Revue de presse · 31 mar. 2014 à 22:05 · 0
Exit Jean-Marc Ayrault. Au lendemain de l'échec de la gauche aux élections municipales, François Hollande a décidé de nommer Manuel Valls à Matignon. Portrait du nouveau Premier ministre.
Manuel Valls est né le 13 août 1962 à Barcelone en Espagne. Fils d'un artiste peintre espagnol réfugié en France, il obtient la nationalité française grâce à une procédure de naturalisation. En 1980, à l'âge de 17 ans, il adhère au Parti Socialiste pour soutenir Michel Rocard. Au sein du PS, il appartient à la deuxième gauche, celle de Rocard, pragmatique, contre celle de Mitterrand, plus à gauche. Pendant ses études d'histoire à l'université Paris 1-Tolbiac, il entre au syndicat étudiant socialiste, l'UNEF-ID. Mais c'est surtout au sein des réseaux rocardiens que Manuel Valls trouve sa place.
En 1986, alors qu'il n'a que 24 ans, il est élu au conseil régional d'Ile de France. Deux ans plus tard, il entre au cabinet du Premier ministre, Michel Rocard en charge des relations avec le Parlement. Après la démission de Rocard en 1992, Valls retrouve son poste au conseil régional d'Ile de France, qu'il ne quittera qu'en 2002. En 1997, il échoue au premier tour des élections législatives dans la 5e circonscription du Val d'Oise. Mais sa carrière politique rebondit aussitôt grâce à une nouvelle nomination dans un cabinet ministériel. Il devient conseiller pour la communication et la presse auprès du Premier ministre, Lionel Jospin. C'est notamment à ce poste qu'il noue des liens avec des membres du New Labor de Tony Blair.
En mars 2001, Manuel Valls est élu maire d'Evry dans l'Essonne. L'année suivante, il devient député de la 1re circonscription de l'Essonne. Cinq ans plus tard, il est réélu très confortablement avec 60,12% des voix. Sa gestion de la mairie d'Evry est particulièrement remarquée. Homme de gauche, il défend les couches populaires mais refuse l'angélisme sur les questions liées à la sécurité. Lors des émeutes de l'automne 2005, il est le seul socialiste à s'abstenir de critiquer l'instauration du couvre-feu. Pour refuser la ghettoïsation d'un quartier d'Evry, il n'a pas hésité à s'opposer à l'installation d'un supermarché halal dans sa commune.
Ainsi, sur les questions de justice, d'immigration ou à propos de la lutte contre la criminalité, Manuel Valls défend souvent des positions assez éloignées de la ligne officielle du PS. En 2007, par exemple, Manuel Valls propose aux commerçants d'installer un dispositif de télésurveillance pour lutter contre l'insécurité de certains quartiers d'Evry. Il n'hésite pas à utiliser des mots durs pour désigner les jeunes violents de sa ville et adopte une attitude éloignée de celle tenue par une grande partie des dirigeants de gauche, déclarant : « Aucun recoin de la ville ne doit être laissé aux voyous ». En l'espace de six ans, il double les effectifs de la police municipale. Pour donner une image neuve et moderne d'Evry et faire parler de son action politique, Manuel Valls ne lésine pas sur la communication : il crée, dès son arrivée à la tête de la ville, un nouveau logo pour Evry et remplace le bulletin municipal par trois revues en couleurs. Résultat ? Entre 2000 et 2003, les dépenses liées à la communication ont augmenté de 852,6%.
En 2004, Manuel Valls prend ses distances avec la majorité des dirigeants socialistes au sujet du référendum sur le traité constitutionnel. Il se rapproche dans un premier temps de Laurent Fabius, qui s'oppose au traité européen. Ce refus de la Constitution européenne met en difficulté le Premier secrétaire du PS. Pour les proches de François Hollande, Valls manoeoeuvrait pour s'emparer du parti : « Ce bruit m'honore et fait monter mon ego déjà grand de plusieurs mètres », avait-il répondu. Mais coup de théâtre, au fur et à mesure de la campagne, Valls change radicalement de position et finit par défendre la ligne de son parti en votant oui, au référendum contrairement à Laurent Fabius.
