Et si Sarkozy provoquait l'engorgement des préfectures pour augmenter artificiellement le nombre de Sans-papiers expulsables ?

Revue de presse · 29 oct. 2011 à 07:14

Les préfectures, la nuit

Après "Bonne nuit à Bobigny", voici "Administrations de la honte". Un nouvel épisode de la série "comment gagner en 2012 sur le dos des immigrés". Vous ne trouverez pas ces récits sur des sites d'associations d'aides aux étrangers (forcément composées de membres d'extrême-gauche à la limite de l'anarchisme) mais sur Rue89 et dans Le Canard enchaîné (des publications qui n'ont rien à envier au fascisme de Mediapart, rappelez-vous).

Voilà le pitch : afin de ne pas se faire déborder par Marine Le Pen sur la question de l'immigration, Nicolas Sarkozy doit expulser plus pour gagner plus (de voix). Mais ce n'est pas facile car les ministres Besson-Hortefeux ont déjà fait du bon boulot : l'expulsion des Roms voleurs de poules, c'est fait. Les étrangers qui rentraient chez eux et qu'on expulse quand même pour les statistiques, c'est fait. L'expulsion d'étudiants étrangers, c'est en cours. Difficile de faire mieux donc, sachant que Claude Guéant est incontestablement le prototype le plus abouti dans ce registre (même si les laboratoires de l'UMP se penchent déjà sur la prochaine génération de ministre).


On croyait avoir tout vu donc. Et pourtant, une autre stratégie semble avoir été élaborée depuis quelques années. Elle ne fait pas les gros titres de la presse, mais elle est particulièrement efficace : il s'agit d'une petite sélection naturelle organisée chaque nuit devant les préfectures. Géniale comme idée, non ? Et si on fabriquait artificiellement des Sans-papiers pour diminuer l'immigration légale et augmenter le vivier d'étrangers potentiellement expulsables ? Pour y parvenir, Nicolas Sarkozy possède l'arme atomique : la délivrance (ou non) de titres de séjour.


C'est peu dire qu'aujourd'hui, la délivrance de titres de séjour relève du parcours du combattant. Chaque nuit, les préfectures organisent un véritable Koh-Lanta pour citoyen de seconde zone : des files d'attente à n'en plus finir, des immigrés qui passent la nuit dehors pour se voir refuser l'accès au petit matin, des fonctionnaires d'une "amabilité cadavérique" et des frais annexes élevés à la charge du demandeur. Autant dire qu'à ce rythme-là, pour accéder au guichet et rester en France, les étrangers qu'on mène à la baguette (de pain forcément) devront bientôt avaler des escargots sauce Roquefort et faire valoir d'une agrégation de lettres pour prouver qu'ils parlent français. Bref, bienvenue dans le monde merveilleux des services "étrangers" des préfectures !

Bien évidemment, comme le vivier de sans-papiers potentiellement expulsables n'est pas infini, le casting de ce Koh-Lanta préfectoral a été renouvelé. Le Sans-papier-sans-travail-mais-avec-famille-nombreuse est désormais accompagné dans les files d'attente du Sans-papier-VIP : une étudiante étrangère qui doit faire un simple changement d'adresse sur une carte de séjour, un chef d'entreprise qui a eu la mauvaise idée d'être né congolais (une erreur de jeunesse) ou encore une japonaise qui s'est fait voler sa carte de séjour. Tout ce petit monde se retrouve désormais la nuit, devant les préfectures. Mais gare à ceux qui se décourageraient : une fois que le délai de validité du titre de séjour est passé, ils deviennent officiellement sans-papiers. Et les plus chanceux d'entre eux, qui n'ont pas régularisé leur situation, peuvent même se faire cueillir à la sortie du guichet pour être immédiatement expulsés. Qui a dit que l'administration française n'était pas assez efficace ?


Illustration de cette méthode Koh-Lanta avec les reportages et les témoignages recueillis par la presse.

