Enquête · 12 oct. 2011 à 23:33
Arrivée deuxième du premier tour des primaires socialistes, Martine Aubry espère pourtant toujours l'emporter. Malgré les derniers ralliements à la candidature de Hollande (Ségolène Royal, Manuel Valls et Jean-Michel Baylet lui ont déjà apporté leur soutien), elle croit possible de renverser la tendance et réitérer son exploit de 2008 : en troisième position à l'issue du premier tour du congrès du PS, elle avait fini par l'emporter.
Comment compte-t-elle battre François Hollande ? En insistant sur les faiblesses de son adversaire : manque d'expérience, manque de constance (Hollande aurait changé d'avis sur certains sujets), et manque de fermeté. Pour reprendre son expression : "face à une droite dure, il ne faudrait pas une gauche molle".
Portrait de la challenger des primaires socialistes.
Martine Delors est née le 8 août 1950 dans le 17ème arrondissement de Paris. Elle est la fille de Jacques Delors qui mena une longue carrière politique en étant syndicaliste d'abord puis ministre dans le gouvernement de Pierre Mauroy, avant d'accéder à la présidence de la Commission européenne entre 1985 et 1995. Martine Delors suit à la fois des cours dans le public comme dans le privé : au lycée Notre Dame des Oiseaux et Paul-Valéry à Paris.
Après l'obtention de son baccalauréat, elle entre à l'Institut d'études politiques de Paris. Elle poursuit ses études en intégrant l'ENA. Elle entre alors au ministère du Travail et des Affaires sociales. C'est à cette époque qu'elle commence à militer et s'inscrire au Parti socialiste.
Côté vie privée, Martine Aubry se montre très discrète. Après son divorce avec Xavier Aubry, elle se remarie à l'avocat lillois Jean-Louis Brochen. Elle a une fille, Clémentine.
C'est en 1981 que débute véritablement sa carrière politique, au lendemain de l'élection de François Mitterrand à la présidence. Elle collabore avec le ministre du Travail, Jean Auroux, qui à cette époque cherchait spécifiquement un énarque socialiste : Martine Aubry correspondait au profil. Pour avoir des chances d'être choisie, elle préfère ne pas dire que le ministre de l'Economie et des Finances est son père. Elle ne veut pas qu'on assimile sa réussite à celle de Jacques Delors. Elle entre ensuite dans le cabinet de Pierre Bérégovoy puis au Conseil d'État.
Martine Aubry souhaite s'ouvrir sur le monde de l'entreprise. En 1989, elle répond à l'offre que lui fait Jacques Gandois en devenant sa directrice adjointe à Péchiney. Elle découvre la réalité du marché : participe à l'ouverture d'une usine à Dunkerque et la fermeture d'une autre à Noguères.
Mais cette découverte de l'entreprise ne dure qu'un temps : dès 1991, elle accepte la proposition d'Edith Cresson qui la nomme ministre du Travail, ce qui lui permet ainsi de poursuivre son action commencée à Péchiney. Elle conserve ce poste jusqu'en 1993, dans le gouvernement de Pierre Bérégovoy. Lors de la polémique sur l'amiante, contrairement à la Communauté économique européenne qui souhaite son interdiction, Martine Aubry, elle, préfère un « usage contrôlé ». Dès lors, le décret européen ne peut être appliqué.
Après l'échec du PS aux élections législatives de 1993, Martine Aubry décide de lancer de nouveaux projets, quelque peu à l'écart du parti : elle crée la Fondation pour agir contre l'exclusion (FACE). Elle sollicite alors énormément les médias en mettant en avant à la fois le lancement, les différents projets menés ainsi que les accords conclus. Treize patrons la soutiennent et lui apportent 50 millions de francs d'investissement. Deux ans plus tard, elle choisit Lille pour relancer sa carrière politique. Elle devient la première adjointe de Pierre Mauroy à la mairie de Lille, dans l'espoir, un jour, d'être élue maire. Elle est également la vice-présidente de la communauté urbaine.
