les sources manquantes pour éclaircir l'affaire.
1/ Un rapport de Dominique Castellan, ancien dirigeant de la DCN, sur l'arrêt du versement des commissions, que le gouvernement n'a toujours pas communiqué, malgré les demandes du juge Marc Trévidic.
2/ Le rapport « Nautilus », rédigé par les services secrets pour la DCN. Ce rapport mentionne dès l'année 2002 la version des rétro commissions.
3/ Un rapport complet de la DGSE, qui comprend des écoutes téléphoniques de l'entourage de François Léotard, à l'époque ministre de la défense du gouvernement d'Edouard Balladur. François Fillon a refusé la demande du juge Van Ruymbeke pour perquisitionner les locaux de la DGSE.
4/ Le compte rendu des auditions de la mission parlementaire sur l'attentat de Karachi, dirigée par Bernard Cazeneuve n'a toujours pas été transmis. Bernard Accoyer, tenant à ne pas violer la séparation des pouvoirs.
5/ En 1995, le Conseil Constitutionnel avait validé les comptes de campagne d'Edouard Balladur, malgré de sérieux doutes sur la provenance des 10 millions de francs en liquide. Jean-Louis Debré, l'actuel Président du Conseil, se refuse à rendre publics les comptes-rendus des débats. Selon lui, l'article 63 de la Constitution ne permet leur accès qu'après 25 ans, et seul le gouvernement peut autoriser leur consultation. Pour le gouvernement, seul le Conseil Constitutionnel peut prendre cette décision.
>> Lire l'enquête d'arretsurimages.net
Revue de presse de la Semaine,
par Pablo Ahumada.
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