Portraits politiques · 30 mai 2011 à 15:20
Lepoint.fr croyait tenir un scoop : « Exclusif, Manuel Valls se lance dans la primaire » indique le site internet mardi 23 mai. Finalement, le lendemain, Valls temporise et annonce qu'il « n'exclut rien ».
Une semaine après son coup d'éclat devant les caméras de France 2 pour dénoncer l'hystérie médiatique autour de l'affaire DSK, Valls est sur le point de se présenter. Ou pas.
Portrait d'un spécialiste de la petite phrase qui buzze
Manuel Valls est né le 13 Août 1962 à Barcelone en Espagne. Fils d'un artiste peintre espagnol réfugié en France, Manuel Valls obtient la nationalité française grâce à une procédure de naturalisation. En 1980, il adhère au Parti Socialiste. Il appartient à la deuxième gauche, celle de Rocard, pragmatique, contre celle de Mitterrand, plus à gauche.
Alors qu'il est étudiant en histoire à l'université Paris 1-Tolbiac, il entre au syndicat étudiant socialiste, l'UNEF-ID. Mais c'est surtout au sein des réseaux rocardiens que Manuel Valls va trouver sa place. En effet, en 1985, pour soutenir la campagne présidentielle, de Michel Rocard, il fonde les clubs rocardiens « Forum XXI » avec Stéphane Fouks, Christian Pouge et celui qui deviendra le Grand Maître du Grand Orient de France, Alain Bauer.
En 1986, alors qu'il n'a que 24 ans, Valls est élu au conseil régional d'Ile de France. Deux ans plus tard, il entre au cabinet du Premier ministre, Michel Rocard, en charge des relations avec le Parlement. Ensuite, Rocard le nomme conseiller chargé de la Jeunesse et des Sports. Après la démission du Premier ministre en 1992, Valls retrouve son poste au conseil régional d'Ile de France, qu'il ne quittera qu'en 2002.
En 1997, il se présente aux élections législatives dans la 5ème circonscription du Val-d'Oise mais est éliminé dès le premier tour. Cependant sa carrière politique rebondit aussitôt grâce à Sa nomination dans un cabinet ministériel : il devient conseiller pour la communication et la presse auprès du Premier ministre, Lionel Jospin. C'est notamment à ce poste qu'il noue des liens avec des membres du New Labor de Tony Blair.
En mars 2001, Manuel Valls est élu maire d'Evry dans l'Essonne. En 2002, son ascension politique se poursuit puisqu'il devient député de la 1re circonscription de l'Essonne. Cinq ans plus tard, il est réélu très confortablement avec 60,12% des voix. Sa gestion de la mairie d'Evry est particulièrement remarquée. Son style ne passe pas inaperçu. Il est décrit comme « direct, cassant, et craint pour ses colères ». Toutefois, homme de gauche, il défend les couches populaires mais refuse l'angélisme sur les questions liées à la sécurité. Lors des émeutes de l'automne 2005, il est le seul socialiste à s'abstenir de critiquer l'instauration du couvre-feu. Pour refuser la ghettoïsation d'un quartier d'Evry, il n'hésite pas à s'opposer à l'installation d'un supermarché halal dans sa commune.
Ainsi, sur les questions de justice, d'immigration ou de lutte contre la criminalité, Manuel Valls défend souvent des positions assez éloignées de la ligne officielle du PS. En 2007, par exemple, Manuel Valls propose aux commerçants d'installer un dispositif de télésurveillance pour lutter contre l'insécurité de certains quartiers d'Evry. Il n'hésite pas à utiliser des mots durs pour désigner les jeunes violents de sa ville et adopte une attitude éloignée de celle tenue par une grande partie des dirigeants de gauche, déclarant : « Aucun recoin de la ville ne doit être laissé aux voyous ». Pour changer l'image d'Evry et obtenir le calme, il double, en l'espace de six ans, les effectifs de la police municipale.
