Revue de presse · 18 mai 2011 à 23:09
Pour contrer la droite, la gauche a tendance à montrer que le partage des richesses entre salariés et patronat est toujours inégalitaire. Pointant du doigt la nouvelle initiative de Nicolas Sarkozy qui a décidé d'imposer aux entreprises de plus de 50 salariés une prime (largement virtuelle), Ségolène Royal a affirmé sur France 2 le 22 avril dernier que non seulement ce sont les actionnaires qui tirent profit de l'augmentation des dividendes mais surtout que la France est le pays le moins égalitaire en matière de répartition des richesses.
Libération a mené une contre-enquête pour montrer que la présidente de Poitou-Charentes se veut trop simpliste dans ses propos.
Le 20 avril 2011, le chef d'État a donc décidé d'imposer aux entreprises de verser une prime annuelle aux employés si elles augmentent leurs dividendes. Dans un premier temps, il a été question d'une prime de 1000 euros, versés à tous les employés puis au fil des jours, le gouvernement a fini par annoncer que les modalités de versement de cette prime n'étaient pas arrêtées, laissant cela à des négociations entre les partenaires sociaux.
Lors de l'émission « les 4 vérités » sur France 2, le 22 avril, Ségolène Royal, a déclaré qu'«un rapport de l'Insee avait montré l'injuste répartition du résultat brut d'exploitation, puisque 42% de ce bénéfice va aux actionnaires et 5,5% aux salariés. Et c'est en France que cette répartition est la plus injuste. » Ce qui n'est pas tout à fait vrai selon Libération qui démontre que cette répartition ainsi que les chiffres énoncés étaient moins simples que cela.
Pour appuyer ses dires, Ségolène Royal ferait référence à une note de l'Insee parue février 2009 mais donnant des chiffres de 2007. Il apparaitrait donc que les entreprises ont réparti leur excédent brut d'exploitation (calculé après versement des salaires) de la façon suivante : 52% ont été réinvestis dans l'entreprise, 42% ont été versés aux actionnaires et 5,5% aux salariés. Évidemment, les chiffres semblent parler d'eux-mêmes. Pourtant, lorsque Ségolène Royal affirme que « la répartition des profits est la plus injuste » au monde, elle ne se base pas sur cette note. L'Insee ne fait pas une telle comparaison entre les pays parce que les modalités de reversement varient d'un pays à l'autre.
Libération va plus loin dans son analyse. Selon le journal, qui se rapporte à des rapports concernant le partage de la valeur ajoutée entre la rémunération du capital et celle du travail, « en France, la rémunération des salariés correspondait à 65,1% de la valeur ajoutée en 2008, un niveau plus haut que dans la plupart des autres pays. Mais surtout (et c'est le plus important), la courbe française est stable depuis vingt ans, alors qu'elle s'infléchit dans d'autres pays (l'Allemagne notamment) ».
Restons toutefois sur le calcul de Ségolène Royal. Certes, l'excédent brut d'exploitation versé aux salariés ne représente que 5,5% de la somme répartie. Mais selon le rapport du directeur de l'Insee, Jean-Philippe Cotis en 2007, la part des salariés aurait augmenté de 7%. La situation était bien pire en 1990 puisqu'elle ne représentait que 2,6%.
Cependant, ce qui semble être un progrès social ne l'est pas forcément : « les rémunérations liées aux bénéfices ne s'ajoutent pas au salaire de base : elles ont tendance à s'y substituer, ce que montrent plusieurs études. » Autre injustice : ce ne sont pas les salariés dans leur ensemble qui peuvent bénéficier de ces bénéfices mais essentiellement les cadres. Un tiers seulement des ouvriers y auraient eu droit contre un peu plus de la moitié des cadres. Il en résulte que c'est moins la répartition des bénéfices entre actionnaires et salariés qui est inique mais entre les salariés eux-mêmes.
D'ailleurs, le programme du Parti socialiste propose deux idées pour mieux répartir ces bénéfices : il prévoit de mieux encadrer les hauts salaires dans les entreprises où l'État est actionnaire et de moduler les impôts en fonction de la répartition des bénéfices entre les actionnaires et les entreprises, afin d'encourager celles-ci à investir plutôt qu'à verser les dividendes. Autant de propositions qui s'éloignent de l'opposition simpliste entre actionnaires et salariés faite par Ségolène Royal.
ASD
Source : Cédric Mathiot, « Ségolène Royal et le leurre du partage des profits », Libération, 30 avril 2011.