Comment Le Pen a récupéré la figure de Jeanne d'Arc en la célébrant le 1er mai

Questions d'actualité · 1er mai 2012 à 14:31 · Commentaires 0

Le Pen et Jeanne d'Arc

C'est le traditionnel discours d'un Le Pen. Chaque année, le 1er mai, place de l'opéra, le leader du FN (Jean-Marie Le Pen, et cette année sa fille, Marine Le Pen) rend hommage à Jeanne d'Arc. Un rassemblement qui se déroule en marge des défilés de la fête du travail.

Mais pourquoi l'extrême droite a-t-elle choisi de célébrer Jeanne d'Arc un 1er mai ?

Jeanne d'Arc, symbole de la défense de la France

Jeanne d'Arc a vécu entre 1412 et 1431. Symbole de la défense de la Nation, elle a dirigé les troupes françaises contre les Anglais. En 1429, alors âgée de 17 ans, Jeanne d'Arc aurait entendu des voix pour qu'elle libère la France. Elle finit par convaincre le dauphin Charles de lui confier une armée pour battre les Anglais. Elle délivra ainsi Orléans, Auxerre, Troyes avant d'être capturée et livrée aux Anglais qui la condamnèrent à mort. Depuis, elle est devenue une figure emblématique de l'histoire de France, le symbole de la défense de la Nation. La fête de Jeanne d'Arc est commémorée chaque année à Orléans le 8 mai, en référence au 8 mai 1429, jour de la libération de la ville par Jeanne d'Arc.

Jeanne d'Arc et le sentiment national

Dès le XIXe siècle, le mythe est créé. L'historien Jules Michelet en a fait une héroïne incarnant le peuple français dans une biographie publiée en 1841. Plusieurs figures de Jeanne d'Arc coexistent : une Jeanne d'Arc de droite, symbole de la défense du pays contre l'envahisseur étranger mais aussi une Jeanne d'Arc de gauche, fille du peuple victime de l'Eglise.
Mais c'est la droite nationale qui va récupérer le mythe. Le basculement a lieu au début du XXe siècle : les catholiques refusent l'image d'une Jeanne d'Arc de gauche anticléricale et vont donc tout faire au début du siècle pour qu'elle soit canonisée. Cette volonté de récupération va décourager une partie de la gauche qui va lâcher le mythe à la droite nationaliste.

Jean-Marie Le Pen récupère Jeanne d'Arc en 1988

En 1988, Jean-Marie Le Pen réalise une percée historique en obtenant 14,4% des voix. Pour peser sur le second tour et faire une démonstration de force, il décida d'organiser une grande manifestation le 1er mai 1988. Pour justifier cette manifestation, il présenta ce regroupement comme la célébration de la "fête du travail et de Jeanne d'Arc".
Le leader d'extrême droite connaissait ses classiques et a donc récupéré le mythe de Jeanne d'Arc pour en faire un symbole de la patrie, l'incarnation de la résistance contre l'étranger quitte à dénaturer complètement le personnage historique puisque les historiens ont démontré que si Jeanne d'Arc a effectivement dirigé des troupes françaises contre les Anglais, il y avait également dans son armée des Ecossais, des Gascons, des Espagnols, des Lombards, des Piémontais et bien d'autres nationalités encore. L'image de la nation française contre l'envahisseur étranger ne tient donc pas historiquement.

Pourquoi le 1er mai ?

Les fêtes de Jeanne d'Arc ont lieu chaque année à Orléans le 8 mai puisque c'est le 8 mai 1429 qu'elle a délivré la ville des Anglais. L'Eglise catholique, qui a béatifié Jeanne d'Arc en 1909, fête la Sainte Jeanne d'Arc le 30 mai ou le dernier dimanche de mai. Alors pourquoi Jean-Marie Le Pen a-t-il choisi le 1er mai ?
Ce choix répond tout simplement à des considérations purement politiques : il souhaitait récupérer le mythe et avoir la plus large audience possible, c'est la raison pour laquelle il organisa la première manifestation le 1er mai 1988, c'est-à-dire entre les deux tours de l'élection présidentielle. En toute logique, il aurait du commémorer Jeanne d'Arc le 8 mai, mais cela tombait après le deuxième tour de l'élection présidentielle. Et voilà comment l'extrême droite a instauré son traditionnel défilé en l'honneur de Jeanne d'Arc chaque 1er mai en dénaturant le mythe de la Pucelle d'Orléans. Une tradition reprise cette année par Marine Le Pen.


*** Sources
- Michel Winock, "Jeanne d'Arc", dans Les lieux de mémoire sous la direction de Pierre Nora, Paris, 1986
- Henri Tincq, "Jeanne d'Arc détournée", Le Monde, 1er mai 1988
- Pierre Besnard, "Le rapt de Jeanne d'Arc", Le Monde, 4 mai 1988

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