Questions d'actualité · 21 fév. 2018 à 16:40 · 0
Tout le monde connaît l'affaire Cahuzac. Une affaire qu'il a démentie "en bloc et en détail" pendant des mois. Eh bien les détails justement. A l'occasion de son procès en appel, Jérôme Cahuzac a retracé l'itinéraire de ces centaines de milliers d'euros cachés à partir de 1993. Si tous les aspects de son récit ne peuvent être vérifiés, on en sait plus sur le circuit de ces fonds occultes.
L'affaire Cahuzac, c'est l'histoire d'une évasion fiscale comme il en existe beaucoup. Le coût de l'évasion fiscale est estimé à au moins 60 milliards d'euros. Soit à peu près l'équivalent du déficit budgétaire de la France.
D'après le récit de Jérôme Cahuzac, tout commence en 1991. Cette année-là, il quitte le cabinet de Claude Evin, ministre de la Santé du gouvernement Rocard dans lequel il y était entré cinq ans plus tôt, après avoir décroché son diplôme de chirurgien. En tant qu'ancien conseiller ministériel, Cahuzac se lance comme consultant pour l'industrie pharmaceutique tout en travaillant à la candidature de Michel Rocard pour la présidentielle de 1995. C'est dans ce contexte que l'entourage de Rocard lui aurait demandé d'utiliser ses contacts auprès des labos pour collecter de l'argent, d'abord de manière légale, puis de manière illégale, pour financer la future campagne. Un compte en Suisse est ouvert en 1993. Environ 3 millions de francs de l'époque (soit 500 000 euros) y auraient été déposés. "Cet argent ne m'appartient pas et je me suis toujours interdit d'y toucher", a expliqué Jérôme Cahuzac à son procès.
Avec l'échec de Michel Rocard aux élections européennes de 1994, la probable candidature à la présidentielle du rival de Mitterrand s'effondre. Dès lors, que faire des 500 000 euros cachés en Suisse ? "Ces fonds, comment vous dire... ne m'intéressent pas. Je ne sais pas quoi en faire. Quand je suis élu, je vois bien le problème. Je demande à un membre de l'entourage de Michel Rocard : “Cet argent, j'en fais quoi ?” On me répond : “Tu bouges pas, on te dira.” On ne me l'a jamais dit", a expliqué Cahuzac au procès. Les fonds resteront en Suisse. Et Jérôme Cahuzac est élu député en 1997.
Qui sont ses donneurs d'ordre ? Au procès, Cahuzac a toujours refusé de donner les noms de ceux qui lui ont demandé de cacher cet argent : "Je ne peux pas donner ces noms. Qu'est-ce qui va se passer après ? Naturellement, ils vont être sollicités, naturellement, ils vont nier, ce sera leur parole contre la mienne et la mienne ne vaut plus rien", a-t-il expliqué.
Tout en étant député, Cahuzac exerce, au début des années 2000, comme chirurgien capillaire pour de riches clients issus des pays du Golfe. Pour ce type d'opération, les honoraires sont très élevés (entre 75 000 et 100 000 euros). De l'argent qu'il décide de cacher en le plaçant sur le fameux compte suisse. Pourquoi ? Cahuzac a tenté de se justifier à son procès : "J'ai pensé que s'il était su que je pouvais gagner autant d'argent en si peu de temps, la suspicion générale s'abattrait sur moi. À cette époque, dans la famille politique qui était la mienne, gagner beaucoup d'argent, c'était presque une tare". A partir de cette date, l'argent caché en Suisse va servir à financer son train de vie : voyages au soleil, dépenses exceptionnelles, financement d'un appartement...
Deux ans après avoir été réélu député, la banque Reyl l'avertit que la législation sur le secret bancaire va changer. Pour éviter que le fisc français ne découvre ces fonds cachés, Cahuzac décide de clôturer son compte en Suisse et de transférer les fonds à Singapour, via une société panaméenne. Pensant ses fonds à l'abri, Cahuzac devient alors président de la commission des finances. Puis ministre des finances. Et c'est à la suite d'une enquête approfondie et notamment l'obtention d'un enregistrement sonore dans lequel Jérôme Cahuzac parle du transfert de son compte suisse vers Singapour, que le site d'information Mediapart révèle l'affaire en décembre 2012. Depuis, la situation fiscale de Jérôme Cahuzac a été régularisée auprès du fisc français. Avec son ex-femme, qui avait elle-même caché de l'argent sur des comptes offshore, ils ont réglé près de 800 000 euros au fisc. L'ex-ministre des finances risque aujourd'hui 3 ans de prison ferme.
*** Sources
- Camille Poloni, "Cahuzac : sa fraude, sa très grande fraude", Lesjours.fr, 16.02.2018
- Valentine Arama, "Des révélations au procès, récit d'une chute", Le Figaro, 12.02.2018
- Franck Johannès, "L'avocat général fustige le « sentiment d'impunité », Le Monde, 20.02.2018
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