"Bonne nuit à Bobigny", un reportage du Canard enchaîné

En mai 2010, Le Canard enchaîné publie un récit sidérant sur la situation à la préfecture de Bobigny. Sous le titre "Bonne nuit à Bobigny", la journaliste du Canard, Dominique Simonnot, raconte le calvaire des étrangers qui tentent d'accéder aux guichets. "Il faut arriver la veille au soir pour faire la queue à la préfecture de Seine-Saint-Denis : une renouvellement de carte de séjour est à ce prix", indique l'hebdomadaire. En ce 30 avril 2010, à 6h45, ils sont 690 devant la préfecture : 280 à la porte 1 pour le retrait d'un dossier, 270 à la porte 2 pour le renouvellement des cartes de séjour, 140 à la porte 3, le guichet des réfugiés.

Bobigny Canard enchaîné


Qui sont ces étrangers ? La journaliste a par exemple croisé un couple (lui est français, elle cambodgienne) qui "patiente depuis la veille, 21 heures, et pour la troisième fois : « Aux visas, on nous avait dit d'aller porte 2, ici, on nous a dit non, c'est porte 1. Trop tard pour refaire la queue. On a rappelé les visas, ils ont redit porte 2 »". Finalement, la femme sera renvoyée à la porte 1, "en pleurs". Il y a également "une jeune femme, arrivée à 4 heures [qui s'exclame] « Deux jours de travail loupés ! Mon employeur en a marre ! Le 27 avril, ma carte de dix ans était prête, mais la dame du guichet ne pouvait pas me la donner avec le 29, la date où l'ancienne se terminait »". A 8h30, les portent finissent par s'ouvrir. A 9h, les premiers ressortent avec leur ticket de rendez-vous pour l'après-midi. Et la journaliste du Canard de raconter : "Les évincés s'époumonent. « C'est ça la France ! » « Chut ! Vous allez nous les mettre à dos ! » chuchote l'assistante d'un avocat". Mieux vaut éviter de faire des vagues pour espérer être accueillis.

En janvier 2010, Le site de la Télé Libre, animé par John Paul Lepers, s'était rendu sur place pour tourner un reportage intitulé "Dans l'enfer de la préfecture de Bobigny".

"Administration de la honte, onze heures de queue et une nuit dehors", sur Rue89

Autre témoignage. Le 16 octobre dernier, Rue89 publie le récit de Florian qui "a dû passer la nuit dehors, dans le froid, avec des dizaines d'autres personnes, devant la sous-préfecture d'Antony" pour obtenir un simple document. Sa femme, une japonaise, s'est fait voler son sac à mains avec tous ses papiers, dont son titre de séjour. Pour pouvoir en obtenir une copie, après deux tentatives infructueuses pour entrer dans la préfecture, Florian a décidé de faire la queue à la place de sa femme... à partir de minuit.


L'attente est longue. A deux heures du matin, il discute avec une étudiante originaire d'un pays du Golfe, laquelle raconte : "c'est le cinquième jour que je fais la queue. La première fois, la personne du standard téléphonique d'Antony m'a dit de me présenter à la sous-préfecture, en me conseillant cependant de “venir un peu en avance, car il y a un peu de monde le matin”. Je suis donc arrivée à 8 heures, soit 45 minutes avant l'ouverture. En découvrant qu'il y avait 300 personnes, j'ai halluciné. Evidemment, on ne m'a pas fait entrer. Je suis donc revenue le lendemain, à 7 heures. Là encore, trop de monde. Le surlendemain, je suis venue à 6 heures. Idem, impossible d'entrer. Le quatrième jour, je suis donc arrivée à 4h30, pensant que cette fois, ce serait bon ! Mais je suis repartie en pleurant, dégoûtée de m'être derechef fait renvoyer !" Cette fois-ci, elle a donc décidé d'y passer la nuit. Pourquoi doit-elle absolument accéder à la sous-préfecture d'Antony ? Simplement parce qu'elle doit faire un changement d'adresse sur sa carte de séjour puisqu'elle vient de déménager.

Une rue sur Rue89


A 3 heures du matin, ils sont déjà 65 à faire la queue. Parmi eux, un congolais : "La situation est intolérable. Je suis un homme d'affaires et j'ai vécu quinze ans dans plus de cinq pays, explique-t-il. La France est le seul qui ne permette pas de faire de telles démarches par Internet. Ou au moins une partie ! On ne peut même pas imprimer les formulaires en avance ! Mais personne ici n'ose crier son dégoût. Parce que si tu fais trop de bruit dans un établissement public, un vigile te tombe dessus et tu es mis dehors. Donc tu n'as pas d'autre choix que de l'écraser". A 7h du matin, ils sont 250 personnes. A 8h20, Florian laisse sa place à sa femme. A 11h, Florian et sa femme se retrouvent devant le guichet devant une fonctionnaire d'une "amabilité cadavérique" qui délivre le duplicata facturé... 155 euros.