Au Parti Socialiste, ses adversaires le désignent comme un homme à droite de la gauche ou de centre-gauche. Lui préfère se présenter comme un partisan d'un social-libéralisme à la française. Selon lui, la société de marché, le travail, la lutte contre l'insécurité, la refonte de la loi de 1905 sur la laïcité ne doivent plus être des questions taboues à gauche. Après la défaite de Ségolène Royal lors de la présidentielle de 2007, il s'en est pris violemment à François Hollande qu'il accuse d'immobilisme et d'être à l'origine des échecs du PS faute d'avoir fait évoluer le parti.
Partisan d'une profonde rénovation de la gauche, il multiplie les coups d'éclat. Il se considère comme un pragmatique, qui veut expérimenter ce qui marche, au risque de bousculer les orthodoxes du PS. Ainsi, lorsqu'un journaliste l'interroge sur l'omniprésence de Sarkozy dans les médias, il rétorque que cela ne le choque pas. Au contraire, il préfère insister sur l'incapacité des socialistes à créer le débat, à innover. Sa stratégie du coup d'éclat médiatique lui permet de sortir du lot. Il a même évoqué publiquement la possibilité de changer le nom du Parti Socialiste pour entériner la modernisation de la gauche.
Après le double échec socialiste à la présidentielle et aux législatives de 2007, Manuel Valls a des propos durs à l'égard du Parti Socialiste. Fort de sa réélection dans sa circonscription avec 60% des voix, Manuel Valls est persuadé que son positionnement au centre-gauche correspond le mieux à l'évolution de la société. Si Nicolas Sarkozy a été largement élu, c'est parce qu'il a réussi à attirer à lui les couches populaires qui votaient à gauche mais qui ont été sensibles à un discours sur l'ordre et la sécurité. Décidé à peser sur les orientations du PS, il crée son propre micro-parti, un type d'organisation qui était jusqu'à présent propre à la droite.
Au Parti Socialiste, le jeu des courants et des rapports de force entre éléphants rend très complexe une stratégie d'autonomie. Manuel Valls l'a très bien compris en renonçant à présenter sa propre motion au congrès de Reims. Contre toute attente, alors qu'il avait eu des propos assez durs sur Ségolène Royal, notamment au soir du second tour des législatives lorsqu'elle avait annoncé sa séparation avec François Hollande, Manuel Valls se rallie à l'ex-candidate à la présidentielle. Avec Vincent Peillon, il vient renforcer son staff.
Jusqu'en 2008, la présidente de la région Poitou-Charentes ne réussit pas à s'entourer de personnalités charismatiques au sein du PS (seuls Jean-Louis Bianco et François Rebsamen lui sont restés fidèles après la présidentielle). Or ce double ralliement constitue un atout non négligeable pour la candidate au poste de Premier secrétaire afin d'incarner le renouveau. A la différence de Bertrand Delanoë qui apparaît comme le candidat de la continuité, Ségolène Royal se présente comme la candidate du changement.
Manuel Valls joue un rôle clé au congrès de Reims qui se déroule du 14 au 16 novembre 2008. C'est lui qui est le porte-parole de Ségolène Royal, tête de liste face à Bertrand Delanoë, Martine Aubry et Benoît Hamon. Il se présente devant les caméras pour commenter les résultats à chaud. Lorsque les socialistes découvrent le 22 novembre que Martine Aubry arrive en tête du second tour devant Ségolène Royal avec de 42 voix d'avance, Manuel Valls souhaite non seulement un nouveau vote mais surtout annonce le dépôt d'une plainte pour faux en écriture dans une section lilloise. La fédération socialiste du Nord menace alors d'une plainte en diffamation. Dans cette affaire, Valls s'expose, à la différence de Vincent Peillon, qui se veut plus en retrait pour incarner le consensus. A l'issue du congrès de Reims, Manuel Valls radicalise une nouvelle fois son image et multiplie les inimitiés au sein du Parti.
En juillet 2009, suite aux nombreuses critiques que Manuel Valls adresse au PS, semblant soutenir la politique de Nicolas Sarkozy, Martine Aubry décide de lui envoyer une lettre parue dans Le Parisien, l'enjoignant de rentrer dans le rang ou bien de quitter le parti : « Mon cher Manuel, s'il s'agit pour toi de tirer la sonnette d'alarme par rapport à un parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement, écrit-elle. Si les propos que tu exprimes reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti socialiste. [...] Je te demande de me faire part de ton choix dans les jours qui viennent, et d'en assumer toutes les conséquences pour l'avenir. » Réponse de Manuel Valls dans une lettre ouverte : « Je t'informe que j'entends bien rester fidèle à mon poste, à ma famille politique et à mes valeurs », explique-t-il. « Je ne me ferai pas le silencieux complice de l'aveuglement. » Ambiance...
