Enquête · 10 mai 2011 à 08:04
Saviez-vous qu'au début de son septennat, François Mitterrand a envisagé de passer à une forme de collectivisme ? Vous ignoriez peut-être aussi que Pierre Mauroy, comme François Fillon au du début du quinquennat, a eu peu de latitude pour diriger son gouvernement, placé sous le contrôle du secrétaire général de l'Élysée. Ou bien que la réduction du temps de travail à 35 heures était un objectif du PS... en juin 1981. Ou encore que l'identité nationale agitait déjà le débat politique ?
A l'occasion des 30 ans de la victoire de François Mitterrand, Politique.net revient sur les deux septennats du seul président de gauche de la Ve République.
Les années Mitterrand
Episode 1 : La victoire du 10 mai 1981
Pour la première fois depuis l'élection du général de Gaulle au scrutin universel direct en 1965, l'élection de 1981 a lieu aux dates prévues par la Constitution : le premier tour étant fixé au 26 avril et le second au 10 mai. En 1969 et en 1974, les élections avaient été avancées : la première, suite à la démission du général de Gaulle et la seconde, suite au décès de Georges Pompidou.
Le nom d'un candidat à la candidature fait débat : il s'agit de l'humoriste Coluche. Simple plaisanterie au début, celui-ci se prend au jeu d'autant plus que les sondages le créditent à plus de 10% des intentions de vote en novembre 1980. Mais face à la pression qui entoure cette candidature, Coluche annonce officiellement, le 16 mars 1981, qu'il se retire. D'autres candidats n'ont pas pu se présenter à cause de la loi de 1976 qui exige 500 parrainages minimum pour présenter sa candidature à la présidentielle. Jean-Marie Le Pen et Alain Krivine notamment n'ont pu être candidats.
Le premier candidat à se présenter est le secrétaire général du Parti communiste, Georges Marchais, désigné par une conférence nationale de son parti le 12 octobre 1980. Concernant le candidat socialiste, la situation est plus compliquée. En avril 1979, lors du congrès de Metz, Michel Rocard annonce qu'il sera candidat sauf si François Mitterrand décide de se présenter de nouveau. Pendant les mois qui suivent, ce dernier ne manifeste pas cette intention. Les Français jusqu'en avril 1980 créditent Rocard de 47 à 54% comme candidat favori du PS. Tandis que Rocard se présente comme le candidat socialiste de la modernité, il fait passer son adversaire, Mitterrand, pour un socialiste passéiste, faisant « très largement confiance à l'appareil d'État pour transformer la société » (Année 1980, p. 39). Le 19 octobre 1980, soit une semaine après Marchais, Rocard annonce officiellement sa candidature, lors d'une allocution à la mairie de Conflans-Sainte-Honorine. Mais, le 8 novembre, François Mitterrand se décide à présenter aux votes du PS sa candidature. Comme convenu, Rocard se retire immédiatement de la course à la présidentielle. Mitterrand est désigné candidat PS lors d'un congrès extraordinaire à Créteil, le 24 janvier 1981, remportant 83,64% des suffrages.
À gauche, ils sont encore quatre à présenter leur candidature : Arlette Laguiller (de Lutte ouvrière), Huguette Boucharneau (secrétaire nationale du PSU), Brice Lalonde (du mouvement d'écologie politique) et Michel Crépeau (président du Mouvement des radicaux de gauche). Au total, six candidats de gauche (ou assimilés) se présentent à la présidentielle.
Le 30 juin 1980, l'annonce de la candidature de Michel Debré, l'ancien Premier ministre du général de Gaulle, ne provoque pas un enthousiasme particulier, pire, Jacques Chirac, ancien Premier ministre démissionnaire sous Giscard d'Estaing, essaie en vain de le dissuader, voulant lui aussi être candidat. Face au refus de Debré, Chirac capitule et se présente également le 3 février 1981, et apparaît comme l'adversaire principal de Giscard d'Estaing qui annonce sa candidature le 2 mars en se définissant comme un « citoyen-candidat », éclipsant lui-même volontairement sa fonction de président de la République. Une autre candidate se présente également : Marie-France Garaud, ancienne conseillère de Pompidou puis de Chirac. À droite, il n'y a que quatre candidats dont trois appartenant au mouvement gaulliste.
Les camps de gauche comme de droite partent avec des handicaps certains. Depuis la rupture en 1977, suite aux élections législatives, le PC prend ses distances avec le PS et fait échouer le programme commun de la gauche signé en 1972. À droite, la majorité est divisée.
Or ces divergences pourraient se montrer particulièrement néfastes pour François Mitterrand. En effet, Georges Marchais se montre particulièrement virulent à son égard, persuadé que le socialiste proposerait, une fois élu, la même politique que Giscard d'Estaing. Et précisément, les candidats de droite pressent Mitterrand de dire si le gouvernement qu'il désignera en cas de victoire compterait des communistes. Sur ce sujet, le candidat socialiste demeure évasif. Pourtant, un événement permet de déplacer le débat : un article de la Pravda du 13 mars 1981, élogieux à l'égard de Giscard d'Estaing, suscite la polémique. On reproche au président sortant d'avoir des liens quelque peu obscurs avec Léonid Brejnev, le secrétaire général du Parti communiste de l'Union soviétique. Mitterrand n'hésite pas à traiter son adversaire de « petit télégraphiste ».