Comment expliquer une telle situation ?

Difficile de savoir les raisons exactes d'un tel engorgement. A la préfecture de Bobigny, un représentant syndical CFDT expliquait à Rue89 en septembre 2010 que "les conditions de travail au sein de la Direction de l'immigration et de l'intégration (DII) ne sont pas bonnes". Dans un département où les étrangers représentent près de 26% de la population (recensement 2007), les employés ne seraient pas suffisamment nombreux. "Les ordinateurs des agents sont minutés, environ huit minutes par usager, et nous appliquons une politique de quotas", expliquait-il. Chaque fonctionnaire reçoit une soixantaine de personnes par jours. "Les agents sont majoritairement très jeunes, parfois même stagiaires ou intérimaires et se retrouvent « bombardés » au guichet et se forment sur le tas. Il y a beaucoup de provinciaux ou d'Antillais, peu sont volontaires pour le 93, indique Rue89. Résultat : dépressions nerveuses, absentéisme et des demandes de mutation qui se multiplient, +12% en 2010 selon la CFDT". Pour autant, l'afflux d'étrangers ne peut pas tout expliquer. Car dans d'autres départements, les témoignages sont similaires. A Rouen par exemple, les étrangers font la queue à partir de 3 heures du matin. Idem à Grenoble ou dans l'Essonne. Alors où est la faille ? Un Français dont la femme camerounaise ne pouvait accéder à la préfecture qu'en faisant la queue la nuit avançait une hypothèse : "La préfecture cherche clairement à humilier les étrangers. Dans quel but ? Probablement pour les dégoûter et les décourager de rester en France". Non, vraiment ?

"Le gouvernement s'est fixé l'objectif de 30 000 reconduites d'étrangers en situation irrégulière à la frontière en 2011, contre 28 000 en 2010, nous le dépasserons", s'est félicité Claude Guéant samedi 22 octobre. Un excellent résultat qui vient compléter l'objectif de réduction de 200 000 à 180 000 du nombre de titres de séjours délivrés par la France chaque année.

Les étrangers n'ont pas fini de trouver les nuits longues.



*** Sources
- "Les étrangers mal-traités en préfecture", AFP, 16 juin 2008
- "Dans l'enfer de la préfecture de Bobigny", La Télé Libre, 22 janvier 2010
- Dominique Simonnot, "Bonne nuit à Bobigny", Le Canard enchaîné, 5 mai 2010
- Camille Garcia, "Bobigny : la préfecture maltraite ses employés et ses immigrés", Rue89, 24 septembre 2010
- "A la préfecture de Grenoble, les étrangers triés à l'entrée", Rue89, 20 mars 2011
- "Immigration légale : Guéant veut supprimer 20 000 autorisations par an", Lemonde.fr/AFP, 16 avril 2011
- "L'humiliation ordinaire des étrangers à la préfecture d'Evry", Rue89, 9 mai 2011
- Florian Julien, "Mes nuits blanches à Antony, devant l'administration de la honte", Rue89, 11 octobre 2011
- Florian Julien, "Administration de la honte : onze heures de queue et une nuit dehors", Rue89, 16 octobre 2011
- "L'objectif de 30 000 expulsion sera dépassé cette année, annonce Guéant", Lemonde.fr/AFP, 22 octobre 2011
- "Rouen : « J'ai attendu trois heures devant la préfecture »", Paris Normandie, 24 octobre 2011




>> Quand Jean-Pierre Pernaut faisait le lien entre immigration et délinquance

Pernaut



>> Les faux expulsés de l'aéroport d'Orly : comment Besson et Hortefeux expulsaient des étrangers... qui rentraient au pays

Besson, Hortefeux, Orly



>> Quand Hortefeux régularisait en priorité les domestiques du XVIe arrondissement de Paris

Hortefeux et les domestiques

Commentaires