Le Canard enchaîné · 2 oct. 2013 à 08:56 · 0
C'est en 1810 que le secret médical a été officialisé en France. Autant dire qu'il s'agit d'un principe fondateur de notre médecine. Et pourtant, selon Le Canard enchaîné, une loi votée en 2008 a indirectement remis en cause cette obligation au secret. Désormais, des sociétés de "conseils" accèdent aux dossiers médicaux des patients pour faire payer davantage la Sécu. Explications.
Depuis 2008, le mode de financement des hôpitaux a changé : la Sécurité sociale finance chaque établissement hospitalier à l'acte réalisé. Une radio ? Une opération ? Un test sanguin ? A chaque acte correspond un code, lequel donne droit à un remboursement de la part de la Sécurité sociale. Ce système est complexe puisqu'il existe des milliers d'acte, donc des milliers de codes. Voilà pourquoi des sociétés privées se sont lancées sur ce marché lucratif pour aider les hôpitaux : "Elles leur proposent de revoir leurs archives sur deux ou trois années en arrière, raconte Le Canard. Objectif : vérifier si des actes n'ont pas été oubliés et envoyer la nouvelle facture à la Sécu. Dans le jargon, on appelle ça "le codage"". Seuls les hôpitaux sont concernés par ce marché car les cliniques ne peuvent pas corriger leurs factures après coup.
Mandatées par les hôpitaux, ces sociétés épluchent donc les dossiers médicaux des patients. Pour le leader du secteur, c'est 15 000 dossiers revus dans 150 hôpitaux. Est-ce légale ? Ses sociétés ont obtenu, auprès de la CNIL, une autorisation pour consulter les résumés de séjour, qui sont anonymes. Sauf que dans les faits, ces sociétés accèdent bien à tout le dossier médical. C'est ce que qu'a reconnu l'un des présidents d'une de ses sociétés privées interrogé par Le Canard.
Pour les hôpitaux et les sociétés privées, cette pratique est très rentable : il n'est pas rare de retrouver pour chaque patient un acte "oublié" que ce soit une perfusion administrée ou des prises de cachet pour palier une carence. A Saint-Malo par exemple, en fouillant dans 1500 dossiers, une société a permis de retrouver près de 2 millions d'euros d'arriérés (un chiffre sur lequel la société prélève 6%). Au total, en 2012, ce sont près de 300 millions d'euros que les hôpitaux ont récupéré auprès de la Sécu.
Plusieurs syndicats, Sud-Santé et le syndicat des médecins "Avenir hospitalier" sont montés au créneau auprès du ministère de la santé et de la CNIL pour dénoncer la violation du secret médical. Sans réponse. Pourtant, cela fait plusieurs années que des dérives ont été constatées : "Les premiers témoignages étaient venus de Melun et de Grenoble. Mais chaque fois, les pressions ont été très fortes", raconte un médecin. Les dossiers des patients sont également épluchés par des sociétés privées dans les CHU de Brest, Besançon, Evreux, Belfort-Montbéliard...
Et comme si cela ne suffisait pas, en plus de la violation du secret médical, ce procédé pousse les hôpitaux à pratiquer le "surcodage". Traduction : des hôpitaux inventent des actes imaginaires pour obtenir davantage de remboursement auprès de la Sécurité sociale. "Vous facturez une mycose même si le patient n'a pas été soigné pour ça. Dans certains établissements pour personnes âgées, c'est fou, l'inflation de mycoses du gros orteil", ironise une responsable de Sud-Santé interrogée par Le Canard. Pire : la prise en charge des patients est parfois modifiée pour alourdir la facture. Avant, les chirurgiens pouvaient par exemple extuber les malades sur la table d'opération. Désormais, les anesthésistes souhaitent s'en charger car cela fait un acte en plus, donc un financement supplémentaire, pour leur service. Dans d'autres cas, on fait revenir le malade une deuxième fois alors qu'il aurait pu être traité en un jour. Toujours dans le même but : faire grimper la facture de la Sécurité sociale.
Entre la violation du secret médical et le surcodage, on peut dire que les hôpitaux, à défaut de mieux prendre en charge leur patient, soignent bien leur budget.
*** Source
- Isabelle Barré, "Les hôpitaux soignent mal le secret médical", Le Canard enchaîné n°4847, 18.09.2013
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