A feu et à sang : qu'y a-t-il vraiment dans le livre de Roselyne Bachelot ?

Revue de presse · 19 juil. 2012 à 06:53 · Commentaires 0

La campagne de Bachelot

Le retour est inattendu. Roselyne Bachelot travaillera avec Lionel Jospin dans la commission mise en place par François Hollande pour moraliser la vie politique. Si l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy s'est aussitôt défendu d'être une « prise de guerre » de Hollande, sa nomination (pour un poste non rémunéré a-t-elle précisé) jette le trouble à droite, d'autant plus qu'elle intervient quelques semaines après la publication de son livre, A feu et à sang, très critique sur la campagne présidentielle de Sarkozy.

L'occasion pour nous de revenir en détail sur ce livre. Car au-delà des petites phrases qui se sont retrouvées dans la presse, c'est un véritable témoignage au cœur de la Sarkozye que nous livre Roselyne Bachelot, plus à l'aise dans la critique contre ses anciens collègues que dans l'autocritique sur ses propres années au gouvernement.

Une autocritique quasiment absente

Evacuons d'emblée la faiblesse du livre : l'absence d'autocritique de sa politique. À travers les passages expliquant sa mission de ministre des Solidarités, Bachelot rappelle ses engagements, les différentes luttes politiques et sociales qu'elle a menés mais surtout dresse un bilan plus que concluant de ses actions.
Exemple avec le thème de la solitude. Quand on lui reproche le manque de moyens pour aider les personnes les plus isolées, Bachelot assure que ce sentiment de solitude relève des « inégalités naturelles et sociales ». Conclusion : « affirmer que la France doit toujours dépenser plus en matière de politique sociale est donc une absurdité », assure-t-elle.
Même absence d'autocritique dans la gestion de la grippe A : l'ancienne ministre de la Santé ne fait pas de mea culpa et assure que les avis des scientifiques et organismes de la santé l'ont contraint à commander le nombre de « vaccins correspondant aux normes retenues dans ce type d'épidémie. ». N'a-t-elle pas cédé au lobby des laboratoires ? Combien la grippe A a-t-elle finalement coûté au budget de l'Etat ? Le lecteur n'en saura rien.

Son plaidoyer pour les femmes politiques

Tout au long de son journal, Roselyne Bachelot défend la place des femmes sur la scène politique. Le livre commence sur une question de Valérie Trierweiler à la ministre des Solidarités : elle s'inquiète de la rudesse de la campagne. Bachelot lui répond que la campagne sera effectivement cru[elle]. Mais ce ne sera pas de son fait, elle qui envoie des cartes de vœux à Martine Aubry chaque année, met un point d'honneur à bien s'entendre avec la plupart des femmes politiques et consacre de nombreuses pages de son livre à la défense de Nathalie Kosciusko-Morizet, très critiquée à son poste de porte-parole de Nicolas Sarkozy pendant la campagne.
Ainsi, Roselyne Bachelot dit se sentir obligée de défendre toutes les femmes politiques, victimes permanentes du sexisme. Pour Bachelot, les femmes doivent « combattre en groupe, en réseau, et ne pas penser que le succès de l'une d'entre nous se fera contre les autres ». C'est pourquoi elle évoque les différents gestes qu'elle a eus à l'égard des différentes femmes politiques. Toutefois, deux femmes de son clan n'ont pas eu droit aux mêmes faveurs : Rachida Dati et Rama Yade qui ont été, selon les mots de Roselyne Bachelot, « des erreurs de casting » car « inexpérimentées » et « adoptant des comportements d'enfants gâtées ».