Pour donner une image neuve et moderne d'Evry et faire parler de son action politique, Manuel Valls ne lésine pas sur la com' : il crée, dès son arrivée à la tête de la ville, un nouveau logo pour Evry. Il remplace le bulletin municipal par trois revues en couleurs. Entre 2000 et 2003, les dépenses liées à la communication ont augmenté de 852,6%.
Mais Valls a un objectif : redorer le blason de sa ville. De nouveaux promoteurs lancent de nombreux chantiers, l'objectif étant d'attirer une classe sociale plus élevée dans le centre-ville.
En 2004, Manuel Valls prend ses distances avec la majorité des dirigeants socialistes au sujet du référendum sur le traité constitutionnel. Il se rapproche dans un premier temps de Laurent Fabius, qui s'oppose au traité européen. Ce refus de la Constitution européenne met en difficulté le Premier secrétaire du PS. Pour les proches de François Hollande, Valls manœuvrerait pour s'emparer du parti : « Ce bruit m'honore et fait monter mon ego déjà grand de plusieurs mètres ». Toutefois, les dirigeants socialistes s'inquiètent de cette rébellion : selon eux, tout le monde doit se rallier derrière le Premier secrétaire. Coup de théâtre, au fur et à mesure de la campagne, Valls change radicalement de position, déclarant : « J'étais partisan du non, mais face à la montée du non, je vote oui ».
Au Parti socialiste, ses adversaires le désignent comme un homme à droite de la gauche ou de centre-gauche. Lui préfère se présenter comme un partisan d'un social-libéralisme à la française. Selon lui, à gauche, la société de marché, le travail, la lutte contre l'insécurité, la refonte de la loi de 1905 sur la laïcité ne doivent plus être des questions taboues. Après la défaite de Ségolène Royal lors de la présidentielle de 2007, il s'en prend violemment à François Hollande, qu'il accuse d'immobilisme et d'être à l'origine de tous les échecs du PS faute d'avoir fait évoluer le parti.
Partisan d'une profonde rénovation de la gauche, il multiplie les coups d'éclat depuis la fin de la séquence électorale de 2007. Il se considère comme un pragmatique, qui veut expérimenter ce qui marche, au risque de bousculer les orthodoxes du PS. Ainsi, lorsqu'un journaliste l'interroge sur l'omniprésence de Sarkozy dans les médias, il rétorque que cela ne le choque pas. Au contraire, il préfère insister sur l'incapacité des socialistes à créer le débat, à innover. Sa stratégie du coup d'éclat médiatique lui permet de sortir du lot. Il évoque publiquement la possibilité de changer le nom du Parti socialiste pour entériner la modernisation de la gauche.
Après le double échec socialiste présidentielle/législatives, Manuel Valls a des propos assez durs à l'égard du Parti Socialiste. Même Arnaud Montebourg, pourtant spécialiste des provocations et ami de Manuel Valls, déplore la stratégie de ce dernier. Fort de sa réélection dans sa circonscription avec 60% des voix, Manuel Valls est persuadé que son positionnement au centre-gauche correspond le mieux à l'évolution de la société. Si Nicolas Sarkozy a été largement élu, c'est parce qu'il a réussi à attirer à lui les couches populaires qui votaient à gauche mais qui ont été sensibles à un discours sur l'ordre et la sécurité.
Sur ces questions, comme sur d'autres, Manuel Valls veut faire évoluer le PS. Selon lui, le parti doit actualiser sa doctrine pour devenir un parti social-démocrate acceptant de gouverner avec le centre. Isolé au sein du PS, il a lancé son propre club de réflexion "Cercle 21, Gauche et modernité", fin octobre 2007.
Au Parti socialiste, le jeu des courants et des rapports de force entre éléphants rend très complexe une stratégie d'autonomie. Manuel Valls l'a bien compris en renonçant à présenter sa propre motion au congrès de Reims. Contre toute attente, alors qu'il avait eu des propos assez durs sur Ségolène Royal, notamment au soir du second tour des législatives lorsqu'elle avait annoncé sa séparation avec François Hollande, Manuel Valls se rallie à l'ex-candidate à la présidentielle. Avec Vincent Peillon, il vient renforcer son staff.