La même année, en 1995, le premier secrétaire du PS, Lionel Jospin, lui propose de devenir n°2 du parti. Explication d'un dirigeant socialiste: « Elle s'est vraiment imposée pendant la campagne présidentielle de 1995. Meeting après meeting, les militants scandaient son nom, l'acclamaient presque autant que Lionel. A ce moment, il a compris qu'elle était devenue incontournable. » Mais elle refuse catégoriquement. Depuis son entrée en politique, et malgré son adhésion au PS, Martine Aubry s'est toujours tenue à l'écart du parti.
Finalement, en 1997, elle réussit son défi en remportant les élections législatives avec 61% des suffrages dans la 5e circonscription du Nord. La gauche tout entière a gagné les élections. Lionel Jospin est nommé Premier ministre par Jacques Chirac. Il propose à Martine Aubry le ministère de l'Emploi et de la Solidarité en lui donnant pour objectif principal de réduire le nombre de chômeurs.
Elle propose donc une série de projets qui l'identifiera à ces réformes emblématiques de la gauche. Elle commence par faire voter la loi de lutte contre les exclusions en 1998. Elle crée les emplois-jeunes pour lutter contre le chômage des plus jeunes. Elle met également en place la CMU, couverture maladie universelle en 2000. Enfin, elle instaure la réforme des 35 heures qui fixe la durée légale du temps de travail à temps plein à 35 heures par semaine et non plus à 39 heures, dans l'idée ainsi de créer de nouveaux emplois. Cette réforme soulève de nombreuses polémiques auprès des syndicats comme du patronat. Jean Gandois, fortement opposé à cette réforme, démissionne de la présidence du Conseil national du patronat français.
En tant que ministre, Martine Aubry a sous son autorité deux ministres délégués : Claude Bartolone, pour la politique de la ville et Ségolène Royal, pour la famille.
Ayant eu le sentiment d'avoir achevé sa mission, Martine Aubry décide de démissionner, en octobre 2000, de son poste de ministre de l'Emploi pour se consacrer à la campagne des élections municipales à Lille.
Son ascension politique est avérée mais certains soulignent ses mauvaises relations avec les différents dirigeants socialistes. Jugée comme sévère et intransigeante, elle n'a pas que des amis. «Ce n'est pas une femme qui se contente de peu, raconte Marylise Lebranchu, l'une de ses fidèles amies, maire PS de Morlaix et secrétaire d'Etat aux PME. Elle est exigeante avec elle-même et avec les autres.» Un ancien collaborateur de confirmer : « Avec elle, rien n'est jamais vraiment bien. On pourrait toujours plancher deux heures de plus sur un dossier. » Charles Fiterman, ancien ministre communiste, est plus sévère encore : « C'est vrai qu'elle peut être brutale ». Martine Aubry est alors en froid avec un certain nombre de responsables socialistes Pierre Moscovici, ministre délégué aux Affaires européennes, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'Economie...
En 2008, alors que Martine Aubry s'est toujours tenue à l'écart du Parti socialiste, au point même de refuser l'offre de Lionel Jospin d'être la n°2 en 1995, elle décide de faire campagne pour le poste de Premier secrétaire. Elle devient le chef de fil des « reconstructeurs », groupe hétéroclite réunissant à la fois les fabiusiens, une partie des strauss-kahniens et les proches d'Arnaud Montebourg. L'objectif clairement exprimé est de contrer à tout prix Ségolène Royal et dans une moindre mesure Bertrand Delanoë.
Le 23 septembre 2008, Martine Aubry présente sa motion, « Changer à gauche pour changer la France » lors du conseil national de synthèse. Le 6 novembre, sa motion remporte 24,32% des voix contre celle de Bertrand Delanoë qui obtient 25,2% et celle de Ségolène Royal, 29,08 %. Le 15 novembre, les socialistes se réunissent au congrès de Reims pour essayer de dégager une synthèse mais aucun leader socialiste ne veut s'unir avec Ségolène Royal. Le parti en sort divisé.
Martine Aubry se présente alors à l'élection pour le poste de premier secrétaire contre Ségolène Royal et Benoît Hamon. Lors du premier tour, le 20 novembre 2008, Martine Aubry obtient 34,5 % des suffrages tandis que Ségolène Royal est en tête avec 42,9 % et Benoît Hamon est éliminé avec 22,6%. Le second tour a lieu dès le lendemain : Martine Aubry est élue avec 42 voix d'avance sur Ségolène Royal qui n'admet pas ce chiffre et demande un nouveau vote.