Stéphane Hessel et Laurent Wauquiez dans le collimateur

Place à la campagne. Roselyne Bachelot analyse d'abord l'échec de Nicolas Sarkozy à cause de l'impact... de Stéphane Hessel dans le paysage médiatique. Selon elle, les Français s'engagent de moins en moins en politique, ils ne font qu'adopter une posture d'indignés : « [...] lire Hessel, c'est se donner bonne conscience à 3 euros pour se dédouaner de son absence d'engagement citoyen. »
Sans que l'on comprenne bien le lien entre Stéphane Hessel et Laurent Wauquiez, Bachelot s'en prend sans ménagement à l'ancien ministre des Affaires européennes qui « dans un savant mélange de populisme et d'opportunisme » a stigmatisé les personnes bénéficiant des aides sociales, les traitant d'assistés. Wauquiez avait même parlé de « cancer de la société ». Ces deux personnes, Hessel comme Wauquiez, symbolisent pour elle une attitude extrémiste irresponsable, qui empêche les individus de s'engager pour faire évoluer la société. Dans cet esprit revanchard, elle rappelle que c'est la droite qui, la première, a voulu mettre en place le revenu minimum dès 1981.

Sarkozy cinéphile et fan de Steinbeck

Avant de régler ses comptes avec l'UMP, de reprocher à Nicolas Sarkozy sa campagne électorale, son manque de valorisation de son équipe, ses agissements parfois cavaliers, ses réflexions à l'emporte-pièce, etc., Roselyne Bachelot n'a rien de trouver mieux pour prendre la défense du président sortant qu'en évoquant... la culture du chef de l'Etat. Dans son journal, à la date du 11 janvier, l'ex ministre des Solidarités affirme que Nicolas Sarkozy est un véritable cinéphile, regardant un film chaque soir durant la campagne présidentielle, un grand lecteur, en particulier de John Steinbeck, au point de réciter des passages entiers des Raisins de la colère. Un hommage à peine exagérer. Pour préparer Sarkozy et le lecteur à la suite plus corrosive ?

La critique cinglante d'une campagne trop à droite

On en vient au cœur de l'ouvrage : la dérive droitière de la campagne de Sarkozy. D'après Roselyne Bachelot, trois personnages en particulier (Emmanuelle Mignon, Claude Guéant et Patrick Buisson), sont responsables de la défaite. Ces « âmes noires » ont mis en œuvre des « stratégies désespérées et... désespérantes », explique-t-elle. Pour illustrer ses propos, l'ex membre du gouvernement rappelle les déclarations de Guéant sur « les civilisations [qui] ne se valent pas ». Tentant d'expliquer dans un premier temps la maladresse du ministre de l'Intérieur, elle en conclut que ses propos sont des provocations, qui exaspèrent. « Cela focalise les échanges du microcosme sur des sujets qui ne sont pas en tête des préoccupations des Français » reconnaît-elle. [...] Les Français ne sont pas dupes des ficelles de ce discours et les « sorties » de Claude Guéant, répétées depuis des mois, relèvent quasiment du comique de répétition. »
Roselyne Bachelot tente de montrer que pendant la campagne deux mouvements au sein de l'UMP se sont affrontés : d'un côté, un clan faisant de l'œil à l'extrême droite, de l'autre, une droite « humaniste, tolérante et progressiste ».

Dans « A feu et à sang », Roselyne Bachelot règle donc ses comptes avec les différents membres de son parti, en particulier, avec le « monstre à trois têtes » (Emmanuelle Mignon, Patrick Buisson et Claude Guéant), mais aussi avec François Bayrou à qui elle ne pardonne pas le ralliement à François Hollande au second tour de la présidentielle. Mais on retiendra avant tout de ce journal une certaine amertume à l'égard de Sarkozy qui n'aurait pas été capable de valoriser son équipe, et à l'égard de la politique en général. Avec ce livre, Roselyne Bachelot semble mettre un point final à sa carrière politique. Hollande et Jospin en ont finalement décidé autrement.


ASD


*** Source
- Roselyne Bachelot, A feu et à sang. Carnet secrets d'une présidentielle de tous les dangers, Flammarion, 2012, 261 pages.

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