Mais le véritable thème qui domine pendant cette campagne est la lutte contre le chômage et la création d'emplois. Chaque candidat a ses propres idées pour sortir de cette période noire du chômage :
- Giscard d'Estaing promet : « Ensemble, nous ferons une France plus forte assurant l'emploi ». D'ici 1985, il souhaite créer un million d'emplois sans compter ceux amenés par la croissance.
- Mitterrand affirme : « L'emploi, c'est la première de nos obligations. J'y consacrerai toute ma volonté ». Il promet de créer 210 000 emplois par an, dont 150 000 dans la fonction publique et 60 000 d'utilité collective.
- Marchais certifie : « Le chômage ? On peut l'éliminer complètement ». Pour cela, il veut créer 1,5 million d'emplois en deux ans dont 200 000 dans les services publics et sociaux et 300 000 par la relance de la croissance et 1 million par les dégagements sur ma durée du travail.
- Chirac assure : « Je m'engage à relancer la croissance pour créer des emplois nouveaux ». Pour cela, il espère créer 500 000 emplois de plus que la « croissance douce ».
Jusqu'à la fin de l'année 1980, tous les sondages annoncent Giscard d'Estaing vainqueur. Selon l'IFOP, fin août 1980, tandis que Mitterrand est crédité à 18%, Giscard le devance très largement avec 36% des intentions de vote. Mais, à partir de décembre 1980, la tendance commence à s'inverser : Mitterrand remonte dans les sondages tandis que Giscard descend. À la mi-avril, le président sortant a sensiblement baissé jusqu'à obtenir 26,5% des intentions de vote alors que son principal rival est à 23,5%. Malgré une cote d'impopularité certaine (51% de mécontents en février 1981), les Français n'envisagent pas la victoire du PS.
Au premier tour, on constate un niveau d'abstentions plus important qu'en 1974 : 18,90% contre 15,08%. Mais ce qui étonne le plus, c'est l'effondrement du PC. Marchais n'obtient que 15,34% des suffrages, score très faible jamais obtenu depuis les législatives de 1936. Cette défaite s'explique, selon les spécialistes du communisme, Jean Ranger et François Platone, par la rupture consommée entre le parti et son électorat. En effet, nombre d'électeurs se sont ralliés au programme commun de l'union de la gauche, se rapprochant ainsi du PS et certains ont perçu de façon négative les propos de Marchais lors du congrès du PC sur « le bilan globalement positif des pays du socialisme réel ».
Au lendemain du premier tour, les différents candidats de gauche se rallient à Mitterrand qui obtient 25% des suffrages, seul Marchais laisse entendre qu'il attend des propositions concrètes de la part du candidat PS en cas de victoire pour se prononcer. A droite, les soutiens à Giscard, qui a obtenu 28% des votes, se font plus réticents. Marie-France Garaud annonce le 7 mai qu'elle votera blanc. Chirac confirme son soutien mais sans enthousiasme. Les autres candidats annoncent sans ambigüité leur ralliement au candidat de droite.
Le 10 mai 1981, Mitterrand emporte la victoire avec 51,75% des suffrages contre 48,24% pour Giscard. L'abstention est moins forte qu'au premier tour puisqu'elle s'élève cette fois à 14,14%. Contrairement à ce qu'avaient annoncé les sondages, Mitterrand est donc élu président de la République mais selon Gérard Grunberg, « au sens strict, la gauche électorale restait minoritaire dans le pays ». En effet, les Français, dans leur majorité, adhéraient moins au programme du PS qu'à la volonté de rompre avec le pouvoir mis en place.
Comme en 1974, le profil des électeurs de Mitterrand et de Giscard reste le même. L'électorat de droite est plus féminin, plus indépendant et plus âgé que l'électorat de gauche, plus jeune, plus salarié et plus masculin. Les catholiques pratiquants sont également largement de droite.
Les analystes estiment que Mitterrand est parvenu à la tête de l'État à force de persévérance. La société depuis la fin des années 1970 a fortement évolué - entrée massive des femmes sur le marché du travail, forte urbanisation, libération des moeurs - si bien que ses valeurs se porteraient plus naturellement vers la gauche.
Logiquement, Mitterrand, une fois élu, annonce qu'il dissout l'Assemblée nationale pour obtenir la majorité parlementaire. Les élections ont lieu dès le 14 et 21 juin 1981. L'abstention est particulièrement élevée puisqu'elle s'élève à 30% et marque la victoire de la gauche et du PS en particulier qui obtient la majorité absolue des sièges : 288. La droite ne conserve que 157 sièges (au lieu de 286) et le PC en perd la moitié passant de 88 sièges à 44.
Avec cette victoire éclatante, Mitterrand met un terme à 23 ans de règne de la droite.
[b]
Par Anne-Sophie Demonchy
*** Sources
- Dictionnaire historique de la vie politique française au XXème siècle, sous la direction de Jean-François Sirinelli, PUF, 1995
- 1981 : les élections de l'alternance, sous la direction d'Alain Lancelot, Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1986. En particulier : Gérard Grunberg, « Causes et fragilités de la victoire socialiste » ; Jean Ranger et François Platone, « L'échec électoral du Parti communiste »
- Jean-Jacques Becker, Histoire politique de la France contemporaine - Crises et alternances, 1974-2000, éditions du Seuil, 2002
- Noëlline Castagnez, « L'alternance » in La France de la V ème République 1958-2008, Armand Colin, 2008