Finalement, la commission de « récolement » du Parti socialiste refait les comptes et déclare Martine Aubry gagnante avec 67 451 voix contre Ségolène Royal et ses 67 349 voix. Elle devance donc sa rivale de 102 voix.
En 2009, Martine Aubry décide de ne pas se présenter aux élections européennes, mais aide le parti à mener la campagne. Finalement, les résultats sont décevants puisque le PS arrive à égalité avec Europe Ecologie qui réalise une percée significative dans le paysage politique. Les socialistes, eux, perdent 17 sièges, passant de 31 à 14...
Pendant les manifestations contre la réforme des retraites, Martine Aubry monte au front : elle souhaite que l'on maintienne l'âge du départ à la retraire à 60 ans avec la possibilité de poursuivre comme c'est le cas jusqu'en 2011.
Au Printemps 2010, Martine Aubry mène la campagne du PS aux élections régionales et fait campagne pour le parti. La première secrétaire du PS passe un accord avec Cécile Duflot et Marie-George Buffet pour fusionner, au second tour, les listes socialistes avec celles d'Europe Écologie et du Front de gauche. Au final, la gauche remporte 23 des 26 régions françaises.
Entre 2008 et 2011, Martine Aubry s'est attelée à la préparation du projet du Parti Socialiste tout en essayant de rassembler les différentes sensibilités du PS après un congrès de Reims calamiteux. C'est sous son impulsion et celle d'Arnaud Montebourg que le PS décide d'organiser des primaires ouvertes à tous les électeurs pour désigner le candidat de la gauche à la présidentielle de 2012.
Le 5 avril 2011, Martine Aubry, en tant que première secrétaire du PS, présente le projet de société « pour redresser la France ». Le projet se décline en une trentaine de propositions autour des grands thèmes que sont la fiscalité, l'éducation, la santé, la politique industrielle, l'écologie ou la sécurité. Le 9 avril, le Conseil national du parti a adopté à l'unanimité des présents le projet 2012. Martine Aubry appelle alors à l'unité du parti : « Ce projet est celui de tous les socialistes. Défendons le ensemble, personne ne pourra l'attaquer si nous restons unis ». Et précisément, afin que l'union demeure, elle souhaite que les prétendants aux primaires socialistes respectent le calendrier fixé par le parti pour se déclarer candidat. Les candidatures officielles doivent être déposées entre le 28 juin et le 13 juillet 2011.
Dans le cadre de ces primaires, Martine Aubry aurait passé un pacte avec Dominique Strauss-Kahn : ils se seraient mis d'accord de ne pas se présenter l'un contre l'autre. Accord caduque avec l'arrestation du directeur du FMI aux Etats-Unis : son rival étant écarté, la candidature de Martine Aubry devient incontournable.
Les premiers mois de campagne de Martine Aubry sont poussifs, Hollande faisant la course en tête des enquêtes d'opinion. Son manque d'envie d'être candidate (DSK avait décidé d'y aller) est la principale critique qui revient. A l'issue du premier tour des primaires socialistes, Martine Aubry obtient 30,4% des voix, derrière François Hollande avec 39,2%. Dans la dernière ligne droite, quand Hollande enregistre les ralliements (Royal, Valls, Baylet), Aubry se montre plus pugnace en multipliant les piques à l'encontre de son adversaire. Quel que soit le choix d'Arnaud Montebourg (arrivé troisième avec 17,2% des voix), le score du deuxième tour de ces primaires pourrait être serré. Réponse dimanche 16 octobre.
par Anne-Sophie Demonchy
*** Sources
- Jean-Michel Aphatie et Corinne Lhaik « Une femme ambitieuse », L'Express, 28 août 1997.
- Nicolas Barotte, « Martine Aubry présente le projet du PS pour les régions », Le Figaro, 28 janvier 2010.
- « Le PS défend un projet "bien à gauche" et "moderne" pour 2012 », Le Monde, 3 avril 2011.
- Projet du Parti socialiste pour 2012.
- Alexandre Léchenet, "Les résultats définitifs de la primaire PS", Lemonde.fr, 11 octobre 2011