A la suite à l'affaire DSK, Manuel Valls décide de se porter candidat aux primaires socialistes. Par rapport aux six autres candidats (Hollande, Aubry, Royal, Baylet, Montebourg), il se distingue en prenant des positions de centre droit en insistant sur la nécessité absolue de résorber le déficit public ou en faisant des propositions qui détonent à gauche comme l'instauration de quotas d'immigration.
Finalement, Manuel Valls est éliminé dès le premier tour avec 5,63% des suffrages et annonce qu'il soutiendra le candidat François Hollande contre Martine Aubry.
Ce soutien lui vaut d'être nommé directeur de la communication pour la campagne présidentielle du candidat socialiste. Il profite de cette nouvelle opportunité pour changer son image auprès du PS et se rendre indispensable auprès du candidat.
Habitué à cette fonction puisqu'il a par le passé été le porte-parole du Premier ministre Lionel Jospin entre 1997 et 2001, il protège François Hollande contre les différents assauts médiatiques. Ainsi, la longue brouille avec le candidat datant du référendum pour la Constitution européenne semble oubliée. Manuel Valls n'est plus persona non grata et peut espérer compter, en cas de victoire de François Hollande à la présidentielle, obtenir un ministère à la hauteur de ses ambitions.
Comme prévu, le 16 mai 2012, Manuel Valls est nommé ministre de l'Intérieur dans le gouvernement Jean-Marc Ayrault. Ne pouvant cumuler différentes fonctions, il démissionne de la mairie d'Evry mais continue de siéger en tant que conseiller municipal... avant de démissionner de son poste d'adjoint après la polémique sur son cumul d'indemnités.
Très rapidement, Valls se démultiplie dans la sphère médiatique... à l'image de l'un de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy. Dès août 2012, il met à exécution plusieurs chantiers promis par le candidat PS à la présidentielle. Il inaugure ainsi à Saint-Ouen (93) la première zone de sécurité prioritaire (ZSP) et multiplie les promesses notamment la création de 500 postes de policiers et de gendarmes tous les ans pendant le quinquennat.
Comme l'avait fait le ministre de l'Intérieur de la majorité précédente, Valls procède au démantèlement des camps roms à la suite de décisions de justice. Face aux critiques émanant de son camp et des associations, le ministre se justifie et communique à tout va : « La présence de migrants ne saurait se traduire par la multiplication et l'enracinement de campements insalubres, dangereux tant pour leurs occupants que pour le voisinage », il « en va de la préservation des conditions du vivre-ensemble », et refusant toute comparaison avec ce qu'avait fait l'ancien ministre UMP, il ajoute : « Ce qu'il s'est passé il y a deux ou trois ans lorsque l'ancien président de la République avait stigmatisé une population, cela n'a rien à voir évidemment avec ce que nous faisons aujourd'hui », « Aucune politique publique que je mène ne sera focalisée sur tel ou tel groupe culturel. ».
Moins de deux ans après sa nomination Place Beauvau, et malgré un bilan statistique très mitigé en matière de lutte contre la délinquance, Manuel Valls est finalement nommé Premier ministre, en remplacement de Jean-Marc Ayrault, le 31 mars 2014, au lendemain de l'échec de la gauche aux élections municipales.
*** Sources
- J. Trentesaux, « Le système Valls. La petite république vallsienne », L'Express, 23.08.2007
- Paul Quinio, « En ordre de bataille », Libération, 01.09.2007
- Paul Quinio, « Le quadra impatient », Libération, 16.07.2009
- Charlotte Chaffanjon, « Aubry-Valls, l'affrontement sans concession », Le Point, 15.07.2009
- David Revault d'Allonnes « Aubry-Valls, tir de missives », Libération, 16.07.2009
- Charlotte Chaffanjon, « Valls se lance dans la primaire », Le Point, 23.05.2011
- Sylvain Courage, « Valls, le premier violon de Hollande », Le Nouvel obs, 20.04.2012
- E. Mandonnet et M. Wesfreid, « Valls, le socialiste de droite », L'Express, 27 juin 2012
- « Le bilan en demi-teinte de Valls à l'intérieur », Lemonde.fr, 31 mars 2014
- David Revault d'Allonnes, « Manuel Valls, un ambitieux à Matignon », Le Monde, 31 mars 2014
_____________________________________________________