Jérôme Cahuzac, portrait d'un ministre dans le collimateur de Mediapart

Portraits politiques · 16 jan. 2013 à 22:35 · Commentaires 0

Jérôme Cahuzac

Plus d'un mois après les révélations de Mediapart sur l'existence supposée d'un compte Suisse non déclaré, le ministre du budget, Jérôme Cahuzac, tient bon. Sa démission n'est pas à l'ordre du jour et il continue de réfuter ces accusations, malgré l'insistance du site d'information et l'ouverture d'une enquête préliminaire. Portrait d'un ministre tenace.

Origines et formation

Jérôme Cahuzac est né le 19 juin 1952, à Talence en Gironde, au hasard d'une mutation professionnelle de son père, ingénieur en armement. Il grandit en banlieue parisienne, à Antony aux côtés de son frère Antoine et de ses parents qui se rencontrèrent durant la Seconde Guerre mondiale alors qu'ils étaient tous deux résistants : tandis que le père est sous les ordres du communiste Jean-Pierre Vernant, la mère organise un réseau permettant à des dizaines de juifs de passer en Espagne.
Si Antoine Cahuzac, après des études à Polytechnique, fait carrière dans la banque puis est nommé à la tête d'EDF Énergies nouvelles par Henri Proglio en janvier 2012 ; Jérôme Cahuzac choisit médecine. Il commence sa carrière comme cardiologue dans le public. Parallèlement, sur les conseils de son ami le constitutionnaliste Guy Carcassonne, il prend sa carte du Parti socialiste en 1977 et commence à se rapprocher des rocardiens.

Ses premiers pas en politique

En 1988, Jérôme Cahuzac participe à la préparation de la candidature de Michel Rocard à la présidentielle sur des questions liées à la santé. Lorsque Guy Carcassonne est nommé conseiller du Premier ministre Michel Rocard, celui-ci avance le nom de Cahuzac pour entrer dans le cabinet du ministre de la Santé, Claude Evin. À ce poste, Cahuzac prépare essentiellement la loi Evin, relative à la lutte contre le tabagisme et à l'alcoolisme.

Chirurgien esthétique et consultant

N'étant pas élu, Jérôme Cahuzac se retrouve sans rien quand Michel Rocard doit démissionner en mai 1991 de sa fonction de Premier ministre. Il décide alors de poursuivre sa carrière de chirurgien, mais prend une nouvelle direction : il devient chirurgien esthétique dans le privé. Avec son épouse, dermatologue, avec qui il aura trois enfants, il crée la clinique Cahuzac dans le VIIIe arrondissement, spécialisée dans les implants capillaires. Deux ans plus tard, en 1993, il dépose les statuts de Cahuzac Conseil, une société de conseils au service de l'industrie pharmaceutique. Autrement dit, une activité de lobbying au profit des labos. D'après Mediapart, dès la première année d'activité de Cahuzac Conseil, la société affiche 1 932 500 francs de chiffre d'affaires, soit 385 343 euros. Autant dire que l'ancien membre du cabinet du ministre de la Santé a su parfaitement faire fructifier son carnet d'adresses.

Elu du Lot-et-Garonne : député, conseiller général et maire

En 1995, Cahuzac rejoint Lionel Jospin. Il entre dans l'équipe de campagne du candidat socialiste pour la présidentielle et participe à l'élaboration du programme sur les questions relatives à la santé. Malgré l'échec de Jospin, Cahuzac poursuit son ascension politique. Pour la première fois, à l'âge de 45 ans, il se présente aux élections législatives. Il est élu député de la troisième circonscription de Lot-et-Garonne en 1995. L'année suivante, il est nommé conseiller général du Lot-et-Garonne. Et en 2001, il est élu maire de Villeneuve-sur-Lot à la faveur d'une triangulaire. Aux législatives de juin 2002, il perd son siège de député face à Alain Merly (UMP), mais il le retrouve en 2007.

Président de la commission des finances (2010-2012)

En 2008, Jérôme Cahuzac est nommé vice-président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, porte-parole du groupe sur les questions financières. Il critique notamment le bouclier fiscal cher à Nicolas Sarkozy et les cadeaux fiscaux faits aux plus riches.
Fort de cette expérience, il est désigné, en février 2010, président de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. Au cours de son mandat, il a notamment proposé un amendement au projet de budget 2011 portant sur l'a création d'une contribution de solidarité nationale pour les Français domiciliés fiscalement à l'étranger.
Soutenant dans un premier temps la candidature de Dominique Strauss-Kahn, Jérôme Cahuzac intègre l'équipe de campagne de François Hollande lors de l'élection présidentielle de 2012. Il est en charge des questions liées au budget et à la fiscalité.

