Livres politiques · 11 mai 2014 à 19:00 · 0
C'est une spécificité française : les responsables politiques cumulent les mandats et les indemnités de député, maire, président de conseiller général ou régional. La loi n° 2014-126 du 14 février 2014 met fin en partie à cette pratique : un parlementaire ne pourra plus être à la tête d'un exécutif local (maire, président de conseil général ou régional). Fini le temps du député-maire conseiller général. Du point de vue démocratique, il s'agit d'une vraie avancée, même si le cumul va perdurer puisqu'un député pourra toujours être conseiller (municipal, général, régional).
Dans son livre intitulé Le métier d'élu local (éd.Seuil), le député de gauche, René Dosière, revient sur cette spécificité française contre laquelle il s'est toujours battu et souligne que cette pratique a perduré entre le XVIIIe siècle et le XXIe.
"Le cumul des mandats (et des fonctions) est une tradition française remontant à l'Ancien Régime. Les exemples abondent parmi les grands noms de l'Histoire de France. Auprès de Henry IV, Sully a occupé (en 1599) les charges de surintendant des finances, surintendant des fortifications, grand voyer de France, grand maître de l'artillerie, auxquelles s'ajouteront (en 1602) celles de surintendant des bâtiments, gouverneur de la Bastille, voyer de Paris et gouverneur du Poitou. Cette concentration des charges étonnait déjà ses contemporains.
Louis II de Bourbon-Condé, dit le Grand Condé (1621-1686), a lui aussi accumulé les titres ; Richelieu et Mazarin ont été cardinaux et Premiers ministres ; Colbert et Talleyrand ont agrégé eux-aussi nombre de gratifications.
Dans les assemblées législatives de la première moitié du XIXe siècle, où le droit de vote était restreint aux plus fortunés, le cumul s'est installé dans la France des notables. En 1840, près de la moitié des députés siégeaient aussi dans les conseils généraux, et une proportion un peu plus faible était, en même temps, maire et député. Sous le Second Empire, aux élections de 1869, 40% des 288 députés étaient des maires.
Sous la IIIe République (1871-1940), avec l'élection au suffrage universel des conseillers généraux (1871) et des maires (1882), le cumul des mandats s'est à nouveau développé. En 1876, plus de la moitié des députés et des sénateurs sont également conseillers généraux, et de 1893 à 1914, le taux de cumul des parlementaires se maintient à plus de 65%. Durant la période de l'entre-deux-guerres (1919-1936), il se stabilise à plus de 62%.
D'abord pratiqué par les conservateurs, le cumul va gagner les républicains, particulièrement les radicaux (70% des cumulards entre 1893 et 1936), les socialistes et, à partir des années trente, les communistes. Les cumulants de gauche sont plus fréquemment maires. Toutefois, le cas de figure le plus répandu est celui du député-maire-conseiller général. La généralisation du cumul est ainsi le fait d'une gauche radicale et socialiste convertie au scrutin d'arrondissement et aux logiques cumulatives de la carrière des notables traditionnels.
Le phénomène recule à la Libération, du fait de l'application du scrutin proportionnel pour les élections législatives. Mais dès l'avènement de la Ve République on assiste à un rebond du cumul. Lors des élections législatives de novembre 1958, avec le retour du scrutin uninominal, la proportion de députés-maires passe à 50%, s'élève à 54% en 1978, 56% en 1997, pour diminuer légèrement ensuite et se stabiliser entre 40 et 45% depuis 2002.
Bien évidemment, cette pratique s'étend à d'autres fonctions locales. D'une manière générale, sous la Ve République, les deux tiers des députés détiennent un mandat de maire ou de conseiller général, et plus d'un tiers ces deux responsabilités à la fois".
*** Source
- René Dosière, Le métier d'élu local, Seuil, janvier 2014
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