Portraits politiques · 3 avr. 2013 à 07:44 · 0
Il a menti. L'ancien ministre du budget, celui qui était chargé de mettre en place une politique de rigueur budgétaire et de lutte contre les exilés fiscaux, est donc lui-même un exilé fiscal. Quatre mois, jour pour jour, après les révélations de Mediapart sur l'existence d'un compte suisse appartenant à Jérôme Cahuzac, ce dernier a avoué qu'il détenait encore 600 000 euros d'avoirs à l'étranger, non déclarés au fisc, une administration qu'il dirigeait voilà encore deux semaines. "Déflagration", "affaire d'Etat", "mensonge et trahison". La carrière politique de celui qui est désormais le plus connu des exilés fiscaux de France s'arrête ici. Portrait.
Jérôme Cahuzac est né le 19 juin 1952, à Talence en Gironde, au hasard d'une mutation professionnelle de son père, ingénieur en armement. Il grandit en banlieue parisienne, à Antony aux côtés de son frère Antoine et de ses parents qui se rencontrèrent durant la Seconde Guerre mondiale alors qu'ils étaient tous deux résistants : tandis que le père est sous les ordres du communiste Jean-Pierre Vernant, la mère organise un réseau permettant à des dizaines de juifs de passer en Espagne.
Si Antoine Cahuzac, après des études à Polytechnique, fait carrière dans la banque puis est nommé à la tête d'EDF Énergies nouvelles par Henri Proglio en janvier 2012 ; Jérôme Cahuzac choisit médecine. Il commence sa carrière comme cardiologue dans le public. Parallèlement, sur les conseils de son ami le constitutionnaliste Guy Carcassonne, il prend sa carte du Parti socialiste en 1977 et commence à se rapprocher des rocardiens.
En 1988, Jérôme Cahuzac participe à la préparation de la candidature de Michel Rocard à la présidentielle sur des questions liées à la santé. Lorsque Guy Carcassonne est nommé conseiller du Premier ministre Michel Rocard, celui-ci avance le nom de Cahuzac pour entrer dans le cabinet du ministre de la Santé, Claude Evin. À ce poste, Cahuzac prépare essentiellement la loi Evin, relative à la lutte contre le tabagisme et à l'alcoolisme.
N'étant pas élu, Jérôme Cahuzac se retrouve sans rien quand Michel Rocard doit démissionner en mai 1991 de sa fonction de Premier ministre. Il décide alors de poursuivre sa carrière de chirurgien, mais prend une nouvelle direction : il devient chirurgien esthétique dans le privé. Avec son épouse, dermatologue, avec qui il aura trois enfants, il crée la clinique Cahuzac dans le VIIIe arrondissement, spécialisée dans les implants capillaires. Deux ans plus tard, en 1993, il dépose les statuts de Cahuzac Conseil, une société de conseils au service de l'industrie pharmaceutique. Autrement dit, une activité de lobbying au profit des labos. D'après Mediapart, dès la première année d'activité de Cahuzac Conseil, la société affiche 1 932 500 francs de chiffre d'affaires, soit 385 343 euros. Autant dire que l'ancien membre du cabinet du ministre de la Santé a su parfaitement faire fructifier son carnet d'adresses.
En 1995, Cahuzac rejoint Lionel Jospin. Il entre dans l'équipe de campagne du candidat socialiste pour la présidentielle et participe à l'élaboration du programme sur les questions relatives à la santé. Malgré l'échec de Jospin, Cahuzac poursuit son ascension politique. Pour la première fois, à l'âge de 45 ans, il se présente aux élections législatives. Il est élu député de la troisième circonscription de Lot-et-Garonne en 1995. L'année suivante, il est nommé conseiller général du Lot-et-Garonne. Et en 2001, il est élu maire de Villeneuve-sur-Lot à la faveur d'une triangulaire. Aux législatives de juin 2002, il perd son siège de député face à Alain Merly (UMP), mais il le retrouve en 2007.
En 2008, Jérôme Cahuzac est nommé vice-président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, porte-parole du groupe sur les questions financières. Il critique notamment le bouclier fiscal cher à Nicolas Sarkozy et les cadeaux fiscaux faits aux plus riches.
Fort de cette expérience, il est désigné, en février 2010, président de la Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire. Au cours de son mandat, il a notamment proposé un amendement au projet de budget 2011 portant sur l'a création d'une contribution de solidarité nationale pour les Français domiciliés fiscalement à l'étranger.
Soutenant dans un premier temps la candidature de Dominique Strauss-Kahn, Jérôme Cahuzac intègre l'équipe de campagne de François Hollande lors de l'élection présidentielle de 2012. Il est en charge des questions liées au budget et à la fiscalité.