Ministre du Budget depuis 2012

En mai 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault nomme Jérôme Cahuzac ministre du Budget. Chargé de mettre en œuvre une politique de rigueur budgétaire, Cahuzac s'occupe de la préparation de la loi de Finances de 2013 prévoyant de réduire de dix milliards d'euros les dépenses des différents ministères. D'où une certaine impopularité au sein même du gouvernement. Ses collègues comme l'opposition disent de lui qu'il est « rugueux », « cassant », « arrogant », véritable « homme de fer », n'hésitant pas à aller au conflit pour obtenir gain de cause. Quatre ministres, entre juillet et début septembre 2013 ont d'ailleurs demandé l'arbitrage du Premier ministre : il s'agit de Michel Sapin, ministre du Travail, opposé à la limitation des crédits de l'emploi pour 2013, Cécile Duflot, ministre du Logement, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et Delphine Batho, ministre de l'Ecologie.
Compétent, maîtrisant parfaitement ses dossiers, Cahuzac commet tout de même quelques faux pas, à commencer par le raté sur la taxe à 75% au-delà d'un million d'euros sur les très hauts revenus. Chargé de mettre en œuvre cette mesure à laquelle il n'était pas favorable pendant la campagne, Cahuzac a subi un sérieux revers avec la censure du Conseil constitutionnel, repoussant au moins d'une année l'entrée en vigueur de cette mesure.

Un compte suisse ? Cahuzac face aux accusations de Mediapart

Le 4 décembre, Mediapart publie un article indiquant que Jérôme Cahuzac aurait détenu un compte en Suisse non déclaré pendant plusieurs années. Il aurait fermé ce compte UBS en 2010 en transférant les avoirs à Singapour. Les accusations de Mediapart s'appuient essentiellement sur un enregistrement audio datant de l'an 2000 et dans lequel un homme, présenté par le site d'information comme étant Cahuzac, s'inquiète de l'existence de ce compte : "Ça me fait chier d'avoir un compte ouvert là-bas, l'UBS c'est quand même pas forcément la plus planquée des banques", déclare l'homme en question. Pour Mediapart, qui a recueilli plusieurs témoignages, pas de doute, il s'agit de Jérôme Cahuzac. A l'époque député, il aurait laissé par erreur ce message sur le répondeur de son adversaire politique local, Michel Gonelle, lequel aurait déposé cet enregistrement chez un notaire pendant 12 ans.
Face à toutes ces accusations, le ministre du budget, en charge de la lutte contre l'évasion fiscale, a toujours nié l'existence d'un tel compte. Une enquête préliminaire a été ouverte début janvier par le parquet de Paris. Tous les témoins de cette affaire devraient être entendus. Mais ça ne devrait pas être suffisant pour connaître le fin mot de l'histoire. Car seule la banque UBS détient la clé de l'affaire : l'établissement bancaire pourrait très bien dire si Cahuzac a été titulaire d'un tel compte. Mais au nom du respect du secret bancaire, UBS ne semble pas disposer à délivrer une telle information.


par Anne-Sophie Demonchy


*** Sources
- M. Deslandes, "Cahuzac, le mec qui dit tout haut ce que Hollande fait tout bas", Rue89, 7.03.2012
- Nicolas Prissette, "Cahuzac, l'homme le plus détesté du gouvernement", Le JDD, 09.09.2012
- N. et C. Alix, « Jérôme Cahuzac, moine soldat de la rigueur », Libération, 24.09 2012
- Claire Guélaud, « Jérôme Cahuzac, l'homme du redressement fiscal », Le Monde, 24.09.2012
- F. Arfi, "Le compte suisse du ministre du budget Jérôme Cahuzac", Mediapart, 04.12.2012
- Fabrice Arfi, "Cahuzac: l'aveu enregistré", Mediapart, 05.12.2012
- M. Mathieu, "Cahuzac, «l'ami» du roi des labos pharmaceutiques", Mediapart, 20.12.2012

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