Livres politiques · 13 mai 2014 à 09:01 · 0
Les chiffres parlent d'eux-mêmes. En 2012, 63% des députés et 65% des sénateurs avaient une responsabilité exécutive locale en tant que maire ou président de conseil général ou régional. 18% des députés et 11% des sénateurs étaient membres d'une assemblée locale. Autrement dit, seuls 19% des députés et 24% des sénateurs ne pratiquaient pas le cumul des mandats. Deux raisons principales à ce cumul : le cumul des indemnités, qui permet de gonfler son salaire, et la volonté d'écarter des concurrents. Oui, car cumuler les mandats locaux, c'est se constituer des "fiefs électoraux", s'assurer une base électorale stable, indispensable pour une longue carrière.
Sauf que la journée d'un homme politique fait 24h. Et tous ne sont pas des hyperactifs n'ayant besoin que de 3h de sommeil. Résultats ? Dans son livre intitulé Le métier d'élu local (éd.Seuil), le député de gauche, René Dosière, explique que de nombreux élus locaux prennent des décisions... sans vraiment lire les documents. Extraits :
"En juillet 1981, à la suite des élections législatives, le PS devient majoritaire au conseil régional de Picardie et j'accède à la présidence (...). Ces premières responsabilités nationales me mettent en contact, lors de multiples séances de travail, avec les principaux responsables politiques de l'époque qui cumulent tous mandats nationaux et locaux. Je découvre alors que nombre d'entre eux arrivent largement après le début des séances de travail, partent avant la fin, s'expriment en termes généraux (mais toujours brillants) qui témoignent souvent... d'une méconnaissance du dossier évoqué. Et pour cause ! Beaucoup ne l'ont ni lu, ni étudié, mais simplement survolé. Dans ces conditions, la finalité de la réunion n'est plus de confronter les points de vue mais de prendre connaissance du document envoyé et d'en valider le contenu. (...)
Dans les assemblées locales, départementales et régionales, le fonctionnement est semblable : les rapports les plus importants, comme le budget ou, par exemple, l'élaboration d'une politique globale concernant les personnes handicapées, ne sont lus, et donc discutés, que par une minorité d'élus. Je constate ainsi que nombre de décisions qui influencent notre vie quotidienne sont prises sans que les élus aient pu procéder à un examen préalable et approfondi de la question. Faute de temps disponible, ils s'en remettent aux synthèses et aux notes de leurs collaborateurs - une carence grave largement ignorée par nos concitoyens et souvent occultée. Rares, en effet, sont les élus qui le reconnaissent, comme Jean-Claude Robert, député de Cote-d'Or : "J'ai été cumulard : c'est invivable. On survole tout. Je me rappelle le débat sur les lois de la bioéthique. Nous n'avions pas le temps de lire les rapports. Résultat, ce sont les techniciens et collaborateurs qui ont imposé leurs vues".
Au Conseil général de l'Aisne, où j'ai siégé pendant quinze ans (1993-2008), j'ai constaté qu'avec le cumul des mandats, le sénateur-président n'avait plus que l'apparence du pouvoir dont la réalité était entre les mains de son directeur de cabinet. C'est ainsi que, progressivement, les décisions sont prises par des collaborateurs, dévoués et compétents selon la formule consacrée, mais qui ne disposent pas de la légitimité que confère l'élection. C'est alors la démocratie qui est mise à mal et qui s'étiole".
*** Source
- René Dosière, Le métier d'élu local, Seuil, janvier 2014
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