Revue de presse · 21 fév. 2013 à 06:57 · 0
A force de répéter une statistique fausse devient-elle vraie pour l'opinion ? C'est sans doute ce que pensent Nicolas Sarkozy et Claude Guéant. Depuis 2007, ils répètent tous deux un argument fallacieux sur la récidive. Hier encore, invité sur Itélé, Claude Guéant en a remis une louche: "Il ne faut pas oublier que, je me trompe peut-être de quelques points dans les chiffres, mais la tendance est celle-là, 5% des délinquants font 50% de la délinquance". Un argument déjà utilisé par Sarkozy pendant la campagne de 2007 pour justifier la lutte contre la récidive et l'instauration des peines planchers. Avec en arrière-fond, une idée simple : il suffirait d'être plus ferme avec ces 5% de délinquants pour diminuer la délinquance de 50%.
Dans sa rubrique Desintox, Libération démonte sa statistique et dénonce "une idée reçue, à partir d'une étude déformée et généralisée". D'où vient ce chiffre ? D'une enquête sociologique qui date de 2001. "L'enquête s'appuie non pas sur les statistiques officielles, mais sur les témoignages anonymes de 2 300 jeunes de 13 à 19 ans questionnés sur leurs faits et méfaits dans des collèges et lycées de Saint-Etienne et Grenoble, explique Libé. D'après les déclarations recueillies, sur plus de 20 000 actes délictuels recensés (fraude dans les transports en commun, agressions, vols...), le directeur de recherche au CNRS, auteur de l'enquête, aboutissait à la conclusion que les 5% des jeunes les plus actifs commettaient plus de la moitié des délits".
Cela signifie-t-il que 5% des délinquants font 50% des délits ? Non. D'abord parce qu'il ne s'agit pas de 5% des délinquants mais de 5% d'une classe d'âge (délinquants ou non), ce qui n'a rien à voir en terme de proportion. Deuxième problème : cette enquête est déclarative et ne s'appuie pas sur des statistiques officielles du ministère de la justice. Personne n'est donc allé vérifier si les déclarations de ces jeunes étaient vraies. Enfin, et surtout, aucune statistique ne permet de généraliser cette statistique qui ne s'appuie que sur un échantillon de 2 300 jeunes questionnés dans deux villes de France il y a près de 12 ans. "Les syndicats de magistrats ou les spécialistes de la délinquance insistent sur le fait qu'il n'existe aucune statistique" dans ce domaine, rappelle Libération. Seuls chiffres connus, issus d'une enquête du ministère de la Justice qui date de 2010, le profil des détenus : "parmi les 544 845 personnes condamnées en 2007 pour délit, 8% étaient en état de récidive légale, 26,7% en simple réitération [condamnation pour un autre délit] sur cinq ans". On est loin du 5% pour 50%, des chiffres répétés depuis 2007 mais qui ne reposent sur aucune donnée statistique. Tant que les électeurs de l'UMP y croient...
*** Source
- Gael Cerez, "Guéant, récidiviste de l'intox", Libération, 21.02.2013