En mai 2012, le Premier ministre Jean-Marc Ayrault nomme Jérôme Cahuzac ministre du Budget. Chargé de mettre en œuvre une politique de rigueur budgétaire, Cahuzac s'occupe de la préparation de la loi de Finances de 2013 prévoyant de réduire de dix milliards d'euros les dépenses des différents ministères. D'où une certaine impopularité au sein même du gouvernement. Ses collègues comme l'opposition disent de lui qu'il est « rugueux », « cassant », « arrogant », véritable « homme de fer », n'hésitant pas à aller au conflit pour obtenir gain de cause. Quatre ministres, entre juillet et début septembre 2013 ont d'ailleurs demandé l'arbitrage du Premier ministre : il s'agit de Michel Sapin, ministre du Travail, opposé à la limitation des crédits de l'emploi pour 2013, Cécile Duflot, ministre du Logement, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et Delphine Batho, ministre de l'Ecologie.
Compétent, maîtrisant parfaitement ses dossiers, Cahuzac commet tout de même quelques faux pas, à commencer par le raté sur la taxe à 75% au-delà d'un million d'euros sur les très hauts revenus. Chargé de mettre en œuvre cette mesure à laquelle il n'était pas favorable pendant la campagne, Cahuzac a subi un sérieux revers avec la censure du Conseil constitutionnel, repoussant au moins d'une année l'entrée en vigueur de cette mesure.
Le 4 décembre, Mediapart publie un article indiquant que Jérôme Cahuzac a détenu un compte en Suisse non déclaré pendant plusieurs années avant de transférer ses avoirs à Singapour. Les accusations de Mediapart s'appuient essentiellement sur un enregistrement audio datant de l'an 2000 et dans lequel un homme, présenté par le site d'information comme étant Cahuzac, s'inquiète de l'existence de ce compte : "Ça me fait chier d'avoir un compte ouvert là-bas, l'UBS c'est quand même pas forcément la plus planquée des banques", déclare l'homme en question. Pour Mediapart, qui a recueilli plusieurs témoignages, pas de doute, il s'agit de Jérôme Cahuzac. A l'époque député, il a laissé par erreur ce message sur le répondeur de son adversaire politique local, Michel Gonelle, lequel a déposé cet enregistrement chez un notaire pendant 12 ans.
Face à toutes ces accusations, le ministre du budget, en charge de la lutte contre l'évasion fiscale, a nié l'existence d'un tel compte pendant quatre mois. Devant les députés, il avait notamment fait une déclaration solennelle : "Je n'ai jamais eu un compte à l'étranger, ni maintenant ni avant". Une enquête préliminaire, une ouverture d'une information judiciaire, et une démission plus tard, Cahuzac passe aux aveux. A la veille de la publication d'un article du Canard enchaîné, Jérôme Cahuzac a reconnu, sur son blog, que tout ce qu'avait écrit Mediapart était vrai. Il a 600 000 euros sur un compte à l'étranger, vraisemblablement à Singapour. Demandant "pardon", Cahuzac joue sur le registre de la confession : "J'ai mené une lutte intérieure taraudante pour tenter de résoudre le conflit entre le devoir de vérité auquel j'ai manqué et le souci de remplir les missions qui m'ont été confiées et notamment la dernière que je n'ai pu mener à bien. J'ai été pris dans une spirale du mensonge et m'y suis fourvoyé. Je suis dévasté par le remords. Penser que je pourrais éviter d'affronter un passé que je voulais considérer comme révolu était une faute inqualifiable. J'affronterai désormais cette réalité en toute transparence". Des mots qui mettent un terme à sa carrière politique et déclenchent une véritable déflagration. A la justice, désormais, de déterminer les conditions exactes de cette évasion fiscale.
*** Sources
- M. D., "Cahuzac, le mec qui dit tout haut ce que Hollande fait tout bas", Rue89, 07.03.2012
- Nicolas Prissette, "Cahuzac, l'homme le plus détesté du gouvernement", Le JDD, 09.09.2012
- N. Raulin et C. Alix, « Jérôme Cahuzac, moine soldat de la rigueur », Libération, 24.09 2012
- Claire Guélaud, « Jérôme Cahuzac, l'homme du redressement fiscal », Le Monde, 24.09.2012
- Fabrice Arfi, "Le compte suisse du ministre du budget", Mediapart, 04.12.2012
- Fabrice Arfi, "Cahuzac: l'aveu enregistré", Mediapart, 05.12.2012
- M. Mathieu, "Cahuzac, «l'ami» du roi des labos pharmaceutiques", Mediapart, 20.12.2012
- M. Magnaudeix et S. Alliès, "Affaire Cahuzac : la déflagration", Mediapart, 03.04.2013