Jusqu'en 2008, la présidente de la région Poitou-Charentes ne réussit pas à s'entourer de personnalités charismatiques au sein du PS (seuls Jean-Louis Bianco et François Rebsamen lui sont restés fidèles après la présidentielle). Or ce double ralliement constitue un atout non négligeable pour la candidate au poste de Premier secrétaire afin d'incarner le renouveau. A la différence de Bertrand Delanoë qui apparaît comme le candidat de la continuité, Ségolène Royal se présente comme la candidate du changement.
Manuel Valls joue un rôle clé au congrès de Reims qui se déroule du 14 au 16 novembre 2008. C'est lui qui est le porte-parole de Ségolène Royal, tête de liste face à Bertrand Delanoë, Martine Aubry et Benoît Hamon. A chaque fois, il se présente devant les caméras pour commenter les résultats à chaud. Lorsque les socialistes découvrent le 22 novembre à 6h que Martine Aubry arrive en tête du second tour devant Ségolène Royal avec de 42 voix d'avance, Manuel Valls souhaite non seulement un nouveau vote mais surtout annonce le dépôt d'une plainte pour faux en écriture dans une section lilloise. La fédération socialiste du Nord menace alors d'une plainte en diffamation. Dans cette affaire, Valls s'expose, à la différence de Vincent Peillon, qui se veut plus en retrait pour incarner le consensus. A l'issue du congrès de Reims, Manuel Valls radicalise une nouvelle fois son image et multiplie les inimitiés au sein du Parti.
En juillet 2009, suite aux nombreuses critiques que Manuel Valls adresse au PS, semblant soutenir la politique de Nicolas Sarkozy, Martine Aubry décide de lui envoyer une lettre parue dans Le Parisien, l'enjoignant de rentrer dans le rang ou bien de quitter le parti : « Mon cher Manuel, s'il s'agit pour toi de tirer la sonnette d'alarme par rapport à un parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement » et plus loin « Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti socialiste. [...] Je te demande de me faire part de ton choix dans les jours qui viennent, et d'en assumer toutes les conséquences pour l'avenir. » Manuel Valls ne compte pas quitter le parti et revoie à la Première secrétaire une lettre : « Je t'informe que j'entends bien rester fidèle à mon poste, à ma famille politique et à mes valeurs » mais de préciser « Je ne me ferai pas le silencieux complice de l'aveuglement. »
Le 23 mai 2011, Manuel Valls laisse entendre qu'il pourrait se lancer dans la course aux primaires socialistes. Cela peut paraître surprenant puisque le 20 mai, soit trois jours auparavant, dans une interview du Parisien, il estimait que, suite à l'arrestation de Dominique Strauss-Kahn pour agression sexuelle, « les Français sont KO. Si l'on veut que les primaires tiennent réellement leurs promesses, il faut accepter pour le moment de les mettre entre parenthèses ».
Avant d'annoncer officiellement sa candidature, il cherche des soutiens auprès de la « nouvelle génération » : Arnaud Montebourg, déjà candidat annoncé depuis novembre, Vincent Peillon...
Par Anne-Sophie Demonchy
Sources
- Jacques Trentesaux, « Le système Valls. La petite république vallsienne », L'Express, 23 août 2007.
- Paul Quinio, « En ordre de bataille », Libération, 1er septembre 2007.
- Paul Quinio, « Le quadra impatient », Libération, 16 juillet 2009.
- Charlotte Chaffanjon, « Aubry-Valls, l'affrontement sans concession », Le Point, 15 juillet 2009.
- David Revault d'Allonnes « Aubry-Valls, tir de missives », Libération, 16 juillet 2009.
- Charlotte Chaffanjon, « Exclusif : Manuel Valls se lance dans la primaire », Le Point, 23 mai 2011.